L’héritage colonial et les fractures d’un territoire insulaire
Au 8ᵉ siècle, Mayotte est habitée par des populations bantoues, qui se sont installées sur l’île après s’être étendues de l'Afrique centrale vers l'Afrique de l'Est et les îles de l'océan Indien. Ces première·es habitant·es sont des agriculteurices et des pêcheureuses qui apportent avec elleux des pratiques culturelles, linguistiques et agricoles adaptées à la vie insulaire.
Des échanges maritimes avec des marchand·es arabes et swahilis se créent et permettent à l’île de se développer culturellement et économiquement, jusqu’à devenir, au 15e siècle, un lieu d’influence au sein du réseau commercial de l’océan Indien. Mayotte est à cette époque gouvernée par des sultans locaux, principalement issus des migrations de l'Afrique de l'Est et des Comores voisines.
Au 19e siècle, la France en pleine expansion impérialiste, envie l’emplacement stratégique de l’île. En 1841, elle profite de la situation affaiblie du sultan Andriantsouli en difficulté face à des rivalités locales et des menaces extérieures, pour lui extorquer l’île contre des promesses de protection militaire et le maintien de son autorité locale. Les circonstances de cette cession sont propres aux dynamiques de domination des puissances de la période coloniale face aux souverains locaux. Bien loin de tenir ses promesses de protection, la France profite de cette inégalité de pouvoirs pour marginaliser les élites locales, faire taire les aspirations de la population et asseoir sa domination en intégrant Mayotte à son système colonial.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Comores (dont Mayotte fait partie) réclament leur indépendance. En 1974, la France organise un référendum sur l'indépendance de l'archipel; mais plutôt que de reconnaître l’archipel comme une entité unifiée, la France accepte les résultats île par île, ce qui aboutit à la séparation de Mayotte des Comores. En effet, si trois des quatre îles (Grande Comore, Mohéli et Anjouan) votent en faveur de l'indépendance avec une majorité écrasante, Mayotte, elle, sous l’influence de mouvements locaux qui craignent une marginalisation au sein d’un État comorien indépendant, vote à 63,8 % pour rester française. La stratégie coloniale de l’Etat Français s’avère donc gagnante une fois de plus: en rendant l’île dépendante économiquement et socialement et en divisant les votes de l’archipel, elle parvient à préserver son emprise stratégique et ses intérêts dans la région.
Malgré les différentes résolutions de l’ONU (1975, 1976, 1979, 1980 et 1981) appelant à respecter l’unité de l’archipel et affirmant que Mayotte appartient aux Comores, la France donne à Mayotte le statut de collectivité en 1976, puis de département en 2011. Cependant, même si Mayotte devient partie intégrante de la République française d’un point de vue juridique et administratif, elle reste victime de profondes et importantes inégalités socio-économiques par rapport à la métropole et aux autres départements français.
Une départementalisation sans égalité : le présent contrasté de Mayotte
En effet, malgré son statut de département français, Mayotte reste le territoire français le plus pauvre, avec des écarts frappants par rapport à la métropole et aux autres DOM.
- Selon une étude de l’INSEE en 2020, 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté (contre environ 14% en métropole, et 30% dans les autres DOM). En 2018, le revenu médian à Mayotte était de 260€ par mois, bien en dessous du revenu médian métropolitain de 1.770€.
- En 2022, le taux de chômage sur l’île est d’environ 30% contre 7% en métropole. De plus, une grande partie de la population active travaille dans des secteurs non déclarés, sans aucune protection sociale.
- Par ailleurs, environ 40% des habitant·es vivent dans des logements insalubres ou informels, souvent dans des bidonvilles. En 2020, 25% des habitant·es n’ont pas accès à l’eau potable à domicile, et les coupures d’eau sont fréquentes.
- En parallèle, Mayotte connaît une forte croissance, sa population passe de 131.000 en 1991 à environ 310.000 habitant·es en 2022. Selon l’INSEE, 50% des habitant·es ont moins de 17 ans, ce qui exerce une pression énorme sur les écoles et les services publics.
Bien qu'en hausse, le taux de scolarisation reste faible, avec des problèmes de surpopulation dans les écoles. En parallèle, les structures médicales sont insuffisantes. L'unique hôpital de l’île est souvent débordé, et les conditions sanitaires sont précaires. Même si des prestations sociales comme le RSA ont été introduites, elles sont versées à des taux inférieurs à ceux de la métropole.
La départementalisation de Mayotte en 2011 fait miroiter aux mahorais·es une avancée sociale et politique majeure. Cependant, cette intégration administrative s'avère uniquement une manière de plus pour l’Etat français, dans la prolongation de son passé impérialiste, de conserver une position stratégique dans la région d’un point de vue politique et commercial comme le prouvent le désintérêt et le mépris des différents gouvernements français pour les défis socio-économiques colossaux que rencontrent l’île et sa population.
Cyclone et néocolonialisme : les enjeux climatiques et politiques à Mayotte
Le cyclone Chido qui a récemment ravagé l’île et les réactions qui ont suivi ont révélé que, bien loin de reconnaître sa responsabilité dans les causes écologiques du cyclone et dans les lourdes conséquences et pertes humaines et infrastructurelles liées au fait que le département n’était pas du tout préparé à ce genre d'événements météorologiques, la classe politique française préfère jeter l’opprobre sur les habitant·es, les migrant·es et se comporter en paternaliste néocolonialiste.
Pourtant, la crise écologique globale que nous traversons aujourd'hui est un héritage direct du colonialisme. Dès 1492 et le début de la colonisation, les royaumes européens s'accaparent les terres des continents colonisés pour en exploiter les ressources à moindre coût. Ils imposent une agriculture intensive, la plantation, qui elle-même s'appuie sur l'exploitation des populations locales : l'esclavage. Une double exploitation se met alors en place : celle de la nature et celle des populations noires et autochtones.
Aujourd'hui, les spécialistes comme la journaliste Christelle Gilabert, considèrent que les richesses accumulées par les empires coloniaux grâce à ces plantations esclavagistes ont permis la révolution industrielle européenne du 18e siècle, à l'origine de la crise écologique actuelle. Ce sont aujourd'hui ces territoires anciennement colonisés, comme Mayotte, qui font face aux plus graves conséquences du changement climatique, alors qu'ils ont le moins contribué à l'exploitation des ressources et des peuples.
En surexploitant les ressources naturelles des territoires colonisés (agriculture, mines, forêts), les puissances coloniales ont contribué à la déforestation massive et à la perte de biodiversité, exacerbant les effets du changement climatique. Depuis la Révolution industrielle, les pays industrialisés, dont la France, sont responsables de 90 % des émissions de CO₂ (Carbon Brief, 2021), tandis que les États insulaires comme Mayotte, bien qu'ils émettent moins de 0,03 % des émissions mondiales, subissent les conséquences les plus graves. Selon le GIEC (2021), la fréquence des cyclones de forte intensité a augmenté dans les régions tropicales, notamment dans l’océan Indien. La température moyenne de l’eau de mer, qui dépasse désormais 28 °C dans certaines zones, alimente les cyclones, les rendant encore plus destructeurs.
Le cyclone Chido qui a frappé Mayotte en décembre dernier et a fait 39 morts, 4.260 blessé·es dont 124 graves, un nombre toujours incertain de personnes portées disparues, est donc la conséquence du comportement de la France depuis l’époque coloniale jusqu’à aujourd’hui.
Les priorités des gouvernements de l’époque coloniale : extraire les richesses pour la métropole plutôt que de développer des systèmes durables pour les populations locales, ont créé une dépendance économique sur le long terme. Les infrastructures, souvent minimales dont ont été équipées ces régions les rendent vulnérables aux catastrophes naturelles. À Mayotte, cela se traduit notamment par un réseau d'eau potable inadapté, des digues insuffisantes, des logements très précaires et l’abondance de bidonvilles.
Après le passage du cyclone Chido, des routes, des écoles, et les réseaux d'eau potable se sont retrouvés endommagés ou détruits affectant directement des milliers de familles, les laissant sans-abris et sans accès à l’eau potable. De plus, une grande partie des cultures vivrières (manioc, bananes) a été détruite, aggravant l'insécurité alimentaire locale.
Discours politique français : mauvaise foi et culpabilisation
Mais, plutôt que de reconnaître la responsabilité historique de la France dans la fragilité environnementale, structurelle et humaine du territoire qu’elle a colonisé et de chercher des solutions durables, la classe politique française préfère tenir des propos et des attitudes méprisants et se focaliser sur l'immigration clandestine.
En effet, lors de sa visite à Mayotte en décembre 2024, Emmanuel Macron a tenu des propos déconnectés des réalités locales, soulignant par exemple que « l’État fait des efforts considérables pour vous » alors que les aides financières et les investissements ne sont pas du tout les même que pour les départements de l’hexagone (cf. plus haut) et qu’ils interviennent après des décennies de négligence. De plus, quand il déclare que « l'île ne peut avancer qu'avec des efforts collectifs », il déresponsabilise totalement l’État sur le manque d'accès à l’eau potable, les logements précaires et les difficultés structurelles de l'île. Enfin les commentaires sur la « nécessité d’intégration républicaine » émanant d’autres personnalités politiques, en plus de témoigner d’une volonté d’occulter les spécificités culturelles et historiques de Mayotte, sont clairement hors sujets.
Ces propos auraient-ils été tenus si Bastia ou St Malo s’étaient retrouvées ravagées par un cyclone ? D’une manière générale, ces réactions rappellent une vision où l’État français se positionne en "sauveur" des anciennes colonies ou territoires ultramarins, sans considérer leur rôle dans les difficultés économiques et climatiques actuelles. La question de la dépendance économique et institutionnelle de Mayotte vis-à-vis de la métropole n’est jamais abordée comme un héritage direct de la colonisation, renforçant ainsi une posture néocoloniale.
En parallèle, plusieurs responsables politiques, notamment issus de la droite et de l'extrême droite, se sont empressé·es d’utiliser le cyclone pour insister sur les problèmes liés à l'immigration clandestine à Mayotte. Par exemple, Éric Ciotti, a affirmé que « les infrastructures sont saturées à cause d'une immigration massive incontrôlée », occultant les responsabilités de l’État dans l'insuffisance des investissements. Pour rappel, il n’existe qu’un seul hôpital à Mayotte pour 310.000 habitant·e. À population équivalente avec 328.000 habitant·es, le département de l’Ain en compte trois avec des structures complémentaires : cliniques privées, centres médicaux et maisons de santé. Marine Le Pen a quant à elle déclaré que « Mayotte ne pourra jamais se relever tant qu’elle restera envahie par des étrangers », détournant l’attention des vraies responsables de la situation à Mayotte : l’impact climatique et les causes structurelles de la pauvreté dont la France est responsable.
Reconnaître que la France, comme d’autres puissances industrielles, est historiquement responsable du réchauffement climatique remettrait en question les fondements du capitalisme et de l’exploitation des ressources des territoires ultramarins. En se concentrant sur l’immigration, les responsables politiques détournent l’attention de la responsabilité de l’État français. En évitant les débats sur le manque d’investissement dans les infrastructures qui les mettraient à mal, la crise climatique et les retards dans la transition écologique sont relégués au second plan.
Il ne faut jamais oublier que les crises humanitaires à Mayotte sont largement liées à des politiques coloniales passées et à des décennies de sous-investissement. Cette réalité n’est jamais abordée, car elle implique une remise en cause profonde des relations entre la métropole et ses territoires ultramarins. Il est plus qu’urgent de reconnaître la responsabilité historique de la France dans la fragilité environnementale, structurelle et humaine du territoire qu’elle a colonisé et de chercher des solutions durables. La Pride des banlieues affirme son soutien aux mahorais·es et à la lutte décoloniale de tous les peuples oppressés.