Au cours de l’année écoulée, les dirigeant·e·s du monde entier ont été sollicité·e·s par l’Initiative Bridgetown proposée par la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley ; ce programme politique de réforme de l’architecture financière mondiale vise à augmenter les fonds disponibles pour les priorités d’adaptation et de développement des pays vulnérables au changement climatique.
Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, organisé cette semaine sous l’égide du président français Emmanuel Macron, reprend ce programme et fonctionne avec. Lors du sommet, les dirigeant·e·s travailleront à l’élaboration d’une feuille de route visant à trouver des fonds pour l’action climatique et le développement ; cette feuille de route comprendra des propositions d’augmentation substantielle des prêts ainsi que des instruments complexes et « novateurs », tels que des garanties de change et des couvertures de change.
En tant que féministes ayant une approche systémique, nous sommes heureuses que les principaux acteurs et les principales actrices admettent enfin que nos structures mondiales de gouvernance économique ne fonctionnent pas. Nous partageons le diagnostic posé par l’initiative Bridgetown sur le problème, à savoir que l’argent pour les dépenses liées au climat et au développement fait cruellement défaut, ainsi que la reconnaissance par la France de l’urgence de « repenser collectivement l’architecture financière internationale ».

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Cependant, les solutions que nous proposons sont radicalement différentes : elles visent à transformer les systèmes qui nous ont conduits là où nous sommes et à configurer nos systèmes économiques et financiers mondiaux de manière à ce qu’ils servent mieux les peuples (en particulier les femmes et les personnes issues de la diversité des genres) et protègent la planète.
Nous attirons l’attention sur le fait que les ressources nécessaires pour faire face à la crise climatique actuelle existent déjà et doivent être exploitées, que de présenter des propositions de plus en plus compliquées et pour le moins irréalistes. Ces ressources sont simplement mal réparties au sein d’un système financier mondial qui privilégie les pays de l’hémisphère nord et facilite l’accumulation par les élites ultra-riches, au détriment de la majorité des peuples de la planète, en particulier dans les pays de l’hémisphère sud.
Une réforme systémique profonde du système financier mondial doit être centrée sur le besoin urgent de redistribuer les richesses, les ressources et le pouvoir de décision. La mise en œuvre de réformes progressives, démocratiques et structurelles de la gouvernance et des systèmes fiscaux nationaux constitue un élément essentiel de ce puzzle, sujet qui n’a pas encore été abordé lors du sommet de Paris et de la rencontre de Bridgetown.
Chaque année, on estime à 483 milliards de dollars la perte de richesse non imposée dans les pays du monde entier. La perte à laquelle doivent faire face les pays en développement est disproportionnée par rapport à celle subie par les pays riches, bien que ces derniers jouent un rôle plus grand dans le maintien du réseau international d’évasion fiscale en place.
Afin de remédier à cette perte de recettes publiques à l’échelle systémique, il faut également revoir l’architecture actuelle de la dette, qui prive les pays du Sud d’une marge de manœuvre fiscale indispensable à l’action climatique et aux dépenses sociales nécessaires pour garantir un monde plus juste.
D’un point de vue féministe en matière de justice fiscale, la voie à suivre pour commencer à mettre en œuvre la transformation structurelle réellement attendue passe par la consolidation des propositions qui circulent depuis des années telles que : l’amélioration de la fiscalité du patrimoine, l’imposition des bénéfices excédentaires des entreprises de combustibles fossiles, la fin de l’évasion fiscale des multinationales, la lutte contre le secret financier ainsi que le transfert des négociations fiscales internationales vers une nouvelle convention fiscale des Nations unieset un organisme multilatéral gouverné de manière démocratique et transparente. Ces propositions représentent des milliers de milliards de dollars par an en financement public potentiel pour l’action climatique et les services publics transformateurs de genre. (Avinash Persaud, l’architecte de l’Initiative Bridgetown, présente lui-même une proposition similaire dans la version non officielle d’avril 2023 de Bridgetown 2.0, en évoquant des taxes internationales sur les émissions de GES et les bénéfices des entreprises).
Agissant en dehors des processus multilatéraux officiels et contournant les accords existants, le Sommet de Paris constitue une nouvelle tentative peu judicieuse d’obtenir des engagements volontaires et de « tirer parti » des fonds des entreprises pour financer des initiatives nationales qui font cruellement défaut. Si ces initiatives sont réellement mises en œuvre, elles ne feront que renforcer l’injustice de notre système économique et financier actuel.
De concert avec nos partenaires du mouvement pour la justice économique et climatique, et notamment le Mécanisme de financement du développement de la société civile, nous réaffirmons que le Sommet de Paris n’est qu’une « distraction ». En effet, ce dernier entérine les réponses financiarisées à la crise climatique et risque de saper les progrès déjà réalisés, à savoir la priorité accordée aux Nations Unies en tant que forum approprié pour la prise de décision sur les questions financières internationales, y compris la coopération fiscale mondiale.
En lieu et place des solutions d’ordre privées au développement mises en avant par le Sommet de Paris, les féministes exigent le rétablissement du rôle de l’État et du multilatéralisme. C’est par le biais de réformes progressistes, démocratiques et véritablement intergouvernementales des systèmes et des politiques fiscales que nous pourrons redistribuer les ressources existantes en faveur de la justice économique, climatique et de genre.
Âurea Mouzinho (Groupe de travail sur la fiscalité et le genre de l’Alliance mondiale pour la justice fiscale) & Katie Tobin (Nexus Action féministe pour la justice économique et climatique)