Je suis un agent contractuel de la fonction publique, en poste en cabinet ministériel depuis quelques années. En trois ans, j’ai traversé quatre remaniements, dont trois passations de pouvoir. Ce rythme effréné, imposé par l’instabilité gouvernementale, épuise les nerfs, fragilise les parcours et précarise les existences.
Contrairement aux ministres, qui bénéficient d’une indemnité de fin de mandat équivalente à trois mois de salaire, nous, les collaborateurs contractuels à durée gouvernementale, cessons d’être rémunérés du jour au lendemain. Si un gouvernement tombe le 12 du mois, nous sommes payés pour le mois entier… mais contraints de restituer la moitié. Aucun filet, aucune transition, aucun droit à l’erreur.
À chaque remaniement, donc à chaque nouveau contrat, nous sommes placés en période d’essai pendant trois mois. Ainsi, sur trois années en cabinet, j’ai été un an à l’essai. Un an dans l’incertitude, sans garantie, sans protection. Comme si notre loyauté devait être revalidée à chaque changement de ministre.
Contrairement à ce que croit souvent l’opinion publique, nous ne bénéficions pas de conditions privilégiées. Pas de plateaux-repas, pas de taxis à volonté. Le droit au taxi ne s’ouvre qu’à partir de 22h et bien sûr, exceptionnellement, alors que nous quittons régulièrement nos bureaux à 21h.
Oui, nous percevons une prime de cabinet — dans mon cas, 500 euros brut, imposable, et non prise en compte dans le calcul de la retraite. Cette prime peut paraître importante, mais nos conditions de travail : stress intense, sollicitations tardives, week-ends mobilisés, astreintes non rémunérées et non récupérables car toute récupération impose qu’un autre agent prenne le relais, font qu’épuisés, elle sert à compenser les urgences du quotidien et est très vite absorbée par les contraintes du cabinet où le rythme est un 100km/h permanent.
Mais nous sommes aussi des salariés lambda.
Apolitiques.
Nous ne sommes en poste que pour exercer une mission et toucher un salaire à la fin du mois, comme tout un chacun. Nous ne prenons jamais parti, bien que ce soit souvent compliqué. Nous avalons couleuvre sur couleuvre, dans le silence et la loyauté. Quant à la protection de la syndicalisation, elle reste impensable : trop risquée si cela venait à se savoir...
Chaque jour, nous travaillons avec nos homologues fonctionnaires, qui ont — et c’est heureux pour eux — des droits clairs, des garanties statutaires, des perspectives. Là où eux ont des droits, nous n’avons que des devoirs.
Parfois, une prime de précarité nous est accordée. Une fois, j’ai reçu 1 000 euros brut. Mais cette indemnité est aléatoire, opaque, et loin des 10 % de fin de contrat prévus dans le secteur privé. Pourtant, la fonction publique a voté un dispositif similaire en 2021. Pourquoi ne s’applique-t-il pas aux agents en cabinet ? Pourquoi cette exception silencieuse ?
Sur le plan statutaire, les règles d’accès au CDI sont théoriquement encadrées, mais dans la pratique, elles restent floues et inégalement appliquées. Certains agents découvrent tardivement qu’ils auraient pu y prétendre, faute d’information ou de suivi. D’autres y accèdent plus tôt, dans des conditions similaires. Cette disparité, parfois au sein d’un même ministère, interroge : où est la cohérence ? Où est l’équité ?
Et l’État n’est pas exemplaire dans ses propres procédures. À chaque fin de contrat à durée gouvernementale, nous ignorons ce qu’il advient du solde de nos congés annuels. Ils ne sont ni indemnisés, ni reportés, ni mentionnés sur la feuille Unedic. De plus, les mêmes règles sont appliquées à un agent de 56 ans qu’à un jeune contractuel, alors que des dispositions spécifiques existent. Cette uniformité injustifiée ajoute à l’opacité et à la précarité.
Nous sommes les petites mains de la République. Nous servons avec loyauté, discrétion et engagement. Mais à chaque remaniement, nous disparaissons sans trace, sans reconnaissance, sans protection. Cette situation est indigne d’un État qui se veut exemplaire.
Nous ne demandons pas de privilèges, mais de la clarté dans les règles statutaires et pécuniaires des agents contractuels, afin que tout un chacun ait connaissance de ses droits et puisse se projeter à minima, même quand l’État change de visage.
Signé :
Un agent contractuel en cabinet ministériel, en situation de précarité républicaine