Le projet de Loi El Khomri – ou Valls, comme il faudrait certainement plus justement l’appeler – sur la réforme du code du travail a fait l’objet d’arbitrages par Matignon le 14 mars dernier. Cependant, certains points concernant les services de santé au travail resteraient en l’état si l’on en croit l’article de Rachida El Azzouzi et de Mathilde Goanec paru dans Médiapart le 14 mars dernier.
« Rien non plus sur cette revendication portée par un large spectre syndical, de solidaires à la CFE-CGC : la visite médicale d’embauche, jusqu’ici obligatoire et sanctionnée par un certificat d’aptitude, serait remplacée par une visite de prévention, faite par un infirmier. La visite réalisée par le médecin du travail serait réservée aux « postes à risques », pour des salariés qui bénéficieraient ensuite d’un suivi renforcé. »
En l’état actuel du droit, cette visite médicale est « sanctionnée » par l’émission d’un avis d’aptitude. Dans ma pratique de médecin du travail, jamais je n’ai osé faire figurer autre chose que « apte », sans restriction à cette occasion. Pourquoi ? Tout simplement parce que dans la plupart des cas, le contrat n’est pas signé. Qui me dit que la fiche d’aptitude ou j’aurais mis « ne pas porter des charges de plus de 5 kilos » ne se traduira pas par un refus d’embauche par l’employeur ? Nous sommes un certain nombre de médecins du travail à vouloir en finir avec l’aptitude systématique1, sans pour autant supprimer la possibilité de rédiger, au cas par cas, des avis d’inaptitude et des réserves sur l’aptitude qui protègent le salarié. En revanche, l’aptitude systématique donne l’illusion d’une protection juridique à l’employeur tout en apportant un bénéfice pour le salarié sur lequel je reste très dubitatif. Enfin, quel degré de liberté de parole le salarié, atteint d’un problème de santé, a-t-il face à un médecin, capable de le mettre inapte, alors qu’il vient enfin de décrocher un poste ? Le sociologue Daniel Bachet2 le disait de la manière suivante :
Comment le salarié pourrait-il donner des renseignements sur son état de santé à un médecin qui peut les utiliser ensuite contre son maintien dans l’emploi ?
Conséquemment, si le salarié cache – justement – un certain nombre d’éléments médicaux lors de la visite d’embauche, quel en est l’intérêt ? Quel crédit porté au médecin du travail ? Maintenir le code en l’état actuel – ou proposer de maintenir cet aspect du code - n’est donc pas tenable.
En effet, quel est l’intérêt médical des examens d’embauche systématiques à l’échelle d’une population ? Il est particulièrement faible. En bref, il est douteux que la pratique de tels examens permettent d'améliorer l'état de santé de la population. Les auteurs d’une revue Cochrane récemment actualisée sur ce sujet3 précise que l’efficacité d’un examen à l’embauche a du sens si elle se focalise sur des métiers à risque, mais ils soulignent – et c’est suffisamment notable pour être souligné – que le refus d’embauche peut impacter la santé des salariés. « L’état de l’Art » à ce jour ne permet pas de justifier la pratique systématique d’examens à l’embauche pour tous les salariés.
Ne nous méprenons pas : je ne dis pas qu’il n’y a strictement aucun intérêt à une visite d’embauche. Elle est l’occasion de tracer les expositions professionnelles passées et surtout, d’informer les salarié-e-s sur leurs droits en matière de santé au travail. Nombre d’entre eux ne savent pas qu’ils peuvent demander à voir leur médecin du travail à leur demande. D’ailleurs, peu sont clairement au fait des missions exactes qui sont les nôtres.
Dans l’état actuel de la situation, avec des services de santé au travail qui se sont étoffés d’infirmiers de santé au travail pour la plupart, formés en milieu universitaire et par compagnonnage auprès de médecins du travail tuteurs, il me semble qu’ils ont tout à fait les compétences pour réaliser de tels entretiens infirmiers d’embauche, dans le cadre de protocoles validés par le médecin du travail. On rappellera qu’ils peuvent tout à fait solliciter une visite médicale en cas de besoin, ciblée sur une problématique. Aussi exceptionnels que nous soyons (personne n'en doutera !), nous autres médecins du travail, pouvons certainement envisager qu’une part de l'activité dans les services de santé au travail puisse être confiée à du personnel non médecin. Nous devons être des recours pour traiter les problèmes de santé au travail des salariés, répondre aux demandes, aider aux démarches spécifiques, agir en milieu de travail... Pour autant, je ne suis pas tout-puissant et j’ai suffisamment confiance dans mes collègues – quand j’ai l’assurance qu’ils sont bien formés -. Par ailleurs, je ne crois pas que nos collègues ophtalmologistes aient pâti de la montée en charge des orthoptistes, ou que les psychiatres aient eu trop à se plaindre de l’apport des infirmiers de soins psychiatriques…
Enfin, il me paraît paradoxal que des centrales syndicales relaient ce qui a tout l’air, au départ, d’une demande d’allure essentiellement patronale. L’intérêt d’une médecine d’aptitude se conçoit du point de vue d’un employeur qui la voit comme une sorte de « garantie » que son salarié ne tombera pas en panne –garantie bien évidemment illusoire -. Elle se conçoit aussi dans la perspective d’une médecine assurantielle, qui viserait à comparer l’état de santé en fin de carrière et à le comparer à celui à l’entrée – seule la différence entre les deux serait imputée à l’employeur -.
Plutôt que de nous offrir comme perspective le maintien des visites d’embauche avec avis d’aptitude pour tous les salariés, pourquoi ne pas en profiter pour porter d’autres propositions pour améliorer les services de santé au travail ? Pourquoi ne pas envisager la création d’un service public de la santé au travail, pour que les services interentreprises ne soient plus en concurrence les uns avec les autres et pâtissant d’une gouvernance déséquilibrée ? Pourquoi ne pas demander la reconnaissance à bac+5 des infirmier-ère-s ayant suivi une formation universitaire spécifique en santé au travail ? Pourquoi ne pas renforcer le rôle des DIRECCTE pour la garantie de l’effectivité des décisions prises pour protéger la santé des salariés ?
Il y a de quoi être un peu plus créatifs, non ?
Quentin Durand-Moreau,
Médecin du travail
Signataire de la pétition « Loi travail, non merci »
1 – Durand-Moreau Q et Dewitte JD , Les déterminants de l’inaptitude, in Del Sol & Héas, Variations sur et autour de l’aptitude en santé-travail, Editions Octarès, 2016
2 – Bachet D, Des pratiques professionnelles sous tension : l’examen clinique des salariés en médecine du travail, Actes de la recherche en sciences sociales 2011/3 (n° 188)
3 - Schaafsma et al., Pre-employment examinations for preventing injury, disease and sick leave in workers, Cochrane Database of Systematic Reviews 2016, Issue 1. Art. No.: CD008881