Après la censure du gouvernement Barnier, on reste à l’assemblée nationale avec 3 blocs quasi équivalents et apparemment irréconciliables. Toute évolution politique parait bloquée, c’est l’impasse. Pourtant il ne manque pas ici et là de personnes de bonne volonté qui se disent prêtes à négocier des compromis et participer à un gouvernement provisoire, si possible jusqu’en juin 2025 où une nouvelle dissolution sera possible. On en appelle au « front républicain », mobilisation des forces démocrates pour faire barrage à l’extrême droite. Mais deux personnages, Macron à droite et Mélenchon à gauche, s’opposent à cette mobilisation en refusant toute forme de compromis.
Macron campe sur sa doctrine, le néolibéralisme, version radicale du libéralisme économique centrée sur la politique de l’offre. Dans cette doctrine ce sont les marchés du capital, du travail et du commerce qui déterminent le meilleur équilibre de l’économie. L’état ne doit rien faire qui puisse entraver la libre concurrence des marchés mais doit favoriser les entreprises et l’investissement. Pour cela il baisse les prélèvements, impôts et cotisations sociales, et assoupli le droit du travail. Flexibilité du travail et compétitivité des entreprises constituent le mantra du discours néolibéral. L’argent public est dirigé vers les entreprises au détriment des services publics et de la protection sociale. Vendue initialement sous l’étiquette de social-libéralisme, le « en même temps » de 2017, cette politique économique s’avère radicalement libérale et franchement antisociale.
Le bilan de cette politique, sanctionnée par la crise des gilets jaunes et la séquence électorale de juin-juillet 2024, est peu glorieux. Les finances publiques sont dans le rouge avec un endettement de plus de 3000 milliards soit 112 % du Produit Intérieur Brut (PIB). Tous les services publics sont dégradés, les dispositifs de protection sociale sont réduits, le pouvoir d’achat des citoyens baisse et la transition écologique est en panne. Outre ces effets délétères on constate l’échec des objectifs de la politique de Macron : la croissance est faible, le chômage stagne, les fermetures d’usines et les faillites d’entreprises se multiplient.
Malgré ces résultats, Macron s’entête dans la défense de sa doctrine : l’enrichissement des riches et des entreprises doit profiter au bien commun, et il cherche par tous les moyens un gouvernement qui poursuive sa politique. Pour lui il n’est pas question d’envisager une politique redistributive qui taxe les riches et le capital pour redonner du pouvoir d’achat aux plus modestes et sauver les services publics. On a l’impression d’être face à un biais cognitif d’aveuglement idéologique. Macron est unanimement reconnu comme très intelligent ; auto-convaincu de cette qualité il ne peut pas se tromper. Persuadé que le néolibéralisme est la meilleure politique économique, voire la seule possible, il ne saurait en changer ; c’est devenu un acte de foi qui alimente sa personnalité narcissique.
L’obstination de Mélenchon est d’une autre nature. Elle relève du calcul politique et de sa stratégie de conquête de la présidence de la république.
Le grand mérite de Jean-Luc Mélenchon est d’avoir su rassembler des personnes déterminées à combattre le libéralisme économique qui aggrave les inégalités sociales et détruit l’environnement. Cette offre politique tendait à compenser la déliquescence du PCF, à ancrer l’écologie dans sa dimension économique, et à suppléer à la frilosité des socio-démocrates dont beaucoup ont accepté l’économie de marché comme norme politique. Mélenchon, par ses talents de tribun et de débatteur, a su faire exister et reconnaitre cette force antilibérale nécessaire et l’a portée haut lors des élections présidentielles de 2022.
Cependant, certaines positions affichées par Mélenchon posent question. Il n’a pas condamné l’annexion de territoires ukrainiens par la Russie en 2014, et s’est efforcé de justifier l’attitude agressive de Poutine en renvoyant la cause du conflit sur l’OTAN. Certes la gauche s’est toujours défiée de l’impérialisme américain mais le monde a changé et cette défiance relève plus d’un biais cognitif que d’une analyse géopolitique lucide. Vladimir Poutine est un dictateur nationaliste qui s’appuie sur une oligarchie capitaliste pour combattre les démocraties en commençant par l’Ukraine. Dans le même esprit Mélenchon préfère soutenir la dictature corrompue de Nicolas Maduro que de voir émerger une solution démocrate au Venezuela. Sa complaisance pour le Hamas peut aussi s’expliquer par sa profonde aversion pour les USA, principal soutien d’Israël. Il s’y ajoute un enjeu de tactique électorale en direction des populations musulmanes des quartiers populaires. Pourtant on voit bien que la guerre israélo-palestinienne est une tragédie ou s’affrontent deux nationalismes religieux. Dans les deux camps, les extrémistes ont pris le pouvoir et usent de violence et de crimes pour détruire l’autre. Un humaniste devrait opter pour la paix en condamnant les nationalistes des deux bords.
Mélenchon est aussi devenu un obstacle pour l’accès de la gauche au gouvernement. Sur le fond, Mélenchon est un homme autoritaire qui a gardé des réflexes lambertistes : c’est le chef qui détermine la ligne du parti, il ne doit pas y avoir de courants ni de tendances, en cas de désaccord on est exclu. Certains membres éminents de LFI se sont plaints dans la presse du manque de démocratie interne du parti : pas de congrès, pas d’élections, membres de la direction choisis par le chef, etc. On l’a vu régler des comptes en refusant l’investiture du NFP à des députés sortants LFI qui avaient pu exprimer des points de vue différents des siens. Cette pratique des purges rappelle sinistrement la période des procès de Moscou où Staline se débarrassait des bolchéviques gênants et des généraux compétents. Cette tendance autoritaire s’exerce aussi sur ses partenaires des coalitions de gauche. Dès la constitution de la NUPES pour les législatives de 2022, on a vu Mélenchon imposer une répartition des investitures fondées sur les seuls résultats de l’élection présidentielle sans prendre en compte l’implantation locale de ses partenaires. De la séquence électorale de 2022 s’est répandue l’idée que Mélenchon avait sauvé la gauche alors qu’elle n’a contribué qu’à conforter LFI au sein de la gauche. Les législatives de 2024 ont contribué à rééquilibrer la gauche par l’augmentation du nombre de députés du PS et de l’écologie. La position radicale de Mélenchon au soir du deuxième tour n’a pas été discutée avec les autres partis du NFP. Ils ont vu d’emblée qu’il faudrait s’ouvrir à d’autres partenaires, tels que l’aile gauche de la macronie, pour constituer une majorité sur des projets et accepter des compromis. Ce véto sur l’ouverture politique s’est prolongé dans les discussions sur le choix d’un potentiel premier ministre qui ne pouvait être que LFI ou LFI compatible. Cet entêtement a permis à Macron de reprendre la main, de sauver sa politique néolibérale et de donner à la France le gouvernement le plus à droite depuis 1944, avec le soutien passif de l’extrême droite. Ce gouvernement est tombé mais Mélenchon persiste à refuser de discuter dans le cadre du front républicain et en appelle à la démission de Macron. On voit bien le calcul qui repose uniquement sur son ambition présidentielle. Il redoute qu’une séquence législative en 2025 profite aux socio-démocrates au détriment de LFI, avec perte de son hégémonie personnelle sur la gauche et de ses chances aux élections présidentielles de 2027. Ce biais de narcissisme politique l’amène à une position d’intransigeance qui devient un obstacle pour une victoire électorale de la gauche.
Ce combat entre deux egos narcissiques ne peut qu’être délétère pour la France et sa population. Ce sont les personnes les plus précaires, les plus fragiles qui paieront le prix fort de leur aveuglement. Mais ce n’est apparemment pas leur problème.