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Billet de blog 22 février 2011

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Sur Elias Sanbar, la beauté des Communards et celle des Egyptiens place Tahrir

On lit comme on est. Bien sûr. Et avec le monde comme il va. Voici donc une note de lecture personnelle, inspirée par les événements actuels, du Dictionnaire amoureux de la Palestine d'Elias Sanbar (Plon, 2010, 477 p., 24,50 euros).

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On lit comme on est. Bien sûr. Et avec le monde comme il va. Voici donc une note de lecture personnelle, inspirée par les événements actuels, du Dictionnaire amoureux de la Palestine d'Elias Sanbar (Plon, 2010, 477 p., 24,50 euros).

Lundi 7 février 2011, quand le second dictateur du monde arabe, Moubarak, est en fuite, parce que les peuples se sont mis en marche du Maghreb au Machrek, Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart, a l'intelligence d'organiser au Théâtre de la Colline à Paris un débat public sur ce 1789 au Moyen Orient avec les vieux sages Edgar Morin, Stéphane Hessel, etc., et d'autres invités du monde arabe. Dont Elias Sanbar, membre du Parlement palestinien en exil et ambassadeur de la Palestine à l'UNESCO. Traducteur du poète palestinien Mahmoud Darwich, décédé voici un an et écrivain lui-même. C'est lui qui conclut la soirée par ces mots : « Le peintre Gustave Courbet dans le Paris de la Commune, écrit à ses parents ces mots : « Les Parisiens sont beaux ». Ce soir place Tahrir, les Egyptiens sont beaux ».

Il faut que je vous fasse aussi deux confidences puisque j'écris à vous, mes amis. La première c'est celle-ci : combien ma génération a souffert d'avoir eu 20 ans en 1968. Avoir rêvé, pensé et agi pour changer le monde et constaté ces 30 dernières années qu'il avait en effet changé. A l'inverse de ce que nous voulions. Radicalement et dans tous les domaines de l'activité humaine. En 1968, entre autres, ce sont les débuts de la révolution palestinienne. Après 20 ans de « Nakba » (« la catastrophe », celle de l'exil forcé du peuple de Palestine en 1948) l'OLP devient le « territoire » de la volonté nationale des Palestiniens. Ce fut cette année-là, justement. On connaît la suite.

La seconde est plus intime : Edwy Plenel est le fils de l'un de ces « pieds rouges » arrivé en Algérie en 1965. Universitaire et enseignant à l'école d'administration. Edwy est en contact avec ce pays, étudie la révolution algérienne entre 1965 et 1970. Depuis l'Etoile Nord africaine de Messali Hadj, en 1926, jusqu'à la guerre de libération nationale, celle des « fils de la Toussaint de 1954 » jusqu'à l'Alger en liesse de juillet 1962. Il y rencontre aussi Stéphane HESSEL, le numéro deux de l'ambassade de France à Alger. Fidélités.

Edwy Plenel vient juste de passer son bac, il a 18 ans. Durant trois jours, il nous fit un cours détaillé sur cette histoire de guerre, de révolution, et aussi de « Thermidor », « d'armée des frontières » en Tunisie avec Houari Boumedienne, qui va donner la caste au pouvoir depuis lors. C'est elle qui se partage la rente pétrolière et gazière de nos jours, surtout cette fraction située dans les services secrets de l'armée. La DRS je pense.

C'était dans un centre protestant de Sète, sous les pins en bord de mer , Noël 1970. Il y avait là une jeunesse ardente qui veut apprendre pour agir. L'association organisatrice s'appelait la « bibliothèque socialiste ». C'était en réalité la section française de la Quatrième Internationale. A telle enseigne qu'il y avait des femmes d'un front de libération du Dhofar (Golfe Persique), des Algériens du PAGS clandestin, et des cadres politiques clandestins eux aussi, latino, d'Argentine, de Bolivie, du Mexique. Et Plenel détaillait comment on ne se payait pas de mots dans cette Internationale là. Pour le FLN algérien, lors de lutte pour l'indépendance, on envoya d'anciens résistants belges des années 40, spécialistes de faux papiers et de fausse monnaie. Des ajusteurs-mécaniciens néerlandais fabriquèrent mortiers et obus dans la montagne de la frontière algéro-marocaine.

Bref j'arrête là. On pensera ce qu'on voudra mais ceux dont j'étais furent ainsi bâtis à « chaux et à sable ». Leur vie durant.
Elias Sanbar est né comme moi en 1947. Lui à Haïfa. Dans le jardin de la maison familiale, Elias petit enfant, élevé dans l'une des variantes complexes du christianisme d'Orient, attend de voir du haut de la terrasse, les figuiers s'agenouiller après l'Epiphanie puisqu'au moment du baptême du Sauveur dans le Jourdain, on raconte que les plantes et les arbres se mirent à genoux...Il raconte aussi comment (à la lettre « E », comme « engagement » puisque les matières traitées le sont par ordre alphabétique, c'est un dictionnaire ) lui est venue la conscience politique :
« J'ai le souvenir-il remonte à la prime enfance- d'avoir été profondément marqué, non par une conscience de la cause palestinienne, mais par mon profond désarroi face à la tristesse de mon père confronté à sa réalité nouvelle d'exilé. J'entends encore-ils demeurent gravés au plus profond de moi- ses mots le jour où je lui demandai pourquoi il aimait tellement notre ville de Haïfa : »là- bas, tout le monde me connaissait. » Cette phrase se confondit pour moi avec le sentiment d'être étranger. Ce sentiment tenace, de n'être pas à ma place(...)Ma première politisation se confondit avec un sentiment de dépaysement, d'autant plus aigu que je vivais comme des centaines de milliers d'autres réfugiés palestiniens au sein de sociétés arabes où l'on parlait la même langue que nous ,mangeait les mêmes plats ,écoutait les mêmes musiques, racontait les mêmes contes, célébrait les mêmes fêtes...
Le reste -la prise de conscience de l'injustice historique, des conditions sociales, de l'histoire nationale palestinienne-ne viendra que plus tard, comme pour nourrir le sentiment de dépaysement et lui fournir les éléments, les matériaux de son discours de lute et de résistance.(...) La lutte algérienne, le rêve nassérien d'une dignité retrouvée grâce à l'unité des Arabes ,le combat du Viet Nam ,Cuba, la Commune de Paris, la Résistance française, les luttes anti coloniales à travers le monde m'ont tous concerné ,mobilisé, mais je les ai abordé à travers le prisme de savoir comment leurs victoires pourraient contribuer à ce que je retrouve ma place »
Sanbar a participé non seulement aux négociations entre les Palestiniens et l'état d'Israël mais il a dialogué maintes fois avec des partisans israëliens pour la paix et autres tentatives et colloques pour nouer des liens entre « voisins » que des murs et du sang séparent depuis 60 années. Ainsi avec le général Elpeleg , premier gouverneur militaire de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 1967.Un arabophone, auteur d'ouvrages sur les Palestiniens durant le mandat britannique. Comme souvent, l'argument selon lequel durant la guerre de 1948 , les Palestiniens étaient partis de leur plein gré vient en débat. Evidemment Sanbar argumente en sens contraire : les Palestiniens ont été expulsés de force ,il y eut soixante dix massacres recensés pour « convaincre « les récalcitrants etc ...Les échanges se tendent. On en vient à citer les cas région par région.

« Jusqu'au moment où il me dit...vous ne pouvez nier qu'à Haïfa le maire juif de la ville (elle était gérée par 2 maires un pour chaque communauté ) appela la population arabe à ne pas partir.
-Oui, mais ces appels furent lancés une fois la ville vidée de la quasi totalité de ses habitants. Les gens avaient déjà franchis la frontière ...et les unités militaires juives étaient déjà à l'œuvre dans ses quartiers arabes. Voulez vous que je vous raconte comment le cousin de mon père fut abattu à la porte de notre jardin, en pleine rue, par les hommes venus chercher mon père et furieux de ne pas l'avoir trouvé ?
-J'en suis désolé .Vous savez c'était la guerre. Mais il n'en demeure pas moins qu'il y a des archives qui prouvent qu'à Haïfa , les habitants furent appelés à rester.
-Vous savez cela fait un moment que nous discutons à coup d'archives et de « contre-archives » mais je n'en citerai aucune à l'appui de mes propos sur Haïfa !
-Et pourquoi donc ?
-Parce que s'agissant de Haïfa, l'archive c'est moi ! L'enfant de 15 mois embarqué avec sa mère dans un camion et « déchargé » avec elle à la frontière libanaise...c'était moi. »

Et il y a les horreurs quotidiennes de l'occupation coloniale par l'état hébreux, avec ce que toutes les violences coloniales disent toujours et partout qui donne à Sanbar l'humour du désespoir :
« J'ai été témoin au passage de Qalandia, à l'entrée de Ramallah ,du tabassage d'un médecin palestinien travaillant à l'hôpital français de Jérusalem par un soldat israëlien qui ,en cognant, hurlait en anglais : »Mais où crois-tu que tues ? A Groznyï ? A Groznyï ?! ».
Le soldat était d'origine russe...
Ce jour là me revint une citation de Rabelais : »Alors dist Pantagruel : « si les signes vous faschent ;ô quant vous fascheront les choses signifiées ! » Les forces d' occupation , sous quelque drapeau qu'elles opèrent ,connaissent-elles Rabelais ? » .
On trouve des portraits :Arafat , Hawatmeh, Jean Genet, Darwich son ami ,Gilles Deleuze ,Jean -Luc Godard...des réflexions sur la traduction , le terroir, la famille, la religion et les fondamentalistes , Jérusalem « entant que problème réputé insoluble », le mur ,la question des deux états, la négociation durant près de 20 ans avec Israël, les frontières, l'intifada, la Terre Sainte des trois monothéismes ...
Aux fondamentalistes il cite le testament poétique de Darwich :
(...) « Nous serons un peuple lorsque nous oublierons ce que nous dit la tribu, que l'individu s'attachera aux petits détails (...)
Nous serons un peuple lorsque le chanteur sera autorisé à psalmodier un verset de la Sourate du Rahmân dans un mariage mixte. Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et que nous respecterons l'erreur. »
« Nous le serons. »
Enfin à la lettre « V » comme voyager, on trouve cette anecdote bouleversante. Il s'agit d'une rencontre d'écrivains à Gaza. Il y a des écrivains marocains ,chinois, portugais...Un homme apporte une traduction en arabe des poèmes du portugais José Saramago. Et Sanbar ajoute : « ..j'apprends de sa bouche qu'il est poète lui-même, habite Khan Younès et qu'il a passé 6 heures au barrage militaire pour venir nous voir et nous offrir non l'un de ses livres, mais son exemplaire arabe du livre d'un de ses visiteurs... »
Le livre est dédié à DANIEL et SOPHIE BENSAÏD qui furent ses amis à Paris.
La dédicace est un extrait d'une conversation avec Mahmoud DARWICH :
« Que ferons-nous toi et moi quand nous serons vieux ? Nous serons assis sous un figuier, sur le parvis d'une maison en Palestine. (...) Nous parlerons du temps qu'il fait et des nuages qui passent. »
NB En arabe Palestine se dit FILASTÎN.
Gérard Perrier, 22 février 2011.

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