Islam, Musulmans : démagogie médiatique et gouvernementale
J’avais écrit directement à M. Plenel, suite à son article intitulé « Pour les Musulmans », pour lui dire mon étonnement, voire mon incompréhension à propos d’un parti pris déclaré qui, à mon sens, contrevient à une analyse rationnelle de la situation dans notre pays et traduit une approche conceptuelle critiquable. C’était au moment du Mondial de football.
J’ai appris depuis que M. Plenel a fait un livre à partir de l’argumentaire développé dans son article. J’ai donc décidé de publier sur mon blog Médiapart les quelques remarques que je m’étais permis de lui faire alors pour contribuer, autant que faire se peut, à nourrir un débat essentiel.
J’y ajoute quelques éléments de réflexion nés de l’actualité, et des divers commentaires qui courent les médias, notamment à propos de la discussion autour du projet de loi sur le renforcement de l’arsenal répressif contre nos « djihadistes » et de la farce que représente le retour de djihad du beau frère de Mohammed Merah et de deux de ses amis, attendus par la police à Orly et arrivés à Marseille en toute liberté.
Je précise que je n’ai pas encore lu l’ouvrage de M. Plenel.
« A propos des Musulmans : « se préoccuper de l’autre et du lointain… »
Cher Monsieur Plenel, je me permets de revenir sur votre papier intitulé « Pour les Musulmans ». Je le fais parce que dans l’ambiance actuelle, sur fond de progression des idées du Front National, il me paraît important de préciser certains aspects du « fait musulman » notamment en France, du moins tels qu’ils m’apparaissent, et de porter un regard critique sur l’intitulé de votre article.
Il est tout d’abord clair à mes yeux que parler des Musulmans comme des Chrétiens ou des Juifs, cela facilite le discours, mais rend fort peu compte de la réalité. Pour en revenir aux Musulmans, à savoir aux diverses faces de l’Islam qui est tellement pluriel, il convient je crois d’inscrire cette appellation peu contrôlée dans la perspective historique.
Cette dernière, vous le savez, englobe les séculaires fractures qui ont nourri, et nourrissent toujours des haines inexpiables entre sunnites et Shiites, et permet également de souligner qu’une civilisation d’Islam a, à maints égards, tenu le haut du pavé civilisationnel au Moyen-âge, mais que tel n’est plus le cas aujourd’hui, c’est le moins que l’on puisse dire. Le passé ne saurait tenir lieu de présent, fût-ce au nom de l’antiracisme.
Il faut ensuite rappeler que l’Islam est né en gros 700 ans après le christianisme, dans un monde pastoral peu peuplé, quand le christianisme a été en premier lieu un phénomène urbain. Le statut du Coran et de son véhicule la langue arabe peut être considéré comme une lointaine conséquence de ces origines humbles, enracinées dans un cadre tribal archaïque peu frotté de culture écrite si l’on en croit les historiens.
En dehors des conditions spécifiques des pays dans lesquels il s’est épanoui, l’Islam d’une majorité de Musulmans a encore en France et ailleurs une longue marche à faire pour rationaliser ses idéologies et ses pratiques.
Toujours dans un souci historique, souvenons-nous que l’Islam n’est pas seulement une religion, mais, comme a pu l’être le christianisme jadis, une manière d’être au monde, de le définir, et donc une force politique potentielle chez nous, aujourd’hui très active au Moyen Orient et ailleurs.
La présence sur notre sol de ces Musulmans si divers, porteurs conscients ou non de leur culture et de leur histoire, qui n’est pas rien, oblige donc à considérer la « communauté » musulmane, qui n’existe d’ailleurs pas en tant que telle de manière construite et organisée, comme un corps vivant qui, revendiquant fréquemment son droit à pratiquer et à vivre sa « foi » où qu’elle s’installe, représente souvent un irrédentisme culturel et donc identitaire au sein de la société occidentale.
Caricaturalement, la récente création d’un « khalifat » destiné symboliquement à réunir tous les croyants musulmans dans un ensemble institué contre la civilisation, les idées et les intérêts occidentaux apparaît comme un éclairage précieux des dérives qui sont incarnées par nombre de Musulmans français et étrangers. Il suffit de se tenir au courant de l’actualité pour s’en convaincre.
Le racisme notamment « anti-blanc » chez beaucoup de Musulmans français des « quartiers » est au moins tout aussi répandu que son contraire, à savoir le racisme anti-arabe ou anti-musulman (qui souvent se croisent) chez les populations de souche européenne.
Parmi les Musulmans français, certains, en nombre non négligeable, ont laïcisé leur pratique, et même parfois ont abandonné l’Islam pour un athéisme réel, ce que me prouve mon expérience.
Mais une frange importante de nos populations musulmanes traduit dans le quotidien des modes d’existence et de pensée directement importés du pays d’origine, soit par culture familiale, soit via internet ou télévision (ah les paraboles !) sur fond de marasme économique et d’absence de perspectives.
Ayant longtemps travaillé en ZEP à Marseille, (je suis personnel de direction de l’Education nationale à la retraite), je peux affirmer que la « visibilité » de l’Islam est le fait de ces populations attachées souvent à des modes vestimentaires et à des comportements tout droit venus du Maghreb (et selon les régions, de l’Afrique noire).
En outre, j’ai pu voir en quelques années le nombre de femmes voilées augmenter brutalement, notamment quand j’allais chercher mes enfants à l’école communale (je résidais à Brignoles avant de m’installer dernièrement à Budapest).
Cette ostentation grandissante, aux antipodes d’une démarche d’intégration qui, depuis des décennies, devrait pourtant être la règle chez les Musulmans dont la présence en France s’est affirmée il y a au moins une trentaine d’années, est moins la marque d’une appartenance religieuse que de l’affirmation impérieuse d’une différence de plus en plus revendiquée. Par exemple, dans le Sud de la France, des retraités d’origine maghrébine se mettent soudain à faire le ramadan, qu’ils ne respectaient pas jusque là, tant est forte la pression communautaire autour d’eux.
En outre, comme le dit Michèle Tribalat, des jeunes hommes français d’origine maghrébine vont souvent « au pays » y chercher une épouse.
Ces femmes conversent généralement en arabe entre elles (ce que j’ai constaté), et, je le suppose, chez elles. Ce qui induit via ce « regroupement familial » une immigration qui ne dit pas son nom. L’ « employabilité » de ces nouvelles venues en France (excusez ce terme de management) est pour le moins improbable.
Cela explique sans doute la difficulté que rencontrent certains des enfants de ces familles à l’école, car ils maîtrisent souvent mal la langue française et sont dépourvus des codes nécessaires à une réussite scolaire dans l’école de la République.
Enfin, quand il ne s’agit pas de populations intégrées, soit par leur mode de vie, soit (et ou) par leur réussite sociale, elles reflètent les conduites qui sont les leurs dans le pays originel (licence dans l’éducation des garçons, généralement livrés à eux-mêmes, rigueur dans celle des filles par exemple)
La complexité de la situation et la crainte d’être assimilés aux racistes qui courent à présent les rues à visage découvert ne doivent pas nous empêcher d’avoir une approche réaliste de ce que certains appellent un « problème de l’Islam » en France.
Sous réserve d’une prise en compte rationnelle de la présence musulmane massive sur notre sol, on peut et on doit affirmer que l’Islam, présenté comme une religion, est bien plus que cela.
Passons sur « nos » djihadistes allant combattre en Syrie, qui de la sorte prouvent bien qu’ils sont moins habités par une culture française et européenne que par une idéologie sectaire enracinée dans un terreau culturel d’un autre âge qui n’est pas le nôtre (l’esprit de croisade nous a abandonnés depuis longtemps, et la mort sacrificielle a cessé d’être un désir irrépressible !), constatons ce fossé idéologique profond qui nous empêche trop souvent de regarder tant de Musulmans comme des citoyens français à part entière, et demandons nous si il est fondé de se déclarer « pour les Musulmans », ou bien si, ne serait-ce que pour aider ceux d’entre eux qui revendiquent leur citoyenneté française et entendent vivre leur vie en tant que Français et comme eux, il ne faut pas dénoncer les dérives de nombreux membres de cette communauté (quand, c’est fréquent selon les lieux, elle se vit comme telle) qui aspirent à contraindre le pays d’accueil à se plier à leur culture, voire à leurs croyances.
Dernier exemple en date de la force et du dynamisme actuels de la « culture musulmane » actuelle et de son inadéquation fréquente à la vie d’un pays occidental : la survenue du Ramadan, qui pourrait mettre en péril jusqu’aux résultats de l’équipe de France de football dans un Mondial pourtant bien parti pour elle.
Comme par hasard, au moment où j’écris ces lignes, on ne parle plus de cela sur les ondes et dans les medias. M. Deschamps a en gros dit que cela ne le concernait pas. Sa responsabilité est pourtant de s’en inquiéter.
Benzema (entre autres) fera-t-il ou nom le Ramadan ? Mystère (d’Etat ?).
Pourtant, le simple fait d’avoir évoqué la difficulté qu’il y aurait pour un joueur « pieux » à ne pas respecter le commandement de sa religion en dépit de ses engagements professionnels est déjà indicatif de l’ « exception musulmane » dans notre monde. Cette « religion » est aussi un puissant acteur séculier dans le cours des affaires de la planète.
On peut trouver cela normal. Tel n’est pas mon cas. Comment se fait-il que dans ce monde business à tout crin, on puisse en dehors par exemple de l’Algérie qui se fait une gloire de son attachement à la pratique religieuse de ses joueurs, juger que de telles considérations puissent, fût-ce symboliquement, primer sur le bon déroulement d’une manifestation comme le Mondial ?
Si l’on traduit l’attitude des quelques joueurs (il semblerait que quelques uns des joueurs musulmans entendent respecter la procédure Ramadan, et l’entraîneur de l’équipe d’Algérie nous explique même que cela, à savoir le jeûne et la privation d’eau, peut aider à améliorer la performance des footballeurs !) qui entendent respecter leur pratique religieuse au détriment de la compétition (certains évoluent-ils en équipe de France ?) qu’ils ont accepté de disputer, on peut en déduire que leur Islam passe avant leur pays, et leur « job » qui est de courir en pleine forme au sein de l’équipe nationale, alors même qu’à ce niveau sportif, ces gens sont grassement rétribués pour divertir le bon peuple.
La sottise du confessionnalisme ne peut aller plus loin, le mépris pour le pays d’appartenance (quand il ne se réclame pas de l’Islam) et pour ses coéquipiers non plus.
Un joueur français se pliant à cette pratique religieuse à ce moment précis mettrait dans tous les cas très officiellement le principe de laïcité au panier, et avec lui, très officiellement toujours, le sens même de son appartenance à la communauté nationale et aux contraintes que, en principes, elle suppose. La citoyenneté ne peut pas être à géométrie variable.
Faut-il à l’avenir renoncer à faire jouer des sportifs musulmans quand approche le Ramadan ? Doit-il y avoir, et reconnues comme telles, deux catégories d’occidentaux d’un côté les Chrétiens les Juifs et les athées, et parallèlement, sinon en face, les Musulmans, minoritaires, dont la spécificité devrait être prise en compte telle quelle, sans égard pour leur société et pour les valeurs qui la fondent ?
Cette situation ubuesque en dit long sur la problématique à l’œuvre.
Constater que la victoire de l’équipe algérienne a induit dans certains « quartiers » français des débordements insupportables montre encore que pour les jeunes concernés, la citoyenneté française signifie peu, et que l’identification au pays d’origine est prégnante. Encore un succès des politiques dites d’intégration !
Il est clair qu’être Musulman en France, cela est compliqué si on ne tient pas compte des manière de vivre de la société d’accueil, et si la survie psychologique et identitaire passe par la revendication et l’affirmation d’une différence culturelle et idéologique qui, en l’état, n’a pas pour moi sa place dans notre pays. Ici, Dieu n’est pas au dessus des lois, ni des règles, ni des principes républicains qui ont structuré notre pays.
Avant d’être un croyant, un homme est un citoyen, ses contraintes premières, celles de sa vie terrestre, et avec elle le respect et la solidarité avec les autres.
Aidons en conséquence les français musulmans à se vivre comme des citoyens français, et évitons d’enfoncer le clou de leurs différences sous prétexte de respect des droits de l’homme.
Au terme de mon petit laïus, allez vous me traiter de raciste si tant est que vous ayez eu la patience de me lire jusqu’au bout ? Je ne le suis évidemment pas. J’essaie de conserver aussi souvent que possible un regard politique.
Une part notable des Musulmans relève d’une prise en charge politique, et non charitable et « droitdelhommiste ». Ce qui induit une action sur l’économique, avec création d’emplois à la clé, au nom de l’intérêt général, le leur compris.
Sont-ils un « problème » pour la communauté nationale ? Une partie d’entre eux, sans conteste, oui.
Si rien n’est fait, si la crise économique et morale s’accentue, le Front National, qui se délecte des discours droitdelhommistes pour enfoncer son clou, pourra sincèrement féliciter les grandes âmes, dont la vôtre, qui lui apportent sur un plateau une légitimité mal venue.
Si nous respectons les Musulmans, nous leur tendons la main pour les amener à partager nos valeurs fondamentales et à s’épanouir dans notre pays qui est souvent le leur, ce qui de toute évidence ne se fait pas tout seul.
On peut être Français et Musulman, pour peu qu’un certain nombre de règles soient respectées. Chacun d’entre nous connaît des gens de confession musulmane qui ont franchi avec succès ce pas, du fait de leur intelligence, de leur culture, de leur sens du réel.
On ne devrait pas éternellement évoquer la mémoire des grands intellectuels arabes les plus brillants pour évacuer les difficultés qui sont les nôtres. La grandeur d’Avicenne ne doit pas être instrumentalisée pour cacher la misère intellectuelle et morale illustrée à mes yeux par les ravages de l’ « islamisme » et son influence grandissante dans les masses musulmanes non occidentalisées, qui sont à priori majoritaire si l’on en croit les évolutions de ces malheureux « printemps arabes ».
Le mérite d’intellectuels comme Edouard Saïd n’en était que plus grand, ramer à contre courant n’étant pas chose aisée.
Je conclurai en affirmant que je ne vois aucune raison de mettre l’Islam au pinacle. Les Musulmans moins encore. En République, chacun a le droit de vivre sa différence, mais en se pliant aux règles de vie en commun.
Nous sommes face à des hommes et à des femmes qui, simplement, doivent trouver toute leur place dans notre société, au même titre que la majorité des « autochtones » comme l’on dit dans le poste, ce qui passe forcément de leur part par la reconnaissance de la réalité française. Est-ce en construisant des mosquées monumentales qu’on contribue à atténuer les différences ? Pour ma part j’en doute. Sait-on jamais !
Cordialement. »
N.B. :Depuis que j’ai pris la liberté de poster ce « papier », l’actualité internationale s’est déchaînée, trop souvent en noir. Les médias main stream excellent dans la mise en condition de l’opinion publique.
Mais où sont en France les vraies analyses qui éviteraient à d’honnêtes humanistes de brandir sans cesse de grands discours généreux pour tenter d’endiguer les idéologies d’exclusion et de haine qui font flores ?
L’Etat a depuis longtemps laissé pourrir la situation des « quartiers », comptant apparemment sur la seule Education Nationale pour régler les problèmes d’intégration et d’emploi, ce qui est absurde. Pourtant, un rapport de l’Inspection générale de l’Education Nationale tirait déjà la sonnette d’alarme en juin 2004 à propos des « signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». La loi sur le voile semble être la seule réponse perceptible à la mise en cause grandissante de la laïcité (et aux dérives que l’on constate aujourd’hui), qui n’est d’ailleurs pas le fait des seuls Musulmans. De nombreux établissements scolaires ont subi les conséquences d’un lent et régulier repli identitaire et religieux d’une part non négligeable de familles musulmanes, ce que chacun sait en haut lieu.
M. Sarkozy s’est servi de ces « quartiers » pour muscler et droitiser son discours clivant. En face règne le monde des bizounours, chanté sur le mode de l’antiracisme et du « on est tous frères » par des gens dont on se demande si ils ont jamais mis les pieds dans des lieux réputés « difficiles ».
Entre l’amertume et le sucre, il y a peu de place pour un juste équilibre.
Qui portera enfin un regard politique sur ce qui est avant tout un problème d’organisation de la Cité et de ses modes de gestion des difficultés ?
Qui en bref fera enfin de la politique intelligemment ? On voit bien poindre une opération « humaniste » pour, en 2017, au nom des droits de l’homme, tenter de barrer la route au FN ou à un de ses clones. Cela n’y suffira probablement pas. La réalité est têtue, et se moque des grands sentiments quand ils ne s’appuient pas sur des actes concrets.
En plus des difficultés réelles qu’une majorité de Musulmans français rencontrent, ils doivent ainsi encore subir une instrumentalisation qui nuit à la paix sociale.
Les Français, musulmans ou non, ne sont ni gentils ni méchants. Ils veulent vivre, ils doivent pouvoir travailler, contre un revenu décent, et être capables d’envisager un avenir pour leurs enfants. Les fractionnements identitaires sont sans doute largement les fruits de la déshérence économique et des reculs de l’autorité publique, privée de légitimité dans le contexte européen.
C’est à ce niveau là seulement, celui d’un renouveau politique et économique (improbable dans le contexte actuel), que la société française peut sans doute trouver l’apaisement, et donc un équilibre idéologique loin des extrêmes que sont à mes yeux, dans ce contexte, le racisme et le prêchi-prêcha anti-raciste, ce dernier n’ayant fort heureusement jamais tué personne et se résumant à une idéologie vague nourrie de bons sentiments mais pourtant dévastatrice dans le cadre de la crise multiforme que nous traversons.
Accueillir des étrangers ou accepter le « regroupement familial » est concevable si tout est fait pour donner aux nouveaux venus les conditions de leur réussite chez nous. Alors il sera temps de « gérer » les différences.
Sans une véritable politique économique et sociale, sans une ambition nationale acceptée par une majorité d’entre nous, qui n’est pas à l’ordre du jour, le chaos et la haine font lentement leur nid. Les paroles ne suffiront pas à les déloger.