52 jours après le second tour des élections législatives, Emmanuel Macron a finalement nommé Michel Barnier au poste de Premier Ministre. Une décision qui, bien que prévisible, révèle une dérive démocratique inquiétante. En choisissant de privilégier une lecture présidentialiste de la Constitution, il a écarté le bloc du Nouveau Front Populaire (NFP), pourtant arrivé en tête après la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette nomination marque non seulement un coup de force démocratique, mais elle soulève des questions sur la nature même du pouvoir qu’exerce aujourd’hui Emmanuel Macron.
Dans les grandes démocraties européennes, il est d’usage que le chef de l’État demande à la coalition majoritaire de former un gouvernement. Or, Macron a ignoré cette règle non écrite, en préférant imposer un Premier ministre issu du quatrième groupe parlementaire, avec le soutien tacite de l’extrême-droite. Cette manœuvre révèle une hiérarchisation des libertés où la liberté économique prime sur la démocratie.
La dérive autoritaire d’Emmanuel Macron :
Ce choix s’inscrit dans un contexte plus large de dérive autoritaire et de présidentialisme exacerbé, qui rappelle les mécanismes du libéralisme autoritaire théorisé par Carl Schmitt dans les années 1930. Schmitt, disciple de Friedrich Hayek et conseiller du chancelier Heinrich Brüning, avait justifié l’utilisation de l’article 48 de la Constitution de Weimar pour permettre au gouvernement de Brüning de gouverner par décrets, contournant ainsi le Reichstag. Face à la crise économique, Brüning, sous l’influence de Schmitt, a utilisé cette disposition d'urgence pour imposer des mesures austéritaires drastiques, plongeant l'Allemagne dans une spirale autoritaire.
Aujourd'hui, Emmanuel Macron n'en est certes pas encore au stade où il pourrait invoquer un "état d'exception économique" similaire, mais la tendance est inquiétante. Si Brüning a utilisé l'article 48 pour concentrer les pouvoirs exécutifs en invoquant la crise économique, Macron utilise des mécanismes institutionnels plus subtils, comme la manipulation des majorités parlementaires et l'exploitation des failles dans le processus démocratique, pour contourner la volonté populaire exprimée lors des élections législatives. Il ne va pas jusqu'à suspendre le Parlement, mais il le neutralise en imposant un Premier ministre contre la logique démocratique.
La priorisation de la liberté économique sur la démocratie :
Sous Macron, la France semble glisser vers une hiérarchisation des libertés, où la liberté économique prime sur la démocratie elle-même. Cette idée, largement présente dans le néolibéralisme, fait écho aux dérives de l’entre-deux-guerres en Allemagne, où Brüning, avec l’appui de Schmitt, a instauré une politique austéritaire-autoritaire, conduisant à une crise politique majeure.
Car si Emmanuel Macron a lui aussi été élu au suffrage universel direct, l’article 3 de la Constitution dispose que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice." Aussi, en refusant d’appeler un Premier Ministre issu du Nouveau Front Populaire (NFP) et en s’appuyant sur le Rassemblement National pour poursuivre sa politique, alors que les députés de sa coalition ont été élus pour lui faire barrage grâce au retrait des candidats du NFP, Emmanuel Macron pourrait s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale.
En agissant ainsi, il viole la souveraineté nationale, il viole l’article 3 de la Constitution, ce qui par ailleurs pourrait constituer un manquement incompatible avec l’exercice de sa fonction, et justifierait le recours à la procédure de destitution prévue à l’article 68 de la Constitution.
Le programme de déflation de Brüning a exacerbé les inégalités et précipité la montée des extrêmes, notamment du NSDAP. La spirale austéritaire-autoritaire, en détruisant le soutien populaire, a poussé Brüning à renforcer encore davantage son autorité, érodant ainsi la démocratie parlementaire. Un processus similaire, à un degré moindre, semble être à l’œuvre en France aujourd’hui. Chaque décision autoritaire de l’exécutif alimente un ressentiment croissant, même si, à ce stade, la France conserve l’apparence d’une démocratie représentative.
Le parallèle avec l’Allemagne des années 1930 est troublant. Là où Brüning a favorisé une approche technocratique et austéritaire en utilisant l'article 48, Macron suit une logique similaire, faisant passer les intérêts financiers et économiques avant les aspirations démocratiques du peuple, mais de manière plus subtile et moins directe.
Par ce processus Macron s'érige en un Brüning à la française.