Il est encore trop tôt pour tirer tous les enseignements du drame humain et du naufrage politique qui se jouent actuellement, mais on peut, d'ores et déjà, tenter de faire le point sur ce qui se passe devant nos yeux.
-Le drame humain est invraisemblable pour ces masses de réfugiés confrontés à un sort tragique, devoir prendre la route pour trouver une nouvelle patrie, en tout cas un nouveau lieu où se fixer et reconstruire l'avenir. L'avenir dira de quoi il retourne réellement. Ces gens fuient, et « n'ont plus nulle part où aller » sinon chez nous.
-Le naufrage politique, celui de l'UE et de ses dirigeants qui s'impose comme une évidence, même si on peut imaginer des explications différentes notamment en ce qui concerne l'attitude aléatoire de Mme Merkel, qui ne nous a pas habitués à une telle légèreté, disant blanc un jour et noir le lendemain. Dans tous les cas, le mythe de la « forteresse Europe » a (une fois de plus) vécu. Celui de l'UE en tant qu'entité politique crédible aussi et en l'occurrence, sans doute définitivement (à suivre les péripéties UE qui vont se succéder).
L'UE, et la zone Euro plus encore ont en effet habitué les citoyens européens à une gestion comptable maîtrisée, froide et en apparence impartiale (!), basée sur de « grands équilibres », la traque des déficits, la « morale budgétaire » des états membres, un juridisme sans faille et une rigueur qui a brisé l'espoir grec de renouer avec la vie et l'avenir. Une façon d'affirmer avec morgue un savoir faire et un regard, une vision, fût-elle étriquée. Pendant la crise grecque, des gens bien vêtus, compassés, doctoraux nous ont inlassablement et savamment expliqué qu'il fallait faire payer les « cigales » grecques, et la trahison de M. Tsipras aidant, tout est rentré dans l'ordre de l'ordo libéralisme qui est à présent l'alpha et l'oméga de la ligne économique de la zone Euro.
Les grands médias qui s'étaient « fait du grec » à longueur de colonne ne parlent plus vraiment de ce pays depuis qu'ils sont assurés que les citoyens grecs vont bien continuer à sombrer dans la misère, la maladie, le chômage et à connaître une mortalité infantile ou pas croissante pour pouvoir payer leurs créanciers, aujourd'hui les contribuables européens de la zone Euro. Jusque là, RAS donc sur le front de cette UE qui se suicide selon les règles en vigueur, tout en détruisant en application des traités l'un de ses membres.
Car l'UE, c'était la règle, économique et financière, l'efficacité des cadres juridiques, l'effacement du politique comme fauteur de trouble et de désordre, selon le credo des fondateurs de l'ordo libéralisme allemand qui est devenu malheureusement le nôtre et celui de tous nos partenaires.
Patatras !
Et voilà qu'une foule en détresse venue frapper aux frontières de l'Union éclaire soudain une réalité déplorable dont certains, minoritaires, étaient convaincus depuis longtemps, à savoir l'inexistence politique de l'Europe, sa vérité persistante, celle d'être un ensemble d'états nations qui ne sont pas prêts à abandonner toutes leurs prérogatives notamment quand certains sujets « sensibles » sont en jeu, l'incompétence et l'absence totale de vision des dirigeants qui, à force d'avoir le nez sur des bilans comptables et sur l'état de santé des banques, nos vrais patrons, ne savent plus comment exercer leur mandat de dirigeants politiques, la politique étant par exemple l'art de prendre en compte les intérêts des êtres humains constitutifs d'une société, leurs contradictions et leur devenir dans un environnement mouvant. A croire que le regard politique s'use si l'on ne s'en sert pas, ou bien que l'on s'engage à présent en politique dans notre UE du fait que l'on n'a pas ce regard, et la capacité réflexive qui va avec.
Notons que la zone Euro a, avec l'aide d'une propagande effrénée moulinée quotidiennement par nos « grands médias », fait des enjeux économiques, financiers, de la souveraineté des états, de la démocratie des sujets relativement secondaires.
Mais il y a toujours dans le cœur des homme un « essentiel » qui résiste souvent à toute propagande, celui qui traduit une identité, une croyance, l'appartenance à une communauté nationale ou autre culturellement typée et revendiquée comme telle.
A l'Ouest du vieux continent, ces éléments pourtant sont quotidiennement broyés par les médias et les discours politiques. L'histoire des partenaire de l'Est européen rend cette entreprise plus hasardée. Il n'en reste pas moins que cette souche si humaine qu'est les identités des peuples du « vieux continent » font preuve d'une force et d'une énergie qui n'étonneront que les europhiles béats et les « droitdelhommistes » exaltés.
Et l'alarme ferme à présent les frontières, réflexe de peur aussi vieux que la civilisation et qu'en l'occurrence, on peut comprendre. Les partisans de « l'ouverture » en sont pour leurs frais, ce qui ne les conduira sans doute pas à affiner leurs raisonnements.
Suscitant le découragement ou la colère des grands médias français, les intérêts nationaux des états de l'Union ont fait exploser l'espace Schengen, dont l'inefficacité était devenue patente. Les pays concernés déléguaient en principe la garde des frontières extérieures aux états du « limes » européen. Après maintes péripéties, dont la mise en accusation de la Hongrie qui, fermant sa frontière, appliquait simplement les accords Schengen, voilà que nombre de membres de l'UE, dont la « vertueuse » Allemagne, font de même. M. Orban avait donc le dos large quand la presse occidentale lui tombait sur le dos à gourdin raccourci en agrémentant les commentaires de qualificatifs peu respectueux pour le premier ministre d'un pays européen à part entière.
Humain/inhumain
Mais, il faut essentiellement regretter en tant qu'Européens que l'humain, dans son aspect tragique hélas, soit « de retour » sur notre « sol commun » en premier lieu à travers des gens qui arrivent de bien loin dans des conditions souvent abominables. C'est donc « un humain » non européen qui s'en vient nous rappeler notre propre humanité en tambourinant à notre porte.
Mais ce réveil de l'humanité des Européens passe sur le vieux continent par le réveil du sentiment national et le souci des intérêts qui vont avec.
Ainsi, les uns sans état réclament l'accueil, au nom de la fraternité humaine sans frontière (thème largement véhiculé par les médias occidentaux accessibles sur la planète entière), les autres dans leurs états refusent à priori majoritairement d'accéder à cette demande pour des raisons qui ne valent pas moins que celles des demandeurs, à savoir la préservation d'un équilibre social, économique religieux et culturel qui leur paraît menacé par le surgissement des nouveaux venus.
Autrement dit, au délitement des états du Moyen Orient, de la Lybie, de l'Afghanistan, déjà fragiles et souvent annihilés par l'action brutale et meurtrière des Occidentaux débouchant sur un chaos sanglant, qui a suscité un exode sans doute sans précédent depuis 1945 (et une demande pressante d'entraide et de solidarité à un niveau difficilement imaginable), s'opposent des sociétés qui ne veulent pas voir mis en cause leurs propres systèmes de solidarité, d'entraide et de vie en commun. Plus la méfiance que suscitent les Musulmans à l'Ouest, ou leur rejet pur et simple au nom de la chrétienté et d'une histoire complexe et guerrière à l'Est.
Ces deux versions de l'humain entrent ainsi en conflit, en premier lieu parce que la masse de fuyards qui nous arrivent effraie à juste titre des états dont souvent les difficulté économiques sont déjà immenses. L'Europe est riche, mais une part croissante des Européens ne l'est pas, l'austérité généralisée étant passée par là à l'Ouest, le retard économique étant encore une réalité à l'Est.
Deux univers se heurtent, celui d'états en crise, que la « construction européenne » a ébranlés, et celui de nouveaux apatrides, poussés à quitter leurs pays par la guerre, la guerre civile, animé par le fol espoir de trouver en Europe les conditions d'une vie normale qui leur fait si cruellement défaut. Ont-ils été manipulés ? L'avenir le dira.
Les bases d'une tragédie, à savoir l'opposition de deux trajectoires inconciliables bien que conceptuellement proches, sont de toute manière posées.
Les pays européen ferment donc leurs frontières, officiellement pour pouvoir contrôler les nouveaux venus et les enregistrer, ce qui paraît difficilement réalisable devant le nombre de candidats à l'entrée (On suppose que le nombre des candidats à l'entrée en Europe ne va pas sagement s'arrêter au niveau des quotas fixés par Bruxelles). Le traité de Schengen prévoit ce type de mesure pour 30 jours en cas d'urgence. On verra de quoi il retourne. On parle quotas d'accueil, des menaces de sanctions au sein de l'Europe se font entendre : mais que signifient des quotas dans un espace prévu pour la libre circulation des personnes ?
Est-ce à dire que les frontières vont rester fermées ?
« En face », on s'agglutine contre des barrières et des barbelés, on s'installe tant bien que mal à la veille de l'hiver, qui n'est pas clément dans les Balkans.
Le chaos du Moyen orient, avec ses cultures, ses divisions, ses impasses, avec son Islam déchiré et querelleur, s'installe donc à nos portes. Avec tous les risques de dérapage que cela suppose.
Une bombe à retardement guette l'UE, du fait du réveil sans concession des nations, par le biais de la condamnation de règles absurdes car inapplicables, et du fait de ce face à face avec une foule de personnes dont beaucoup sont formées, cultivées, sans doute coutumières des faits de guerre dans laquelle ils vivent depuis si longtemps, et porteurs d'une conscience claire de leur identité. Sans parler de la probable présence parmi eux de « djihadistes » bien décidés à souffler sur les braises si le blocage actuel s'éternise. Et on voit mal comment tel ne serait pas le cas en l'absence de toute solution satisfaisante pour chacune des parties.
Le choc des civilisations nous rend donc peut-être visite. Où sont les leaders occidentaux à la hauteur ?
Quel que soit le devenir de cette crise majeure, il est légitime de penser qu'elle pointe une étape décisive dans la vie boitillante de notre UE germanisée, et qu'à présent, nombre d'hypothèses redeviennent pertinentes. Y compris celle d'une descente aux enfers de l'Europe centrale et balkanique dans la banlieue immédiate d'un pôle européen en déliquescence.
L'histoire des hommes et des civilisations nous enseigne que cela existe. Mais qui s'intéresse encore à l'Histoire, cette science si humaine ?