Pendant que les français suivent les péripéties des jeux olympiques, plus personne ne parle de politique, du futur gouvernement de la France, de l’extension de la violence au moyen orient vers le Yémen et au Liban, ou de la résistance des ukrainiens à la pression de l’armée russe. Emmanuel Macron avait demandé une trêve olympique, ce premier pari est réussi. Les jeux d’abord, les affaires sérieuses ensuite.
Mais les jeux olympiques sont bientôt finis et la mi-août approche sans qu’on perçoive de solution à la question du gouvernement de la France.
Lors de son interview du 23 juillet, Emmanuel Macron a écarté avec un certain mépris la proposition du Nouveau Front Populaire (NFP) dont toutes les composantes se sont accordées sur le nom de Lucie Castets comme premier ministre. Cette haut-fonctionnaire au cursus brillant est très engagée dans le développement des services publics. Elle affiche des valeurs de solidarité et de justice sociale qui passent par la justice fiscale. Elle se pose en rupture avec le libéralisme économique et répond en cela à la grande majorité des électeurs qui ont sanctionné la politique d’Emmanuel Macron en votant pour la gauche ou pour les nationalistes.
Après avoir écarté l’hypothèse Lucie Castets, Emmanuel Macron nous a expliqué « comment il voit le chemin ». Il s’appuie sur le « front républicain » qui a permis de faire barrage aux nationalistes au deuxième tour des élections législatives. De fait, la plupart des candidats du NFP se sont retirés du deuxième tour quand ils risquaient de faire élire un candidat nationaliste, et une grande partie des candidats de la droite et du centre ont fait la même chose. Les électeurs ont suivi et les nationalistes n’ont pas obtenu la majorité. Avec 143 députés ils se placent après la coalition du NFP (193 députés) et après la coalition de la Macronie (166 députés). Emmanuel Macron en appelle à tous ceux qui ont contribué à l’échec des nationalistes et leur demande de s’entendre sur un programme de gouvernement de large coalition. Dans son imaginaire, ce gouvernement serait forcément centré sur l’ex-majorité présidentielle étendue vers la droite républicaine (47 députés) qu’il courtise depuis des années. Mais il faut aussi séduire une partie de la gauche qui devrait lui fournir au moins 76 députés pour atteindre la majorité de l’assemblée nationale. Une telle coalition ne pourrait que poursuivre la politique néolibérale que les électeurs ont condamné. Ce deuxième pari de Emmanuel Macron a très peu de chance d’être gagné, pour au moins trois raisons.
La première tient dans son interprétation erronée et tendancieuse du front républicain. La première manifestation de cette attitude s’est exprimée au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002 où les électeurs de la gauche et du centre ont voté massivement pour Jacques Chirac pour faire obstacle à Jean-Marie Le Pen qui représentait alors le front national. Le front républicain a été à nouveau mobilisé en 2017 au deuxième tour des présidentielles qui ont vu l’élection d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen. Puis à nouveau au deuxième tour des élections présidentielles de 2022 dans la même configuration et des élections législatives qui ont suivi, avec cependant la perte de la majorité absolue qu’Emmanuel Macron avait obtenue en 2017. Il faut noter qu’entre les deux séquences électorales Emmanuel Macon a perdu des voix aux présidentielles (66,1% puis 58,5% au deuxième tour) et des députés aux législatives (361 puis 250 en 2022). Emmanuel Macron a-t-il compris alors que ce vote des français était à la fois un rejet des nationalistes et un rejet de sa politique néolibérale ? Et bien non ! Il a continué, comme si rien ne s’était passé, à réduire les dépenses publiques en s’attaquant aux dispositifs de protection sociale (retraite, chômage) et en laissant dépérir les services publics. Aujourd’hui, à nouveau, il refuse d’entendre le message des électeurs et souhaite pouvoir poursuivre sa politique avec un gouvernement de large coalition.
La deuxième raison est que la coalition qu’il suggère est une reproduction de sa stratégie du « en même temps » de 2017. Ce coup politique lui avait permis d’attirer dans sa majorité une fraction du parti socialiste et une partie de la droite républicaine. Ces deux mouvements qui rythmaient la vie politique de la 5ième république ont éclaté et perdu leur influence. Or c’est à aux noyaux résiduels de ces groupes que s’adresse Emmanuel Macron aujourd’hui. Ces groupes connaissent le piège et ont tout à redouter, en tant que force politique, à se laisser une nouvelle fois absorber par le président de la république. Ce d’autant plus qu’il y a dans leurs rangs de potentiels candidats à la prochaine élection présidentielle qui ne souhaitent pas se compromettre dans une aventure politique qu’ils ne maitriseront pas.
La troisième raison tient dans l’incompatibilité non dépassable de l’idéologie politique de la droite républicaine avec celle du NFP. La droite souhaite accentuer la politique néolibérale de la Macronie ; elle s’oppose à tout nouvel impôt surtout sur les riches et les entreprises. La gauche souhaite, tout à l’inverse, plus taxer les riches et les entreprises pour financer le travail, la protection sociale et les services publics. On peut imaginer le ralliement de quelques « socio-démocrates » à cette idée de front républicain, mais on voit mal le parti socialiste, qui a été malmené pendant le quinquennat de François Hollande puis pillé par Emmanuel Macron, se résoudre à abandonner ses bases. Quel projet politique pourrait faire consensus entre la droite républicaine et les socio-démocrates ?
Si le front républicain souhaité par Emmanuel Macron ne voit pas le jour, ce qui est probable, quelles alternatives peut-il proposer ?
Certains évoquent un gouvernement « technique » sans définir plus avant ce concept. On imagine un gouvernement constitué uniquement de personnalités de la société civile qui proposerait une politique raisonnable sous l’autorité de Emmanuel Macron. Ça n’a pas grand sens car un gouvernement, même apolitique, devra faire des choix, prendre des décisions et proposer un budget pour 2025. Ce budget aura forcément une couleur politique, probablement néolibérale, et soumis à la censure de l’assemblée nationale.
J’écarte par principe une coalition des libéraux avec les nationalistes qui serait un séisme politique. Il ne reste donc que l’éventualité d’un gouvernement constitué par la première ministre proposée par le NFP et engagé dans une rupture avec le néolibéralisme. Un tel gouvernement pourrait, recevoir le soutien d’une partie de l’ex-majorité présidentielle. C’est très risqué pour la gauche dans le contexte économique qui est défavorable mais c’est peut-être l’occasion de montrer qu’une autre politique est possible et qu’un changement peut se faire sans passer par les nationalistes.
Patrice François, professeur de santé publique, université de Grenoble Alpes