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Billet de blog 10 janv. 2023

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L’homosexualité en banlieue : triste continuité médiatique

En octobre 2022, le journal télévisé de France 2 contacte le mouvement Pride des Banlieues pour leur faire part de leur souhait de réaliser un reportage sur l’homosexualité au sein des banlieues. Le groupe des porte-paroles discute alors de cette proposition, et j’accepte volontiers d’échanger avec la journaliste les jours suivants. Tribune en réaction à l’œil du 20h de France 2 intitulé « Aux Mureaux, la religion facteur d'homophobie ? »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce soir, le 10 janvier 2023, le JT de France 2 a diffusé un reportage sur l’homophobie dans les quartiers populaires. Intitulé “Aux Mureaux, la religion facteur d'homophobie ?”, ce dernier ne fait que renforcer la stigmatisation de nos territoires, tout en participant à la diffusion d’idées racistes et islamophobes.

En octobre 2022, le journal télévisé de France 2 contacte le mouvement Pride des Banlieues pour leur faire part de leur souhait de réaliser un reportage sur l’homosexualité au sein des banlieues. Le groupe des porte-paroles discute alors de cette proposition, et j’accepte volontiers d’échanger avec la journaliste les jours suivants.

Lors de notre échange, d’une heure environ, je présenterais les actions du mouvement, ainsi que mes recherches. En effet, comme je l’indique à la journaliste, je suis certes militant, gay de quartiers populaires mais aussi doctorant en sociologie, et voilà maintenant trois ans que je consacre mes travaux à étudier l’homosexualité au sein des grands ensembles.

Quelle joie pour elle dès lors, que d’avoir un discours “plus scientifique et moins militant”. Madame, comme je vous l’indiquais, quelle que soit ma posture, mon discours est le même! Où est-il donc passé dans ce reportage ?

Que faites-vous si ce n’est réactiver le mythe de l’“enfer gay”, qu’une partie des médias ont eux même créé ? Depuis plusieurs années, je tente d’analyser les discours de presse sur ce sujet, je tente d’interroger ce qui constitue les subjectivités gaies, dominées et non porte-parole de leur vécu, et ainsi de voir en quoi, la presse tant généraliste que spécialisée construit une sorte d’ « enfer gay ».

Les gays de quartier populaire (comme l’ensemble des habitant·es de ces espaces), constituent ce que Bourdieu appelle une « classe objet » [Bourdieu 1977]. En tant que « classe objet », et au sein même d’une temporalité qui consiste à rendre visible et à considérer une « diversité sexuelle » [Chauvin et Lerch 2013], en promouvant une forme d’homosexualité acceptable, cette population se retrouverait dès lors à la marge de ces sexualités. Elle serait donc rendue à une forte invisibilité sociale, et cela, notamment du fait d’une supposée homophobie plus forte en « banlieue » [Avdija 2012; Clair 2012].

Travailler sur les quartiers populaires, notamment avec l’imbrication de la sexualité, c’est se confronter à des populations victimes de nombreuses discriminations, et chez qui, il est supposé une plus grande homophobie. Dès lors, raconter les éléments récupérés durant l’enquête pourrait renforcer la stigmatisation qu’ils subissent.

Travaillant sur des populations cristallisant des positions politiques et médiatiques, et stigmatisant les populations, nous, chercheur·euses, militant·es et journalistes nous devons, comme des sociologues le rappellent, être « redoutablement outillé du point de vue méthodologique et réflexif pour tenter d’apporter des analyses éclairantes et constructives loin des feux de la rampe médiatique » [Guérandel et Marlière, 2017].

Pour autant, nous ne souhaitons pas non plus proposer des « excuses sociologiques » comme certains pourraient le penser [Lahire 2016]. Dès lors, l’analyse sociologique, mais également mon objectif dans mes recherches n’est pas tant de nier l’existence de possibles difficultés de vivre son homosexualité en banlieues populaires, ce que vous avez parfois pu supposer. Cela serait nier le vécu et le ressenti d’individu·es y vivant et la ressentant, comme le jeune dans votre reportage.

On ne cherche pas tant à la qualifier - stratégie qui consiste également à dire qu’elle est partout, mais plus forte en banlieue – nous tentons simplement de voir comment elle est vécue, et si pour les individus, elle existe. Plus largement, c’est un ensemble d’expériences que nous tentons de décrire, tant le rapport au stigmate qu’à la sexualité et aux causes LGBTQI+.

En effet,

[…] Il est non seulement scientifiquement préférable, mais aussi sans doute de meilleure politique de prendre cette réalité dérangeante pour objet, sans laisser le monopole de l’interprétation à ceux qui n’y chercheraient que la confirmation de leurs préjugés raciaux (Fassin 2006a, p. 247).

Lors de notre échange, je vous ai dès lors fait part tant des difficultés présentes au sein de ces espaces, que des normes sociales y regnant pouvant expliquer le rejet d’une forme d’homosexualité. En effet, je crois qu’il est possible de dire que l’homosexualité en cité se vit sous d’autres formes, qu’elle est vécue, parfois ouvertement, généralement sous silence. Les espaces gais sont fréquentées, mais aussi repoussées, par l’homophobie intériorisée me diriez-vous (ou peut-être du fait de l’Islam j’imagine), mais aussi par le racisme des espaces gais, ne l’oubliez pas!

Par ailleurs, j’ai tenté de vous montrer l’existence d’une vie gaie en cité, en banlieue, multiple, tant individuelle, que collective. La Pride des banlieues n’en est qu’un exemple! Des événements ont lieu sur ces territoires, ils rassemblent de plus en plus de monde, répondant à un besoin, pour sûr, celui peut-être de lutter contre l’homophobie de ces espaces, mais aussi et surtout de contrer l’idée selon laquelle le centre serait l’endroit par excellence des sexualités minoritaires. En ne mentionnant pas ces initiatives, ces mouvements, le travail associatif de terrain, de la Pride des Banlieues, d’AIDES 93, de Bamesso et Ses amis, etc. vous ne montrez qu’une part de l’homosexualité en banlieue, de ses représentations finalement, celle qui fait vendre !

En effet, par vos méthodes, ce n’est pas tant le comment qui vous intéresse, comment y vit-on, que s’y passe-t-il ? Non, ce sont les représentations, les acceptations de principe, mais qu’en est-il en soi ? La gayfriendliness ne se réduit pas au principe, elle s’explique, et se lit, au regard des vécus !

Concernant la religion, votre angle dans ce reportage, que dire si ce n’est que son traitement n’est que le signe de votre islamophobie. En effet, on ne peut nier le caractère homophobe de certaines religions, du moins la distance qu’elle entretiennent avec l’homosexualité [Maudet, 2017], ni les “dissonnaces identitaires et/ou cognitives” existantes chez certaines personnes LGBTQI+ et religieuse [Gross, 2008]. Néanmoins, vous ne pouvez analyser les attitudes gayfriendly seulement sous ce prisme. Le sexe, ou encore l’appartenance générationnelle influent également sur ces attitudes. Être gayfriendly, c’est un apprentissage social, dépendant des expériences vécues, du contexte, des appartenances sociales, de genre notamment. Il ne peut exister d’explication unilatérale [Rault, 2016] !

Sur cinq minutes, vous ne consacrez que 30 secondes à une possible homophobie en dehors des quartiers populaires ! Ce temps n’est que le reflet de vos idées : l’incompatibilité supposée entre la blackness et l’homosexualité, et dès lors, l’incompatibilité d’une socialisation raciale, religieuse et sexuelle simultanée [Trawalé, 2016]. Avec cela, vous osez finalement définir ce qu’être gay! Madame, vous ne le savez pas !

La réalité est complexe, faites lui honneur! Les chiffres ne sont pas que des données, ils produisent la réalité, et l’utilisation que vous en faites ici n’est pour moi pas digne de votre profession! Il serait possible pour moi de vous dire qu’en 2021, les personnes musulmanes en France expriment plus de sympathie pour la marche des fiertés que les sympathisants LREM, que faisons-nous de cette information [IFOP, 2021] ?

Comme cela fut le cas avec les chiffres associatifs en 2006, comme cela fut le cas avec les ouvrages journalistiques sur l’homosexualité en banlieue, à aucun moment vous ne pensez la création, la production d’une homosexualité banlieusarde [Mack, 2017], votre impossibilité n’est que le signe de votre méconnaissance, plutôt de votre volontaire aveuglement. Non les gays de cité ne sont pas des “Clandestins de la République” !

Votre discours néglige le vécu gai en banlieue, néglige ses formes d’existence! Il n’est que le reflet d’une lecture occidentale, et nationaliste des vécus homosexuels. Ce n’est qu’une lecture citadine, celle des grands centres urbains (blancs) des subjectivités gaies !

Non Madame, ce n’est pas du déni que de vivre sans sexualité sans visibilité! Oui Madame, être visible demande des ressources, elles sont économiques et raciales, non exclusivement religieuses. Madame, toustes les habitan·tes des quartiers ne sont pas musulman·es! Madame, les musulman·es LGBTQI+ existent !

Sur ce coup, je ne peux que donner raison à Bourdieu, dans le cas de la banlieue, la banalité n’importe que peu, on recherche alors le sensationnel, le spectaculaire, tantôt les émeutes, parfois l’« enfer gay ».

Habitant·e des quartiers populaires, LGBTQI+ des quartiers populaires, s’il vous plaît, ne répondez plus à ces journalistes! Vos discours ne sont pour elleux qu’un moyen de nous stigmatiser encore et toujours!

Par ce texte, le mouvement et moi-même exigeons de la rédaction du JT, de France 2, non pas un droit de réponse, mais la parole! Écoutez-nous, nous avons des choses à vous apprendre!

Axel RAVIER

Doctorant contractuel

Porte parole de la Pride des Banlieues

DySoLab - Université de Rouen

Centre en études genre - UNIL

Affilié à l'IC Migrations (Département INTEGER)

P.S. Afin de vous renseigner, voici donc les ressources dont je vous avais parlé au téléphone :

Homophobie en banlieue : en finir avec l’omerta (Article disponible en ligne : https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/la-difficile-lutte-contre-les-discriminations-homophobes-en-seine-saint-denis-02-06-2021 CMP7P7AR6FADNAOZG6AM7TGWVY.php)

AMARI Salima, Lesbiennes de l’immigration, construction de soi et relations familiales, Éditions du Croquant, 2018.

AVDIJA Elena, 2012, Du chiffre statistique au chiffre politique Construction de l’homophobie comme problème des banlieues françaises (Partie 2), https://lmsi.net/Du-chiffre-statistique- au-chiffre , 2012.

BLIDON Marianne et GUERIN-PACE France, 2013, « Un rêve urbain ? La diversité des parcours migratoires des gays », Sociologie, 2013, vol. 4, no 2, p. 119‑138.

CHAUVIN Sébastien et LERCH Arnaud, 2013, Sociologie de l’homosexualité, Paris, La Découverte (coll. « Repères »), 128 p.

CLAIR Isabelle, 2012, « Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel », Agora débats/jeunesses, 2012, vol. 60, no 1, p. 67‑78.

CLAIR Isabelle, 2008, Les jeunes et l’amour dans les cités, Armand Colin

DAAS Fatima, 2020, La petite dernière, Les éditions Noir sur Blanc

GIRAUD Colin, 2019, « Où être gay aujourd’hui ? » dans Manuel indocile de sciences sociales, Paris, La Découverte (coll. « Hors collection Sciences Humaines »), p. 783‑797.

GIRAUD Colin, « La vie homosexuelle à l’écart de la visibilité urbaine. Ethnographie d’une minorité sexuelle masculine dans la Drôme », Tracés, n°130, p. 79-102, 2016.

RAVIER Axel, 2022, « It’s not about surviving, it’s about protecting ourselves”: an exploratory field study on male homosexuality in French working-class neighbourhoods » dans Marianne Blidon et S Brunn (eds.), Mapping LGBTQ Spaces and Places - A Changing World, New York, Springer.

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