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Billet de blog 7 mars 2022

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Arrêtons de parler des violences faites aux femmes

En ce début d’année électorale, tous·tes les candidat·es s’accordent sur leur intention de mettre fin aux violences de genre et aux féminicides en particulier. Mais continuer à utiliser la formule consacrée « violences faites aux femmes » ne nous condamne-t-il pas à l’impuissance ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Pour combattre le problème, il faut accepter de le nommer », affirmait Emmanuel Macron en 2014 au sujet de l’illettrisme. Si ce discours de bon sens est généralement admis, ce n’est pas le cas en matière de violences sexistes et sexuelles. Non seulement, on qualifie mal les violences sexuelles qu’on minimise en « dérapages », « gestes déplacés », « drague lourde » ou « trop plein d’amour », mais il y a plus grave : on se refuse à nommer qui en est à l’origine.

Quand on parle de violences policières, on désigne des violences exercées par la police, quand on parle de violences homophobes, on nomme l’oppression, mais quand on parle de « violences faites aux femmes », de quelles violences s’agit-il ?

En réalité, cette expression pose problème à beaucoup d’égards. D’un point de vue sémantique, ce sont « les violences » qui constitue le sujet de cette formule passive, soit un concept abstrait, qui semble exister de manière autonome, ayant des intentions propres. Le fait de ne pas nommer les auteurs et de faire porter toute l’attention sur « les femmes » renforce l’idée reçue selon laquelle les violences sont accidentelles ou qu’elles s’abattent sur des victimes qui étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Il s’agit pourtant de violences systémiques qu’un groupe d’individus dominants exercent sur un groupe dominé. Même s’ils ne participent pas activement à la domination, ou qu’ils vivent par ailleurs d’autres oppressions structurelles, tous les hommes bénéficient de cette organisation sociale basée sur la discrimination de genre. Au lieu de porter l’attention et la responsabilité d’éviter les violences sur les « femmes », qui ne sont ni un groupe homogène ni les seules victimes de l’oppression sexiste, on gagnerait à s’intéresser aux auteurs de violences et à une mécanique qui dépasse les comportements individuels.

Sait-on qui sont les auteurs des violences sexistes et sexuelles ?

Selon le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes de 2019, « les condamnations pour des infractions sexistes concernent presque uniquement des hommes (95 %)  ». Le pourcentage est stable : en 2017, c’étaient 28 815 personnes condamnées dont 27 685 hommes et, en 2018, 29 759 dont 28 297 hommes. Selon la lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes de novembre 2016 6, les hommes représentaient même 99 % des personnes condamnées pour violences sexuelles. Cela ne signifie pas que 95 % ou 99% des hommes de la société sont coupables de violences sexuelles, mais que lorsque violences il y a, elles sont le fait d’hommes à plus de 95 %, dans le cas où une plainte est déposée et une condamnation prononcée, en sachant que dans 73 % des cas une plainte n’aboutit pas. Alors on est en droit de s’interroger : si les auteurs des violences sont identifiés, pourquoi sont-ils absents du débat de société ?

Sources : Ministère de la Justice, casier judiciaire national (données 2017 provisoires) et infocentre MINOS pour le champ contraventionnel, traitement DACG-PEPP. Chiffres disponibles dans le 1e état des lieux du sexisme publié par le HCE le 17 janvier 2019– Chiffres les plus récents sur le sujet. nature : on parle ainsi des « dangers de la nu 

"Les dangers de la nuits"

On admet collectivement que les violences existent (on les compte), mais on prétend qu’elles sont inévitables et qu’il est impossible de lutter contre elles, parce qu’elles relèveraient de la nuit plutôt que du danger des hommes qui préméditent des viols par empoisonnement au GHB. On demande aux victimes de sexisme d’assumer une « charge mentale violence » engendrée par la menace permanente, le coût d’un taxi pour rentrer de soirée ou la responsabilité de garder le contrôle même dans des lieux festifs, comme l’illustrent ces propos évoquant la recrudescence des agressions sexuelles et viols par empoisonnement au GHB : « Il faut aussi que les clientes se responsabilisent […] et fassent très attention à leur verre. ». Où sont les enquêtes sur les hommes qui utilisent le GHB ? Ont-ils un profil ? Par quels réseaux se fournissent-ils ? Plus on les personnes qui subissent le sexisme sont informées sur les violences sexistes et sexuelles, plus elles paraissent omniprésentes et inévitables, entraînant chez beaucoup un état d’hypervigilance qui rappelle l’écoanxiété générée par la crise écologique. Une étude récente publiée par Libération rapporte d’ailleurs une explosion des gestes suicidaires chez les adolescentes, multifactorielles sans doute, mais ne devrait-on pas interroger le lien entre anxiété, dépression et surinformation concernant les violences « faites aux femmes » quand on leur répond par le silence et l’inaction ?

On se refuse à confronter des hommes qui, de gauche comme de droite, préfèrent rejeter la faute du sexisme sur « quelques hommes », les « hommes du passé », les « monstres », les exceptions, ou la faire endosser aux victimes qui auraient dû mieux se comporter.

La formule « violences faites aux femmes » met au jour une manœuvre de diversion nous empêchant de nommer le problème et donc de le résoudre. Car ce ne sont pas les femmes et les personnes qui vivent le sexisme qui doivent modifier leur comportement, ce sont les auteurs de violences. Imaginez comme on pourrait changer le monde si on interrogeait la socialisation et l’éducation des hommes, s’ils suivaient des formations antisexistes, s’ils se rendaient aux conférences féministes, s’ils apprenaient à reconnaître et à prévenir leurs comportements violents et ceux de leurs amis, s’ils dénonçaient eux aussi les violences dont ils sont témoins. Si on s’adressait enfin aux hommes en tant que sujet. À tous les hommes, oui, de la même manière que les campagnes de sécurité routière s’adressent à tou·tes les conducteur·ices, en admettant que parmi eux tou·tes sont susceptibles de boire de l’alcool, de commettre une infraction, un délit ou un crime. Personne n’écrit de tribune dénonçant la sécurité routière qui stigmatise « tou·tes les conducteur·ices », à cause de qui bientôt « on ne pourra plus conduire ».

Sans ce renversement de perspectives, tous les budgets, toutes les lois et toutes les promesses électorales autour des violences sexistes et sexuelles sont vaines.

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