« Ça vous choque ? Ben c’est ce qu’on a reçu cette nuit » : samedi 8 novembre, le bar La Mutinerie partageait sur son profil instagram l’image d’un drapeau des fiertés arc-en-ciel piétiné par une bottine noire. Cette image a été ajoutée dans la nuit au profil google du bar par un homme contre lequel l’équipe de la Mutinerie indique avoir déjà porté plainte « pour des propos menaçants récurrents ». Iels n’ont jamais eu de de nouvelles de cette première plainte.
Homophobie au comptoir
Ouvert depuis treize ans en plein cœur de Paris, la Mutinerie subit régulièrement des actes malveillants qui caractérisent un harcèlement LGBT-phobe : mails menaçants et commentaires haineux en ligne, jets d'eau sale, javellisée, sacs fermés remplis d'eau, jetés par le voisinage au-dessus... Ce cas n’est pas isolé. D’autres établissements sont concernés mais peu osent s’exprimer sur ce sujet. Par peur d’effrayer la clientèle, ou par peu d’espoir que la médiatisation de ces actes change quelque chose. De surcroît, les bars LGBTQ se trouvent dans une situation délicate : comme tous les lieux de nuit, ils sont assujettis à des normes pour limiter les nuisances sonores. Or, aujourd’hui, la tolérance au « bruit » n’est pas la même selon les populations concernées en témoignage le couvre-feu imposé aux coiffeurs afro de Château d’Eau en septembre.
Harcelé depuis son ouverture il y a deux ans, le Merci·Marsha a choisi de rompre le silence sur sa situation en juin. Ce bar queer du XIème arrondissement subit les mêmes actes que la Mutinerie. Leur prise de parole publique a permis d’obtenir un soutien de la mairie, mais avant cela, leurs plaintes n’ont pas été prises ou classées sans suite. A contrario, la Préfecture a choisi d’imposer au bar la pose d’un limiteur de son coûtant 6 500€, suite à une plainte anonyme du voisinage. La police a pourtant contrôlé le bar plus d’une quarantaine de fois sans y constater de problème de bruit.
La police française, agent de la répression homophobe
Ce contrôle exercé sur un bar rappelle la longue histoire homophobe de la police. Son action constitue même la spécificité de l’histoire française de la répression de l’homosexualité masculine au XXème siècle : avant 1942, aucun texte de loi ne criminalise les relations entre personnes de même sexe, mais la police contrôle « les outrages public à la pudeur », avatar modernisé des « crimes de sodomie » du code Napoléon.
C’est pour « constater ce délit » que la police française s’est glissée dans nombre de bars, bains et lieux privés. Ce harcèlement a donné lieu à « l’affaire des backrooms » : au printemps 1977, quelques agents « déguisés » en homosexuels s'introduisent dans les backrooms du bar le Manhattan pour ensuite rafler neufs clients et les gérants du lieu. Le procès est très médiatisé, et cette histoire – beaucoup moins connue que la descente ayant entraîné les émeutes de Stonewall – devient une « pierre rose » de notre histoire LGBT. Elle raconte quelque chose de spécifique à notre contexte culturel qui n’a pas tant évolué…
Une histoire très actuelle
Début 2025, une loi de reconnaissance pour les personnes qui ont été condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 a été proposée, elle doit être examinée par l'assemblée nationale. Or le cadrage de cette loi autour d’une loi liée au régime de Vichy occulte un grand pan de l’histoire de la répression de l’homosexualité… et évite ainsi toute discussion sur l’homophobie d’État et ses conséquences dans le fonctionnement nos institutions.
Ce qui aboutit à des impasses comme la situation dans laquelle se trouvent les gérant·es de bar LGBT : la plainte est le principal moyen de faire appliquer les lois contre les discriminations mais la police minimise les violences LGBT-phobes et continue elle-même de harceler ces lieux. Sans réponse politique transversale, l’impunité continuera de fragiliser des espaces de sociabilités précieux et les communautés accueillies en leur sein.
Apolline Bazin
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Sources :
Le procès des backrooms, Affaires sensibles, France Inter (2024)
« Pédés : réinventer le monde », Épisode 2/4 : Les pédés et la police, de Mathieu Foucher France Culture (2024)
L’inspecteur et l’inverti, Romain Jaouen (Presses Universitaires de Rennes, 2018)
Réprimer et réparer - une histoire effacée de l’homosexualité, Antoine Idier (Textuel 2025)
Quand nos désirs font désordre: Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986, Mathias Quéré (Lux Éditeur, 2025)