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Billet de blog 20 novembre 2025

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Aujourd’hui c’est le TDOR mais tout le monde s’en fout

Deux mois après la canonisation médiatique de Charlie Kirk en martyr de la « guerre culturelle », le TDOR - journée de commémoration des personnes trans mortes - se déroule dans un quasi-silence médiatique et politique. Au-delà des postures morales, la gauche a encore du mal à construire des luttes offensives.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a deux mois l’assassinat de Charlie Kirk, militant d’extrême droite américain, faisait les gros titres. La mort de celui qui déversait quotidiennement sa haine masculiniste et transphobe dans les médias, est pour Donald Trump un symbole, une sorte de signe annonciateur de l’apocalypse woke. Les « légions d’extrême gauche » suivant « l’idéologie du diable » ont fini par tuer (1). En France l’extrême droite politique et médiatique a sauté sur l’occasion pour chercher à organiser de nouvelles paniques morales sur la prétendue violence des personnes trans et de leurs allié·es à grand renfort de fake news, d’informations non vérifiées et de raccourcis. Point d’orgue, la découverte d’une colocataire trans au présumé coupable. Ni une, ni deux, celle-ci devenait coupable par procuration et avec elle toutes les personnes trans. 

Fallait-il tuer ou débattre avec Charlie Kirk? 

Un contre-feu a été proposé par la gauche, s’attachant à remettre les faits au cœur du débat. Non, les personnes trans ne sont pas des meurtrières. Le meurtrier  présumé de Charlie Kirk n’est pas une personne trans. Sa proximité avec sa colocataire ne sont pas des facteurs suffisamment déterminant pour un passage à l’acte, dans un pays où la violence est banalisée. Il n’était par ailleurs proche d’aucune organisation collective : à l’instar de Luigi Mangione, cet acte relève plus de l’impuissance politique que d’une démarche militante.

Cette violence a été un point de cristallisation, y compris à gauche. Sous la pression de l’extrême droite, beaucoup se sont empressés de condamner le meurtre, reprenant le narratif imposé : « On ne tue pas quelqu’un pour ses idées, on débat avec lui ». Vraiment ? 

Tuer quelqu’un n’est effectivement pas une solution politique. Rien n’oblige pourtant à tordre le débat dans l’autre sens et d’en appeler à la discussion apaisée avec quelqu’un qui, par ses idées, est responsable de l’augmentation des violences transphobes, y compris de meurtres. Non, on ne cherche pas à répondre sur le terrain des idées à une extrême droite qui retire leurs passeports aux personnes trans et les poussent à la clandestinité. On ne discute pas, on oppose un contre-projet, de la solidarité et de l’action collective.

Pour ne plus compter nos mort·e·s, sortir de la morale et du concernisme

Deux mois après, le TDOR - Trans Day Of Remembrance, journée du souvenir trans - a lieu dans un contexte de constante augmentation des violences transphobes, en France comme partout dans le monde. Les plateaux télé sont toujours submergés par les discours haineux, alors que les agressions, violences sexuelles et meurtres se banalisent toujours dans l’indifférence des médias mainstream. Acceptes-T et le FLIRT ont recensé cette année 25 mort·e·s dont 19 suicides, sans que cela ne suscite l'indignation médiatique. Ces mort·e·s sont la conséquence dramatique directe du déferlement de haine orchestré par Kirk et ses avatars. Cette haine entraîne isolement, marginalisation et ostracisation.

Il y a un an et demi le Sénat a approuvé la loi d’interdiction des transitions pour mineurs. Si elle n’a toujours pas été débattue à l’Assemblée nationale, ce vote donne la mesure des violences à venir si l’extrême droite prend le pouvoir en France. 

Le débat autour de la condamnation de l’assassinat de Charlie Kirk révèle l’absence de considération d’un sujet politique trans. De manière générale, ce ne sont pas les personnes trans, pourtant ciblées, à qui on a demandé leur avis sur la question. En lieu et place certaines voix à gauche se sont élevées sur le mode de la morale, opposant aux discours nauséabonds un désodorisant bienveillant et inclusif. Une gauche raisonnée, qui condamne les violences, débat, protège, mais a encore du mal à faire le pari de nous donner notre totale agentivité. De part et d'autre, on produit toujours des politiques et discours sur nos vies : nous sommes soit éterne·le·s coupables, soit continuelles victimes, dans les deux cas toujours essentialisé·e·s et réduit à une fonction, à purger ou à sauver. 

Il ne s’agit pourtant pas en retour de demander un soutien passif des “non concerné·e·s” ni d’être des « allié·e·s » devant se positionner, écouter, relayer. Cette posture est autant inefficace que le moralisme surplombant, puisqu’elle conditionne la parole et la stratégie politique à l’identité. A l’heure où on continue à nous tuer, nous priver de droit et se servir de nous pour avancer des agendas réactionnaires, la solidarité active de l’ensemble des mouvements de gauche est essentielle. 

Plus encore, des initiatives politiques offensives devraient être prises, quel que soit le degré de “concernisme”. Or c’est précisément cela qui fait cruellement défaut. Soit on parle sur nous, soit on nous écoute, mais jamais personne n’agit. C’est se faire, ensemble, qui aujourd’hui devrait être au centre des politiques trans : avancer contre les violences, vers un horizon désirable. Imbriquer la pensée dans l’action, penser des stratégies communes, généraliser la théorie ancrée.

En définitive, construire des fronts politiques, médiatiques et sociaux permettant, dans le même geste, de défendre un imaginaire collectif positif et de gagner de nouveaux droits. Et peut-être, un jour, enfin, arrêter de compter nos mort·e·s.

Arya Meroni

Si vous avez aimé lire cet article, soutenez le lancement de Problematik, média queer pour dégager l'horizon. Campagne de financement en cours sur Ulule : 

https://fr.ulule.com/problematik-media-queer-lancement/ 

1/ Donald Trump, 14 octobre 2025, lors de la cérémonie d’hommage à Charlie Kirk.

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