Petites questions autour de la « JurisCup » et du sens de l’intérêt général aux bords du Lacydon
Les subventions. C'est peut-être le sport municipal préféré à Marseille. Elles arrivent de tous bords pour tous les bords, de la ville, du département, de la région, de la communauté urbaine, à destination d'associations caritatives, fonctionnant avec des bénévoles, ou d'organisations festives gérées par des salariés, parmi lesquelles on débusque, à l'occasion, des officines clientélistes qui défrayent les chroniques judiciaires. Des millions d'euros d'argent public sont ainsi saupoudrés chaque année, mais pas toujours à bon escient. Exemple.
Dernièrement, le centre d'accueil des visiteurs à la prison des Baumettes devait cesser son activité, privé de la subvention permettant le paiement du loyer du local. De même une association d'aide à la personne, dans le 5ème arrondissement, a fermé sa permanence, n'ayant plus perçu, sans raison officielle à notre connaissance, sa petite subvention destinée à régler le loyer, les bénévoles ne pouvant plus l'assurer avec leurs propres deniers. Difficile d'exister pour ce monde associatif qui se voue à la solidarité quand il n'y a pas d'appui politique à un moment donné.
Au Comité du Vieux Marseille, on a également des raisons de s'inquiéter. Le vice-président de cette vénérable institution, Yves Davin, qui est également cadre à la ville de Marseille, a été nommé il y a peu gestionnaire du Musée d'histoire de Marseille. Jusque là, le Comité du Vieux Marseille touchait une subvention annuelle de 8000 euros. Au motif que les deux casquettes de ce Marseillais pleinement impliqué dans l'action culturelle créait un conflit d'intérêt avec son statut au sein de l'administration municipale, les services concernés ont demandé à M. Davin de démissionner du Comité, où il s'investit depuis 27 ans, sous peine de suppression de la subvention. Le président du Comité, Georges Aillaud s'est donc adressé au maire pour s'étonner de cette situation qui n'est pas unique, d'autres membres de l'administration municipale s'impliquant dans des associations bénéficiaires de subventions. En effet, a-t-il précisé, si la Ville reste sur ces positions, le Comité du Vieux Marseille devrait réduire ses activités, dont l'organisation tous les ans du « Carré des écrivains », manifestation annuelle importante pour le rayonnement de la métropole phocéenne. Pour sa part, Anne Marie d'Estienne d'Orves, élue à la Culture, a assuré que les services de la ville respecteraient les règles qui régissent leur action. Autrement dit, le Comité du Vieux Marseille a apparemment perdu ses 8000 euros de subvention. On constate par là que la rigueur administrative prévaut étrangement sur le regard politique. On voit mal en la matière en quoi le conflit d'intérêt serait constitué sur le fond, M. Davin consacrant son temps libre au tissu associatif comme le font tant de Marseillais bénévoles.
C''est là que rien ne va plus à Marseille où les pouvoirs publics font beaucoup de publicité autour de leurs actions sociales sans se vanter des petits arrangements et grosses subventions entre amis tout en s’efforçant de trouver éventuellement des arguments spécieux pour se donner bonne conscience. En voici la preuve par la « Juris Cup ».
JurisCup, terrain de jeu des plus riches
Des exemples il y en a, mais celui concernant la JurisCup, n'est pas piqué des vers. Il s'agit d'une manifestation nautique réunissant le monde juridique des environs, débordant sur le reste de la France, susceptible d’accueillir quelques étrangers. Le problème, ce sont les chiffres annoncés et le coût de cette manifestation s'adressant à une catégorie de nantis qui ne devrait pas avoir besoin de l'aide massive des institutions publiques pour s'amuser. Explication.
Le Président de la JurisCup annonce environ 1.500 régatiers dont la moitié font partie du monde juridique, soit 750 avocats, présidents et fonctionnaires des tribunaux, notaires, huissiers, assureurs et étudiants en droit. On est bien loin des 3.500 juristes revendiqués sur l'extrait des registres des délibérations du conseil municipal de Marseille de décembre 2013 accordant une subvention de 30.000 € à la Juris Cup 2014.
Injonction de payer !
La Région apporte de son côté 8.000 € sous le même prétexte de retombées immenses sur le plan national et international. Sauf que, s'il y a bien près de 2.000 personnes à la soirée festive au Dock des Suds, il s'agit pour l'essentiel des familles et des amis des régatiers venant de Marseille et de sa périphérie. Bref, les fameux ambassadeurs-juristes non provençaux ne sont pas légion.
N'oublions pas non plus le Conseil Général qui y va de sa contribution à hauteur de 10.011 €. Pour autant le Président de la JurisCup, Denis Rebufat, ne manque pas de culot en lui réclamant une augmentation de subvention 2015 en ces termes : « Nous vous prions d'augmenter la subvention globale accordée l'an dernier pour la porter à 20.000 € ». Ce n'est pas une sollicitation, mais une injonction à cracher au bassinet pour que ses amis et confrères les nantis aient une fête plus belle pour célébrer la 25éme édition de la JurisCup. Et en arguant d'un déficit de 29.000 € sur l'exercice 2014.
140.000 € de subvention pour un cartel de riches ?
De la même manière, il demande que la subvention de la Mairie passe à 60.000 €, celle de la Région à 35.000 € et celle de la Communauté Urbaine à 25.000 €. Soit en tout 140.000 € d'argent public... ce qui ressemble à un joli détournement de fonds en toute légalité. En tous cas, c'est comme ça que peuvent le ressentir les plus démunies des associations de bénévoles qui œuvrent pour soulager les misères morales et physiques... avant de fermer boutique.
Pour rester dans les chiffres, il faut savoir que participer à la JurisCup n'a rien de gratuit. La location d'un bateau va de 2.000 à 20.000 €, l'inscription du bateau de 750 à 2.300 €, chaque équipier paie 110 € et les accompagnants à la soirée 60 €. Cela fait beaucoup d'argent qui entre dans les caisses de l'association, et un sacré budget personnel que seuls les plus aisés peuvent se permettre.
Pourquoi tant de sollicitudes ?
En fait, il ne faut pas chercher bien loin le pourquoi des subventions si facilement accordées à la JurisCup, car il s'agit d'un réflexe corporatiste. Ainsi pour rappel, la femme de l'ancien premier adjoint de Jean-Claude Gaudin, Renaud Muselier, est avocate, le premier adjoint qui a suivi, Rolland Blum, est avocat et ses bureaux sont dans le même immeuble que ceux de Denis Rebufat, et cerise sur le gâteau, le nouveau premier adjoint, Dominique Tian, loue depuis de nombreuses années son bateau Glen Ellen 5.000 € pour le week end de la JurisCup. Quand on parle de conflit d'intérêt à propos du Comité du Vieux Marseille, pourquoi n'y aurait-il pas en la matière également conflit d'intérêt ? Quant au porte-parole du Front National, Georges Maury, il a refusé de soulever le débat, mais il est aussi... avocat ! Comme le Président du Conseil Régional, Michel Vauzelle, et comme la femme du Président du Conseil Général, Jean-Noël Guérini !
Un lobbying bien rodé !
Certes, la JurisCup réunit un colloque de juristes, avec droit d'entrée à 150 € (rien n'est gratuit avec Denis Rebufat, sauf l'inscription des élus ''bienveillants'' qui voudraient participer à la Régate), pour faire évoluer le droit de la plaisance... mais pas un droit à la plaisance, car il est vrai que cette distraction est réservée aux plus aisée. Ce groupe d'influence se conçoit facilement car bon nombre de ses membres possèdent un bateau, mais le principal bénéficiaire indirect de la JurisCup n'est autre que son président Denis Rebufat, puisque les bureaux de son association et de son cabinet d'avocat ne font qu'un. Il est ainsi en contact permanent avec les deux ou trois salariés de l'association qui toute l'année sollicitent les cabinets d'avocats susceptibles de venir ou revenir participer à la JurisCup. Des liens qui ne peuvent que faire connaître et promouvoir son cabinet et, on peut le supposer, lui apporter des affaires à l'occasion. Beaucoup de ses confrères marseillais ne sont pas dupes et c'est sans doute une des raisons qui a fait que jamais il n'a réussi à se faire élire bâtonnier. À son grand regret.
La dernière surprise-partie à nos frais ?
Conclusion : En demandant quelques euros supplémentaires aux participants à la régate et aux partenaires privés qui apportent déjà 35.000 €, la JurisCup pourrait parfaitement se passer de l'argent des Marseillais ; et cela n'empêcherait nullement les hôteliers et restaurateurs de profiter de l'aubaine de cette manifestation qui d'ailleurs n'intéresse guère la presse locale, qui la considère davantage comme une grande surprise-partie que comme une compétition sportive.
Mais surtout, en cette période critique sur le plan économique, alors que les valeurs fondamentales de la République retrouvent droit de cité à l’ombre d’un drame national, que la liberté d'expression s’affirme plus que jamais comme un droit inaliénable, il est évident qu’une meilleure et claire répartition de l’argent public et des richesses doit être la base de l'égalité et de la fraternité.
Il est question dans cette affaire de justice et d’équité. Cela commence par une attribution vertueuse des subventions de la part des organismes publics qui gèrent le bien commun, notre argent.
La Justice : un concept bien connu du monde juridique, ça tombe bien. Jusqu’à quand restera-t-elle un droit trop souvent hors d’atteinte pour le citoyen lambda ? Vaste sujet ! Comme dit l’autre, faisons confiance à la justice (et à ses acteurs… )