Alors ça y est : l'amalgame s'est constitué, la cristallisation a eu lieu.
Une interview parue dans le Monde d'hier reçoît une volée de bois vert par ses lecteurs (http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/08/04/pour-clearstream-dont-le-travail-a-ete-sali-sans-raison-une-page-se-tourne_1080084_3234.html). Le sujet : "Pour Clearstream, dont le travail a été sali sans raison, une page se tourne". Les réactions des abonnés ? Indignées pour la plupart. Il est vrai que le ton de l'interview - complaisance de la journaliste ? - s'apparente plus au publireportage de journal institutionnel qu'aux colonnes d'un quotidien national.
Oui mais voilà, les abonnés sont déchaînés : Tapie, SarKolombani, Minc sont cités... Puis Val. Val ? Mais oui bien sûr : Clearstream, Charlie Hebdo , même avocat... Donc même combat, n'est-ce pas ? Et donc Siné. Mais oui : Siné maintenant dans les commentaires. Siné puisque Clearstream donc Denis Robert, donc Siné. Allez, encore un effort, internautes et vous verrez apparaîte BHL...
La connexion achevée, le moment manichéen qui ravit l'opinion, la dissolution des complexités achevée, la bonne heure, tout s'éclaire : d'un côté Le Monde, Tapie, Minc, Clearstream, BHL, Val... Autant dire : l'argent décomplexé, la finance... internationale. De l'autre, Denis Robert, Siné, les obscurs, besogneux, abusés, opprimés, spoliés... le lumpenproletariat : toi obscur lecteur. Loin l'Amérique ! Loin, le « I have a dream » du candidat Sarkozy : faire aimer l'argent à la fille aînée de l'Eglise. La convertir ? « Avec nous tout devient possible » ? Faire aimer la réussite aux Français : rompre avec Coubertin, l'idée n'était-elle pas belle ? Certes. Enivré par sa propre réussite, l'homme pressé qu'il est n'anticipe-t-il pas, au Fouquet's, sur celle de la France, censée obéir à son nouveau maître ? Comment pourrait-il en être autrement ? Méthode Sarkozy : avancer, convaincre, invigorer. Mais oui : « Monsieur Marulanda, je vous demande solennellement de relâcher Ingrid Betancourt... » Oui, mais. Oui mais non.
Un « réel » français : Abbé Pierre, Kouchner, Noah, restaus du coeur... Ce réel est-il soluble dans Sarkozy ?
Un projet : renouer avec le goût de la réussite, fut-elle financière, en France. Certes. S'agit-il d'américaniser la France ? Peut-être. Suffit-il de le vouloir ? Oui elle est loin pourtant l'Amérique dure, où l'éthique des conséquences se vérifie chaque jour ici et maintenant : pauvre tu es, responsable de l'être. Oui mais : pauvre je suis, riche comme toi, demain, je serai. La France : toujours plus en panne d'ascenceur social. (Sarkozy la dupe du capitalisme à la française ?) Pauvre tu es, pauvre tu seras : ton salut dans l'éternité (qui est longue, surtout sur la fin). Sarkozy dans le mur du « réel » français.
Oui, le style français de la réussite n'est pas encore le style américain. Nos précédents présidents étaient certes mieux formés à l'incarner : discrétion, jésuitisme. Fracturer la bijouterie ? Certes, mais sans porter la Rolex. Alors la Rolex : faute de goût ou simplement faute de mettre la charue avant les boeufs ? L'attelage, du coup, s'est enlisé. Et nous avec lui, bientôt recouverts d'une fange haineuse et obscène ?