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Billet de blog 12 septembre 2025

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Quand la courtoisie devient l'alibi de la haine

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L'emballement médiatique : une manipulation algorithmique à l'œuvre ?

Le brutal assassinat de Charlie Kirk ce 10 Septembre 2025 a manifestement été l'occasion de non seulement justifier l'emploi de la violence, mais également de multiplier les appels à son usage envers -- notamment -- les militants de gauche. Le compte militant d'extrême droite Matt Forney compare même l'évènement à l'épisode de l'incendie du Reichstag, appelant à ce que "Chaque politicien Démocrate [gauche américaine, NDLR] doit être arrêté et le parti banni selon la loi RICO [loi américaine contre le crime organisé]". Ce déversement de violence rhétorique n'est absolument pas un cas isolé aux seuls États-Unis : il a déjà traversé l'Atlantique.

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Tweet du compte militant américain Matt Forney a propos des démocrates. Tweet apparemment supprimé aujourd'hui. © @realmattforney

Et ce qui m'interpelle, ce n'est pas cet élan soudain de violence provenant de l'extrême ou ultra droite de beaucoup de pays. Ces élans de solidarité sont déjà connus, comme en témoignent les nombreux articles et autres billets de blog concernant le soutien d'Elon Musk à des partis d'extrême droite en Europe -- notamment l'AfD en Allemagne, ou le RN en France. Non, ce qui interpelle c'est de voir son fil X envahit -- littéralement -- par ces appels de solidarité, de façon aussi incongrue que soudaine. S'il était d'usage que je vois passer quelques tweets et autres messages provenant de l'extrême droite ou assimilé, notamment de Musk lui-même, autant de messages d'un coup dans un enchaînement d'une rare intensité, c'était inédit, et donc, foncièrement suspect.

Le récit ainsi propagé comporte, entre autre, des appels à la violence contre les militants de gauche, les appels à leur emprisonnement, voir qualifie le parti Démocrate Américain d'"organisation terroriste". Selon ces discours, la gauche serait mère de toutes violences, et la première à en faire usage ou à en être complice. Et cette idée diffuse également chez nous.

Tweet du compte français du streamer Sardoche, dénonçant que le camps progressiste est le premier à passer à l'acte lorsqu'il est question de violences © @Sardoche_Lol

Le récit qui se construit grâce à ces manipulation -- ostentatoires ! -- de l'actualité et de l'opinion nous enferme dans un cadre d'ultra violence et de simplisme, que n'importe quel être humain devrait être en capacité de remettre en question et d'au contraire multiplier les appels au calme et à la raison.

Cette propagation est d'autant plus facile que Charlie Kirk, tout militant d'extrême droite qu'il était, avait développer une manière particulière de diffuser son message et son idéologie, au travers de débats et de conférences publiques. Cette façon de développer et diffuser des idéologies, quelles qu'elles soient, ne doit pourtant pas donner l'illusion que la violence n'existe et ne naît que dans les actes.

Le faux dilemme : méthode vs contenu

Au milieu de ces spirales d''ultra violence, un message salutaire -- critiquable, mais salutaire -- me parvient au milieu de mon fil, de la part d'Acermendax (Créateur et animateur de la chaîne Youtube La Tronche en Biais). Partagé par un autre compte qui m'est alors inconnu dans le tweet suivant : 

Illustration 3
Tweet relatant le message de Thomas Durand (Acermendax) © @PHactNeutre

Et là, une deuxième chose me frappe : cette rhétorique consistant à dire que le message -- ici d'Acermendax -- justifie la mort de C. Kirk. Alors que le message porté est, en substance : multiplier les banalisations de la violence, voire la justification de son usage, mène nécessairement à des drames évitables, en témoigne le dernier paragraphe. 

Si c'est l'apanage de toute idéologue de vouloir à tout prix coller une ligne de lecture partisane entre les lignes d'un texte, c'est particulièrement perturbant de lire ces lignes de manière répétée et appuyée, en témoigne une des citations de ce tweet, qui me préoccupe d'ailleurs beaucoup plus que le tweet initial.

Citation déroulant l'argumentaire de "la méthode est bien plus importante que le contenu des idées portées" © @gugus_bontaquin

Parce que là, dans cet argumentaire, il y'a quelque chose de profondément gênant en terme de justification de la propagation d'idéologies néfastes : l'idée selon laquelle une rhétorique soignée, polie et courtoise ferait de nos idées et idéaux quelque chose de plus justifiable.

Le fond et la forme : un faux débat dans un contexte de propagation des violences

D'une part, il m'apparaît inutile de rappeler que non, la forme d'un discours ne compte pas plus que le fond. Je ne m'aventurerai pas dans la comparaison entre des discours aujourd'hui portés par l'extrême droite, tout polis qu'ils soient, et ceux de l'extrême droite du début des années 30. Il n'y en a pas besoin je crois, pour convenir du fait que l'idéologie portée par un orateur peut en elle même recéler de la violence, de manière intrinsèque. La courtoisie du débat, consentie par l'orateur, ne doit pas faire oublier que l'important est la vision du monde qu'il porte dans le fond de son idéologie. L'oublier, c'est ouvrir la porte à du révisionnisme de bas étages, alors que nous avons déjà eu de nombreux exemples de prise de pouvoir par des idéologies mortifères, portées par des orateurs talentueux et "polis".

La banalisation de la violence

Deuxièmement, la mise en accusation implicite des critiques de l'idéologie de Kirk est également extrêmement problématique. Et ne croyez pas que je dise cela à la légère, de nombreux comptes Républicains ou même relevant de la droite dure Française ont appelé à une fortification des actions -- judiciaires ou non -- à l'encontre de tous ceux qui aurait critiqué ou critiqueront le message porté par Kirk.

Cette mise en accusation implicite est directement portée par des messages comme le tweet que je citais précédemment. Puisque la critique de l'idéologie de Kirk reviendrait à légitimer, à justifier la violence qu'il a subit, rien n'empêcherait alors ces même détracteurs de devenir violent envers les critiques, puisque cette violence serait alors elle aussi justifiée. Une sorte de cycle sans fin, comme le précise très justement Acermendax dans sa prise de parole.

Et il est de notre devoir civique de réfuter ce renversement : ce n'est pas la critique des idées qui mène à la haine et qui génère la violence, mais bien les idéologies qui portent ces critiques qui en sont génératrices. Ces idéologies qui promeuvent et portent l'exclusion et la haine en leur sein, ouvrent nécessairement la voie vers l'utilisation abusive de la violence pour leurs plus fervents défenseurs.

Et, si de nombreux internautes ne se sont pas émus -- voire même se sont réjouis -- de la mort de Kirk, la banalisation de la multiplication des appels à la violence provenant de l'extrême-droite, de manière extrêmement coordonnée et amplifiée, ne peut pas être vu sans inquiétude.

L'extrême droite et la fabrication d'un martyr

Si l'extrême droite nous a toujours plus ou moins habitué à être un vecteur particulièrement zélé de haine et de violence, le tournant rhétorique entamé il y a quelques années notamment par Donald Trump aux États-Unis est particulièrement inquiétant. Et la stratégie récente déployée à l'encontre des détracteurs de Charlie Kirk est déconcertante.

La stratégie est simple : transformer Kirk en martyr de la "haine de gauche". En promulguant Kirk comme martyr au nom de la cause d'extrême droite, victime de la violence de l'ultra gauche -- supposée, à l'heure actuelle le tireur n'a pas été retrouvé ni ses revendications explicitées -- ces relais mettent explicitement une cible dans le dos de leurs opposants. L'objectif est tout aussi simple : délégitimer toute critique intellectuelle en la présentant comme une dérive autoritaire, mettant en danger immédiat les supporters de ces idéologies. De ce fait, ces supporters vont supposément, et c'est ce qu'on constate actuellement, s'enfermer dans une spirale d'auto-protection constituée d'attaque répétée contre les supporters des idéologies opposées. La meilleure des défenses, c'est l'attaque.

Pourtant, critiquer une idéologie, ce n'est absolument pas sortir de la démocratie, bien au contraire. Le jour où la critique sera interdite, ce qui semble être la volonté des défenseurs de cet argumentaire, la démocratie sera définitivement enterrée. Le jour où vous ne pourrez plus vous exprimer, où n'importe laquelle de vos interventions pourra être utilisée contre vous parce que vous avez émis une critique d'une idéologie, ce jour là, la démocratie sera morte. 

La critique d'une idéologie constitue le cœur vivant d'une démocratie. À ce titre, nous vivons peut être la mort en direct de la démocratie Américaine.

Accélérationnisme et amplification algorithmique

L’extrême droite n’en est pas simplement à défendre ses idées ou à polir son discours : elle pratique ce qu’on appelle l’accélérationnisme. L’objectif est clair : pousser la société démocratique à bout, forcer la polarisation, précipiter l’affrontement en multipliant les discours outranciers. Plus le climat devient anxiogène, plus la légitimité des institutions s’effrite, et plus la tentation d’une solution autoritaire grandit.

Ce mécanisme trouve dans les réseaux sociaux une chambre d’écho idéale. Les algorithmes de plateformes comme X (anciennement Twitter) sont conçus pour maximiser l’engagement, et donc l’émotion. Or, rien ne génère plus d’engagement que la peur, la colère ou l’indignation. En quelques heures, le récit d’un Kirk transformé en martyr de la « haine de gauche » s’est imposé comme cadre dominant, non pas parce qu’il reflétait la réalité du débat, mais parce qu’il servait la logique algorithmique : plus un message choque et divise, plus il est montré.

Et ce mécanisme est particulièrement visible avec cette affaire, comme le souligne particulièrement bien le Débunker des Étoiles :

Thread montrant la diffusion rapide des appels à la violence et les manipulations algorithmiques © @DeBunKerEtoiles

À ce terreau s’ajoutent des manipulations orchestrées de l’étranger, en particulier par la Russie, dont les opérations d’influence sont désormais documentées. Leurs objectifs sont parfaitement alignés avec ceux de l’accélérationnisme : fracturer la société, amplifier les discours de haine, miner la confiance dans les institutions. Bots, fermes à trolls et relais médiatiques jouent ici le rôle d’amplificateurs supplémentaires, donnant une impression de masse critique qui ne correspond pas à la réalité de l’opinion publique.

Nous sommes donc face à une boucle auto-entretenue :

  1. l’extrême droite produit un récit extrême,

  2. l’algorithme l’amplifie parce qu’il génère des réactions,

  3. des acteurs étrangers en rajoutent pour maximiser la fracture,

  4. la perception du débat public s’en trouve distordue,

  5. et cette distorsion nourrit l’idée que la société est au bord du chaos — ce qui justifie encore davantage l’accélération.

Dans ce contexte, prendre la parole, critiquer, refuser la banalisation, n’est pas une option : c’est une nécessité civique pour briser cette spirale.

Une démocratie ne meurt pas d’un coup de feu, mais quand nous acceptons que les idéologies destructrices deviennent respectables parce qu’elles sont dites poliment — et amplifiées par un algorithme.

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