"Ne pas sacrifier la laïcité sur l'autel du terrorisme".
D'accord. D'accord aussi sur le rappel de principes essentiels:
"Le rôle de l’Etat est d’assurer la sécurité́ et la liberté́ de culte et non de l’organiser. L’Islam en France doit rester l’affaire des musulmans".
"Les institutions publiques doivent demeurer incompétentes en matière de religion, ne reconnaitre institutionnellement aucun culte, aucune croyance".
"Seule la neutralité́ effective de l’État et celle des institutions concrétise le primat de la liberté́ de conscience et garantit la liberté́ de culte pour ne placer aucune opinion au-dessus des autres".
Le problème apparaît quand on introduit des notions comme "accommodements raisonnables", sans les définir, et c'est un point de désaccord avec ce texte. Mieux vaudrait ne même pas les mentionner, surtout si ce n'est que pour les opposer au principe de laïcité. Car personne parmi les parties prenantes en France (pouvoirs publics, mouvements politiques ou religieux) ne demande officiellement des "accommodements raisonnables". L’expression devient alors un simple auxiliaire rhétorique. Elle sert essentiellement à disqualifier des propositions qui ne se présentent pas elles-mêmes comme "accommodements raisonnables", en les associant à l’épouvantail du "modèle anglo-saxon" pour ne pas avoir à les discuter sur la base des principes rappelés dans l'article.
- Ainsi la simple demande de repas sans porc à la cantine (pas halal, non, simplement sans porc) est rejetée comme "accommodement raisonnable", alors qu’il serait bien plus difficile d’argumenter contre elle au nom des principes laïques (non seulement elle n’est pas la "reconnaissance institutionnelle d’un culte", mais elle peut s’appuyer sur le précédent du poisson le vendredi, etc.)
- De même la simple reconnaissance de la liberté pour chacun-e de se vêtir à son gré dans les limites des lois existantes est contestée comme demande d'"accommodement raisonnable". C’est le cas pour le voile islamique porté en public par une majeure, qui n’enfreint aucune loi, mais qui est entaché d’un soupçon permanent et qui est censé être un "combat essentiel pour la République" (selon Valls). Cette remarque ne concerne pas le « voile intégral », interdit par la loi de 2010, non pas au nom de la laïcité, faut-il le rappeler, mais au nom de l’ "ordre public". Le fait éventuel que cette loi ne soit pas appliquée avec rigueur dans certains quartiers ne doit donc pas s’interpréter en termes d’ "accommodement raisonnable" par rapport à un culte, mais en termes d’ordre public : soit le pouvoir fait montre d’une faiblesse coupable face à un trouble à l’ordre public, soit le trouble à l’ordre public que constitue le voile intégral n’est pas aussi évident que ce que postulait la loi d’interdiction, surtout qu’aujourd’hui des menaces bien plus graves sont apparues, dont il n’est pas évident qu’elles soient liées à ce phénomène.
Ce point amène la question essentielle: la soudaine reprise par Valls de ce projet d’inspiration concordataire (bien qu’un concordat effectif soit formellement exclu) prend un sens très clair dans le contexte actuel. Il est à peine sous-entendu que l’ "Islam de France" a quelque chose à voir avec le carnage de Nice ou l’égorgement de St-Etienne du Rouvray. La phrase de Valls est même très explicite sur le deal concordataire : "si l’islam n’aide pas la République à combattre ceux qui remettent en cause les libertés publiques, il sera de plus en plus dur pour la République de garantir ce libre exercice du culte".
Ce projet de Valls est doublement choquant : non seulement il tord la laïcité dans un sens concordataire avec pour but explicite de mieux encadrer une religion et ses pratiquants, mais il manifeste l'impuissance dramatique d'un gouvernement de Gauche à répondre à la vraie proposition émanant de la Droite, celle d'un "Guantanamo à la française", dont l'attrait dans l'opinion a la force de l'évidence : lorsqu'un type a passé 11 mois en prison sur une présomption d'infraction sans avoir été condamné, chacun est dans son rôle quand le parquet demande son maintien indéfini en détention (un risque existe, l'actualité le montre) et quand les juges décident sa mise sous contrôle judiciaire (on ne peut pas maintenir indéfiniment un type en prison sans jugement). Quand ce même individu commet alors un crime sanglant, sans même sortir du périmètre assigné par son bracelet électronique, une solution du type "rétention administrative pour tous les suspects, fiche S ou pas", apparaît à beaucoup de gens comme une solution de bon sens. La vraie trahison de ce gouvernement est de renoncer à proposer des réponses alternatives à ce niveau, en se contentant d'incantations sur l"'état de droit", et surtout en donnant le change, comme si l'"Islam de France" avait une responsabilité dans le carnage de Nice commis par un homme élevé dans un autre pays, et dans l'égorgement de St Etienne du rouvray rendu possible par les limitations du système judiciaire...
En définitive, ce projet d'"encadrer" l'Islam de France peut être un simple complément à celui de la Droite, et l'ensemble est porteur d'un lourd danger dans le contexte actuel de montée irrépressible de la peur : combien d'attentats encore pour que tous les Mohamed et tous les Lakhdar de France soient perçus comme des égorgeurs potentiels, et toutes les porteuses de voile comme leurs complices présumées? Et quelles seraient alors les limites d'un "Guantanamo à la française", complété par un "pacte avec l'Islam de France" dont le véritable objet serait de mettre les musulmans de ce pays en liberté conditionnelle ?