suite au « massacre Charlie Hebdo » du 7 janvier
Commentaire à propos d’un article Médiapart d’Hubert Huertas
« La France entre force et fractures » après la manifestation nationale du 11 janvier 2015
« Ce spectacle était touchant, poignant parfois, mais comment s’en tenir là ? Comment ne pas voir que ce fleuve, dans sa masse, ne ressemblait pas, par exemple, au peuple des Champs-Élysées, ou de Marseille, en 1998, quand la France black-blanc-beur avait gagné la coupe du monde ? Comment ignorer que les cortèges étaient d’abord blanc-blanc-blanc, que les jeunes y étaient majoritaires, mais qu’on ne voyait pas, ou peu, ceux des banlieues (souligné par les soins)? Comment faire l’impasse sur le hashtag “je-ne-suis-pas-charlie”, insistant sur les réseaux sociaux, ou pire encore, sur les milliers de “je-suis-kouachi” ? Comment ne pas réfléchir aux établissements scolaires, peu nombreux mais réels, dont les élèves ont refusé d’observer une minute de silence ? » affirme M. Huertas dans son article.
Il fait de la sorte le constat qu’une partie, minoritaire, de la population française (en gros celle des « cités ») ne se reconnaît à priori pas dans les principes et les valeurs qui fondent l’existence de cette France « forte » qui a manifesté. Ceci posé, après avoir entendu M. Zemmour sur France Culture samedi 10 janvier chez M. Finkielkraut (émission Répliques), on peut avoir l’impression que le constat de M. Huertas n’est pas très éloigné du sien. Une partie de la population française n’adhère pas ou mal au pacte républicain qui en principe unit les citoyens, voire le rejette. Le massacre de Charlie n’est pas pour elle une raison de se mobiliser, moins en tout cas que le football. Est-ce un assentiment à l’horreur ou un refus d’une société trop lointaine qui ne la concerne plus ?
Il faut pousser le raisonnement, loin des bons sentiments et du prêchi prêcha droidelhommiste qui dégouline si volontiers sous certaines plumes. En conséquence de quoi il convient de porter un regard politique sur ce qui nous arrive.
En France, nous accueillons depuis quelques décennies beaucoup de gens venus d’ailleurs, majoritairement depuis la fin des années 70 sous forme d’immigration familiale depuis le Maghreb. Pourquoi pas ? Mais, pour suivre le raisonnement de Mme Tribalat, parfaitement blacklistée sur les médias mainstream, chaque épouse arrivant du Maghreb pour épouser un jeune Français musulman peut être assimilée à une immigrée, non parce qu’elle est étrangère avant de devenir française par mariage, mais parce que, généralement porteuse de sa culture originelle, elle va élever ses enfants dans sa langue originelle, et selon une culture d’ailleurs que la télé (via les paraboles) et internet véhiculent aisément. Il est clair que lorsqu’un enfant ne parle pas ou parle peu français en famille, il a ensuite des difficultés pour réussir à l’école. Il est également clair que son insertion scolaire dépendra aussi du différentiel entre le milieu culturel dans lequel il grandit et le corpus culturel que propose l’Ecole. Ceux qui ont travaillé en ZEP, savent que ce n’est pas anecdotique.
Ensuite, la « religion ». Premier constat, l’Islam n’est pas seulement une religion, mais une culture, une idéologie et un regard sur le monde. L’Islam sous ses formes plurielles est aujourd’hui un fait politique comme a pu l’être le christianisme autour du XVIe siècle. Mais quand un Musulman est issu d’une famille structurée, il peut parfaitement réussir dans notre pays et s’y intégrer sans encombre, mon expérience professionnelle dans l’Education Nationale me le prouve. Ce qui montre bien que des gens cultivés sont aptes à laïciser leurs pratiques religieuses et à abandonner toute tentation de valoriser dans leur existence la « loi religieuse » sous quelque forme que ce soit, sinon dans leur intimité familiale. Quand l’ambition sociale est au rendez-vous, les principes de l’égalité républicaine sont également au rendez-vous.
Nous avons alors des Français musulmans, qui ont parfaitement le droit de vivre leur foi comme ils l’entendent. Leur croyance ne regarde plus personne. Et je suppose qu’ils désirent par-dessus tout qu’on leur fiche la paix. Et qu’on ne les mette pas en demeure de prouver quoi que ce soit.
En revanche, en fonction du niveau socio-culturel, nous sommes en présence de Musulmans français, qui ont conservé avec leur culture originelle le lien de subordination qui fait de l’Islam, sous toutes ses formes dans ses pays d’origine, un fait politique majeur. Dans ce cas, l’incompatibilité avec le pacte républicain est plus que probable.
Qu’induit ce déficit moral et intellectuel (si on prend en compte la norme française) ? Une porosité certaine aux idées véhiculées par les médias de pays musulmans, et une grande fragilité face à des thèmes simplistes et agressifs. J’en veux pour preuve la réaction de nombre d’enfants de ces familles défavorisées, qui en classe ne font que répéter ce qu’ils entendent chez eux et peuvent aller jusqu’à refuser d’observer la minute de silence en mémoire des morts de Charlie abattus comme des bêtes. Cela n’en fait pas de futurs terroristes, mais cela n’en fait pas non plus culturellement des Français.
A ce stade, nous avons donc des Français de toutes confessions ou athées acquis à nos valeurs universalistes et des Musulmans qui possèdent la nationalité française. Cet ensemble de citoyens privés de la conscience d’être des citoyens sert de masse de manœuvre et aux xénophobes, et aux iréniques défenseurs d’une fraternité universelle, qui savent tirer à boulet rouge sur toute opinion différente de la leur pour des stratégies politiques peu claires. Du moins peut-on en principe le supposer. L’« islamophobie », que je ne véhicule pas, ne peut donc en aucun cas être une forme affichée de racisme, car elle concerne non une ethnie (l’amalgame arabe/musulman est encore une sottise avancée ici et là) mais des pratiques et des modes vestimentaires visibles dans l’espace public. A ce titre, les « islamophobes » peuvent sans doute être myopes, virulents ou inquiétants, mais cela n’en fait pas à priori des fascistes xénophobes quelles que soient par ailleurs les dérives constatées. Les derniers attentats n’arrangeront sans doute rien, mais restons sur les faits.
L’Etat pensait que l’Education Nationale était apte à régler tout cela sur la durée, c’était une erreur. A l’heure de la mondialisation de l’information, une culture aussi vivante et plurielle qu’est la culture d’Islam aujourd’hui ne s’éteint pas tranquillement. Bien au contraire selon les milieux sociaux concernés.
Deux aspects nouveaux sont en effet à prendre en compte, l’environnement international en ébullition bien sûr et la crise économique, qui n’est pas une surprise dans les cités :
-la fragilité de tant de familles musulmanes est soumise à la propagande de pays musulmans aussi démocratiques que l’Arabie Saoudite, le Quatar, l’Algérie etc, sans compter les sites djihadistes. La prise en main des « quartiers » par les « barbus » qui est un secret de polichinelle fait régner la peur et le conformisme religieux dans ces communautés recroquevillées sur une identité idéologique sectaire. Le voudraient-elles que beaucoup de ces familles ne pourraient pas ralentir ou stopper les dérives extrémistes de leurs enfants. Seules les familles issues de cette culture musulmane ayant passé le cap de l’insertion professionnelle et intellectuelle peuvent fuir les « pauvres » pour trouver ailleurs une vie convenable et construire un avenir pour leurs enfants. Celles qui ont débarqué en France avec ces atouts ont rejoint la classe moyenne et ses modes de vie tout naturellement. Une simple analyse de classe permet de comprendre cela.
-Les enfants des familles fragiles sont souvent en échec scolaire, et beaucoup d’adolescents glissent d’autant plus aisément dans la délinquance que les perspectives d’emplois sont nulles pour eux. Le Djihad peut alors devenir un substitut au vide sidéral qui entoure ces mondes meurtris et sans boussole laissés à eux-mêmes et au trafic de dogue depuis longtemps. Ponctuellement, un séjour en prison « finit le travail ». A ce stade de mon raisonnement, je peux donc affirmer que la fracture de la société française ne se situe pas entre les Musulmans et les non Musulmans, mais entre la frange de la société insérée, éduquée et/ou active et celle qui ne l’est pas (estimation à la louche). On aurait parlé au XIXe siècle du « lumpen prolétariat » (excusez l’orthographe si il y a lieu). On trouve pour prouver cela à présent des jeunes de souche ouest-européenne rejoignant l’Islam sauvage des djihadistes car, sans doute, issus essentiellement de familles partageant souvent les mêmes difficultés économiques et identitaires que celles de leurs camarades musulmans en difficulté, ce qui ôte à leur engagement toute pertinence religieuse ou culturelle. A titre d’exemple, dans les collèges problématiques, la « culture cité » imprègne la majorité des élèves, quelles que soient leurs origines.
Nous sommes bien face à une crise sociale et économique de la société française dont les conséquences sont aggravées par la présence de fortes populations de culture exogène particulièrement exposées aux difficultés de l’existence, et bien incapables dans de nombreux cas de réagir efficacement aux maux qui les frappent. On peut donc considérer que l’errance et la dangerosité d’une partie de ces populations qui ne sont pas des nôtres sans pour cela être étrangères, est un problème nouveau. Ces français particuliers cumulent la pauvreté économique et intellectuelle de tant de français de souche avec en plus un Islam qui, sous couvert de structuration identitaire, leur interdit toute perspective d’intégration en France en suscitant méfiance, haine, et racisme « anti-blanc ». On a presque honte ici à évoquer une éventuelle « assimilation » ultérieure. Les conversions à l’Islam dans ces milieux défavorisées sont devenues fréquentes chez les jeunes de milieux non musulmans. La laïcité n’est alors pas opératoire, car elle suppose une réflexion politique et une prise de conscience qui sont devenues inaccessibles et pour les Musulmans concernés, et pour ceux qui dans l’environnement de ces derniers, se sont convertis. La « complexité » n’est pas un terrain facile pour tout le monde et en cette matière, l’Education Nationale ne peut rien ou pas grand chose.
On voit donc que les mesures de surveillance et de protection prises en hâte par les pouvoirs publics n’auront probablement pas d’impact sur la durée, tant que quatre conditions ne seront pas remplies : la création massive d’emplois, si possible exigeant au départ de faibles qualifications (on peut toujours rêver), et la suspension du regroupement familial pour les jeunes Français désireux de prendre épouse dans le pays d’origine (le « bled » disent-ils) sauf raison particulière. Plus à mon avis d’ancien personnel de direction de l’Education nationale, une refonte complète du système éducatif pour le mettre en mesure d’aider vraiment tous les jeunes (J’ai écrit « Education Nationale : le naufrage tranquille » sur le sujet), c'est-à-dire en brisant son uniformité : un seul système éducatif pour des populations scolaires aussi hétérogènes, cela ne peut pas fonctionner. Et enfin une transformation de l’habitat, les « cités » s’avérant terriblement néfastes en terme de rapports et de liens sociaux.
On est loin de tout ça. Nos trois assassins sont des « produits français », issus de notre Ecole, mais aussi de nos prisons, où majoritairement comme aux Beaumettes à Marseille se retrouvent des gens issus de la communauté musulmane, qui si elle n’existe pas selon M. Roy dans la société, a toute apparence d’existence dans les lieux de détention.
Le sujet n’est donc pas pour ou contre l’Islam. Pour ou contre les Musulmans. Ce sont des approches « idéalistes » et non matérialistes. Comme la Chrétienté, l’Islam est ce qu’en font les Musulmans. Et les Musulmans sont ce qu’en fait la société la culture, l’éducation etc…dans lesquelles ils naissent et vivent. Il faut donc à notre pays des politiques économiques et sociales qui prennent en compte l’intérêt bien compris de chacun, fondant ainsi la citoyenneté de tous. Se battre éperdument pour les étrangers, les Musulmans les chrétiens ou les Juifs n’aura de sens qu’à cette condition.
Pour l’heure, hélas, la dérive islamiste est réelle en France même. Il y faut des mesures policières mais aussi politiques urgentes, et moins de discours bêlants et inopérants. L’ampleur sur les réseaux sociaux de prises de position anti-Charlie et pro attentat ne dit pas autre chose. Il n’existe aucun complot. Nous sommes face à une révolte sociale et culturelle qui emprunte les seules voies disponibles pour elle, celles de l’excès et du déni des valeurs humaines qui devraient structurer l’esprit de tous les Français. Notre société est bloquée.
Comment un état néolibéral tel que le nôtre serait-il capable de rendre à notre pays un avenir et un projet partagé par tous ses citoyens ?
Dans ce contexte, la laïcité bien comprise est de toute évidence devenue un concept inapplicable, et révolutionnaire, car respectueux de tous et non soucieux d’une frange spécifique (les « pauvres immigrés ») de la société, identifiée seule à une représentation conceptuelle et cataclysmique des droits de l’homme (voir les idées développées il y a peu par le « think-tank » PS Terra Nova qui évacue l’analyse marxiste). La même logique est à l’œuvre dans l’Education nationale, qui accepte la baisse des niveaux et privilégie le trucage démagogique des résultats aux examens (pour aller vite) plutôt que la clarté sur les savoirs et sur les contraintes liés à la vraie crise qui affecte la transmission des savoirs et le casse-tête des savoir être liés à la « fracture sociale » et culturelle.
Nous sommes aux pieds du mur.
Le discours antiraciste au nom des grands sentiments apparaît comme une diversion. La « lutte contre l’ « islamophobie » une chimère. La mise en cause de nos concitoyens de confession israélite ou de nos journalistes une réalité meurtrière.
Où sont en France aujourd’hui les massacres d’ « arabes » ou de Musulmans ? Il est aisé de se faire une réputation « de gauche » en maniant du vent et en diffusant la discorde et l’incompréhension au nom des grands principes. Pour l’heure, les uns tuent, les autres meurent. Les pressions communautaristes et confessionnelles de tous bords s’accentuent sur la liberté de la presse en France. Une fois encore l’Education Nationale est sommée d’aller au charbon, comme si nul ne connaissait les limites légitimes de son action.
Il est plus simple de mettre en cause la liberté de la presse que de remédier aux causes qui ont conduit au drame du 7 janvier 2015. Mais n’est-il pas trop tard ?