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Billet de blog 21 avril 2015

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Que révèle l'anticommunisme de François Hollande ?

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Que révèle l’anticommunisme de François Hollande ?

Dimanche 19 avril sur Canal+, François Hollande a cru bon d’assimiler le discours du Parti communiste français dans les années 1970 et celui de Marine Le Pen aujourd’hui.  Beaucoup à gauche s’indignent de cette comparaison calomnieuse. Nous partageons cette indignation, et nous pensons aussi que ces propos méritent une analyse approfondie, car ils révèlent des aspects importants du positionnement politique de François Hollande.

Pourquoi François Hollande a-t-il cru bon d’attaquer ainsi le Parti communiste français, en assimilant son discours à celui du FN ? Quels sont ses raisons et ses objectifs à travers un tel discours ? Quel risque fait-il courir à la gauche toute entière ?

Une calomnie

Même si plusieurs textes, dont l’interview de Roger Martelli dans Le Monde, ont déjà démontré en quoi cette comparaison était totalement infondée, il  nous semble important d’y revenir brièvement. En effet, s’il est vrai que Marine le Pen voudrait pouvoir s’emparer d’une partie du discours classique de gauche, c’est uniquement en l’intégrant dans un projet nationaliste, xénophobe et hostile aux plus pauvres qualifiés d’ « assistés ». Par conséquent, elle énonce un discours politique foncièrement différent de PCF des années 1970 qui entendait étendre la République sociale par le marxisme, par la propriété commune des moyens de productions. Or, Marine Le Pen n’est pas marxiste, elle est fasciste car elle rêve d’un capitalisme national autoritaire et xénophobe.

Pourtant, malgré l’évidence, François Hollande,  dirigeant du Parti socialiste depuis des décennies, et côtoyant les communistes depuis aussi longtemps, en arrive à produire ce type de fausse analyse. C’est d’autant plus étonnant que François Hollande a connu l’époque du programme commun : c'est-à-dire précisément les années 1970 au cours desquelles le Parti socialiste et le Parti communiste français ont élaboré ensemble un programme de gouvernement. Ce programme visait à installer un socialisme démocratique en France, dans le cadre d’une économie mixte ; et ce programme contenait l’abolition de la peine de mort et le droit de vote des étrangers aux élections locales (promesse non tenue de François Mitterrand et de François Hollande).

François Hollande a donc suffisamment de vécu et de culture politique pour savoir ce qui différencie le PCF et le FN. D’un côté, un parti issu de la Résistance et des luttes anticolonialistes ; de l’autre, un parti fondé par un ancien bourreau de la guerre d’Algérie, en compagnie d’une bande de collabos, de royalistes et d’intégristes hostiles à Vatican II, et qui ont en commun jusqu’à aujourd’hui, au-delà des évolutions de façade, la volonté de rompre avec la République universaliste pour lui substituer un projet politique fasciste.

Les raisons

Trouver des excuses aux défaites du PS ?

François Hollande a peut-être simplement répété l’une des excuses trouvées par les éléphants socialistes du Pas-de-Calais pour justifier leurs nombreuses défaites face au FN dans le bassin minier ? Ces défaites sont peut-être d’autant plus amères que dans le département voisin du Nord  le PCF a gagné tous ses duels contre le FN dans le bassin minier. Il s’agirait simplement de se voiler la face sur les raisons de la désaffection des électeurs pour le PS, comme sur celles du succès du FN.

Plaire à ses électeurs supposés ?

Nous pouvons aussi postuler que, s’exprimant sur Canal +, la chaîne supposée incarner la gauche "moderne", François Hollande estime que renvoyer le FN à une forme de ringardise et de passéisme est un argument assez efficace pour mobiliser les bataillons de CSP+ et d’étudiants sur lesquels il compte pour sa réélection. En effet, en bon disciple de Terra Nova il tient sans doute pour fait acquis et indépassable le fait que les classes populaires s’abstiennent ou votent pour le FN. Ainsi dans l’énoncé de François Hollande, dire « le PCF des années 70 » ne renverrait pas tant à une analyse du programme du PCF à cette époque,  qu’à la convocation d’un imaginaire de gauche spécifique dont il veut se distinguer : la centralité de la classe ouvrière, le patriotisme économique, etc. 

Produire une nouvelle division politique : les anciens contre les modernes.

Mais en réalité, cette vision n’est pas seulement censée plaire à un public salarial et électoral, individualisé et fantasmé. Nous pensons qu’elle révèle en profondeur l’affrontement que François Hollande veut mettre en scène dans l’arène politique: un combat des modernes contre les anciens. A la tête des Valls, Macron, Sapin, Moscovici et soyons justes ajoutons-y Gattaz, François Hollande porterait haut le combat de la liberté contre les archaïques. Ces derniers sont pêle-mêle les socialistes frondeurs, les économistes atterrés, le Front de Gauche, la gauche d’Europe-Ecologie, les syndicalistes ; bref la gauche, que François Hollande, à l’exemple des médias dominants, assimile au FN.

Un tel énoncé pourrait produire deux effets de délégitimation: d’une part le FN est renvoyé au passé : il n’aurait pas d’avenir car il produirait un discours d’une autre époque, et serait donc appelé à disparaître de lui-même ; d’autre part tout programme protectionniste de gauche (tel que celui du PCF dans les années 1970) est assimilé au FN : c’est-à-dire à la fois renvoyé au passé et délégitimé moralement.

L’effet global recherché est donc celui de l’établissement d’une nouvelle division politique : au clivage droite-gauche se substitue celui des anciens et des modernes. Les anciens sont les extrêmes » supposés avoir le même discours, et les « modernes » sont ceux qui gouvernent en appliquant fidèlement TINA : There is no alternative.

Songeries  de François Hollande

Finalement à partir de cette simple phrase, nous pourrions aussi imaginer à quoi François Hollande a- pu songer lorsqu’il a appris le résultat des élections départementales, et singulièrement lorsqu’il a eu au téléphone Daniel Percheron ou un autre éminent cumulard socialiste du Nord-Pas-de-Calais se lamentant des ravages du vote FN.

Il a bien sûr ressenti une profonde lassitude. François Hollande est las de cette gauche qui lui réclame une politique pour laquelle elle a cru voter. Il a bien voulu faire un effort pendant la campagne, en faisant un beau discours au Bourget, mais une fois au pouvoir il entend qu’on lui laisse mener sa politique néolibérale, la seule à laquelle il croit. Que dans les régions les plus touchées par le chômage le vote FN soit particulièrement fort ? Il y voit l’effet de la survivance malheureuse d’une classe ouvrière, à l’inconscient communiste encore agissant. Il a bien hâte qu’ils disparaissent tous enfin ces ouvriers qui l’ennuient, puisqu’il ne prendra aucune mesure pour eux. Il attend, tranquille comme Louis XVI, que les jeunes cadres dynamiques de Google qui ne jurent que par la flexibilité et la libre-circulation des capitaux, deviennent enfin l’unique expression du salariat, où à défaut l’expression majoritaire du vote si les classes populaires s’abstiennent suffisamment. A ces gagnants de l’économie qu’il s’emploie à choyer, il en veut d’ailleurs un peu de s’être massivement tournés vers l’UMP. Pourquoi n’ont-ils pas plus voté pour lui alors qu’il a tant fait pour eux ? Les ingrats ont préféré l’original libéral de droite à sa pourtant belle copie tout autant libérale, il est vrai encore maculée du nom de « Parti socialiste ». Il en faudra encore plus…comme l’aboient toujours les nouveaux chiens de garde du capital. Mais peut-être qu’il devrait aussi écouter l'économiste critique Frédéric Lordon, lorsque ce dernier rappelle que « la liste des cadeaux de Noel des capitalistes est infinie » ( lors de son débat avec Thomas Piketty, ce dernier étant un vrai social-démocrate contrairement à Hollande: http://www.lesinrocks.com/2015/04/18/medias/frederic-lordon-debat-avec-thomas-piketty-suite-a-sa-charge-virulente-contre-le-capital-au-xxie-siecle-11742861/ ); d’autant qu’en face, l’UMP s’emploie à gonfler sa hotte pour faire bonne mesure. Son malheur, pense-t-il , c’est d’avoir cette étiquette de gauche que tous ses actes d’amour à l’entreprise ne parviennent pas à effacer.

Les dangereuses conséquences d’une dérive politique

François Hollande, aidé de ses psychanalystes Valls et Macron, s’emploie à se libérer du surmoi de gauche. Il veut être le moderne, l’homme de l’avenir : et il espère ainsi triompher de tous ses adversaires : être plus compétitif que l’UMP, plus efficace que l’autre gauche et renvoyer le FN dans les oubliettes de l’histoire. Mais ce pari de la mise en œuvre d’un nouveau clivage est risqué : il semble ignorer que le fascisme n’est pas historiquement une pensée passéiste de la tradition, mais au contraire un phénomène totalement moderne, qui émerge et croît lors des périodes de crise du capitalisme, notamment lorsque la gauche échoue à porter un projet majoritaire, qu’il soit réformiste ou révolutionnaire. Vouloir assimiler dans une même ringardise FN et communisme révèle donc une triple faute : confondre volontairement la haine et l’aspiration à l’émancipation, sous-estimer l’efficacité contemporaine du FN,  et vouloir tuer l’idée de gauche en incarnant mieux que la droite les intérêts du capital.

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