Premier long-métrage, et l’horizon du jeune cinéma français se dégage. Très nettement. On retrouve grosso modo, à l’intérieur du cinéma d’auteur, deux choix tactiques : s’enfermer dans l’Histoire et prendre la pose, ou jouir de l’Histoire et prendre la route.
Chez Peretjatko les clins d’œil au cinéma de Godard ou Rozier, par exemple, ne viennent jamais écraser le regard, mais au contraire revitaliser le cinéma. D’autant que le film renvoie aussi à certain cinéma populaire français des années 70-80, allant de Pascal Thomas aux films des Charlots.
Tout en potacherie libertaire, les personnages agissent au gré du vent. C’est à dire des rencontres. Et elles sont belles : un groupe, par exemple, échappé du tour de France, profite, oisif, d’une rivière. Tous se voient par la suite sommés de retourner au boulot par un garde-chasse soucieux de faire entendre les nombreuses interdictions propres à cet espace : interdiction de pêcher, de fumer, de se baigner… Ces interdits n’affecteront ni la poursuite de leur road movie, ni la possiblité pour le cinéaste de se jouer de ces références esthétiques.
L’histoire est simple : Hector cherche Truquette, un homme cherche une femme. La crise est là, mais cette quête l’annihile. Médecin et garagiste se montrent solidaires dès lors qu’ils entendent la raison pour laquelle ils sont sollicités.
Par de multiples manières de précipiter les personnages, le film semble irréel : il est pourtant d’une juste accuité politique. Sur la situation politique. Sur les corps contemporains.
Les personnages du film, à l’image de la jeunesse contemporaine, agissent plus qu’ils ne théorisent, et neutralisent les pires effets des systèmes politiques dominants par une manière joyeuse et concrète d’inventer des modes de vies plus poétiques.
Comme dans A bout de souffle, ces corps sont neufs. Sans règles, mus davantage par leurs désirs. Pas de discours, juste des mots pour continuer la route.
Par Quentin Mével et Stratis Vouyoucas
Vous avez réalisé des courts métrages auparavant, comment s’est déroulé votre passage au long ?
La différence entre les courts et les longs, en général, est que les courts partent d’une situation qui va évoluer jusqu’à la résolution. Fin de l’histoire. Pour les longs métrages, on part en général des personnages. Ceux-ci vivent des événements qui les transforment. On suit donc leur évolution à travers les obstacles qu’ils ont franchis et les épreuves qu’ils ont subies. Ce que je n’avais pas bien compris au départ. C’est pour cette raison que j’ai mis beaucoup de temps à écrire ce scénario : je suis parti au départ d’une situation, la crise. Première difficulté. L’autre difficulté est que le film est inspiré au départ des Pieds Nickelés, pas une adaptation fidèle, mais une inspiration. Or les Pieds Nickelés, c’est deux ou quatre pages, puis on change d’aventure, ce qui ne marche pas en long métrage, ou alors pour un film à sketches. Il a donc vraiment fallu trouver une histoire, l’histoire d’amour en l’occurrence. Faire un vaudeville sur fond de crise. Comme il s’agit d’une comédie plutôt visuelle, plus burlesque disons, il m’a été difficile de rendre un scénario, qui est un exercice littéraire, qui rende compte de ça. Ecrire est une chose, mais montrer que c’est drôle, c’est autre chose. Par exemple en littérature, très peu de livres me font rire aux éclats. Au mieux sourire. Ce qui n’enlève rien à leur qualité, mais l’image produit autre chose. Du moins me semble-t-il. C’est en tout cas très dur d’écrire un scénario qui valorise l’aspect comique. D’autant que je n’avais pas réalisé de long métrage, et que les différents lecteurs dans les commissions ne pouvaient s’appuyer sur aucun élément. Ils risquent de penser que ça va être naze.
C’est laborieux d’écrire un gag visuel?
Oui, dans la mesure où le gag dépend beaucoup de la mise en scène : l’axe de la caméra, du rythme, de la manière de monter le film.
Le scénario ressemble au film, ou il y a eu des moments plus improvisés liés au tournage ?
Le scénario était très précis, la structure générale n’a pas bougé. Il était indiqué par exemple les fermetures à l’iris, les fondus enchaînés etc. Il y a eu très peu de modifications au montage, par rapport au scénario.
Les difficultés que vous évoquiez pour votre scénario ont-elles posé des problèmes pour le financement du film ?
Oui, dans la mesure où les lecteurs sont davantage habitués à des scénarii plutôt littéraires. Mon scénario ressemblait à un scénario de tournage quasiment. Beaucoup d’indications techniques. Du coup, les gens ont du mal à rentrer dedans : ils voient une succession de plan mais pas le film.
Comment le travail s’est-il passé avec Emmanuel Chaumet, le producteur d’Ecce films ?
Nous avons retravaillé certains endroits pour raisons économiques : il y avait au départ un accident de la route avec un camion de glaces qui se renversait, cinq ou six voitures dans le carambolage et la personne du camion qui distribuait les glaces tombées de la camionnette. La glace de fraise fondue formait une grande marre rouge sur le bitume que les personnages du film prenaient d’abord pour du sang ! Sauf qu’il nous fallait un camion, le renverser, cinq ou six voitures accidentées, bref cela coûtait un peu cher pour notre budget. On a donc dégagé cette séquence. Au montage, il y a eu aussi des coupures à la plage, pour des questions de rythme. Emmanuel trouvait que ça n’évoluait pas assez, ce qui était vrai. L’arrivée à la plage est presqu’un aboutissement. Et le personnage du maître-nageur n’évoluait pas beaucoup. On a donc beaucoup coupé pour garder le noeud scénaristique.
Vous dites que le scénario était très précis, les premières séquences, en accéléré, sur les défilés du 14 juillet, avec Sarkozy puis Hollande ont-elles été écrites ainsi ?
Non pas exactement, c’était marqué « Truquette vend des gadgets de la Commune pendant que les militaires terminent le défilé ». En gros, je voulais des militaires qui montent dans leur camion, et qui rentrent dans leur caserne. Et comme on avait l’autorisation pour tout le défilé, en arrivant Place de l’étoile, la présence des tanks et des militaires correspondait parfaitement. On s’est mis en place très vite, pensant qu’on se ferait dégager, et non, l’autorisation était très respectée. Pendant qu’on tournait ces séquences, un opérateur était dans la tribune officielle, pour filmer uniquement Sarkozy, et noter la place de la caméra, pour filmer l’année suivante depuis strictement le même endroit, vraisemblablement un nouveau président, en l’occurrence Hollande. L’idée était de faire exactement les mêmes plans pour faire un peu chamboultou « le roi est mort, vive le roi » : deux présidents différents, un protocole strictement identique. L’année suivante, pour filmer Hollande, c’est moi qui ai filmé. Si le film donne une impression d’un film un peu foutraque, un peu improvisé, en fait pas du tout. Par exemple, il y a très peu de caméra à l’épaule. La caméra est toujours sur pied à part dans deux scènes. Et il y a très peu de panoramiques. C’est essentiellement à l’intérieur du cadre que ça bouge.
Les accélérés au début ont-ils été faits en post-production ?
Non, à la prise de vue.
On sent d’emblée le côté dérision, moquerie.
Oui c’était l’objet. Faire un truc grand guignol. A un moment, au montage, on avait mis un plan du chamboultou qui séparait Sarkozy de Hollande. Ça ne marchait pas sur le plan esthétique, ça faisait « idée ». En cheap.
Si le film s’est avéré un peu compliqué à financer, comment avez-vous procédé ?
Au départ, un premier producteur voulait faire le film de manière plus classique. C’est à dire un peu chère, 2 ou 3 millions d’euros. Il me semblait évident qu’on ne trouverait jamais cette somme. Au bout d’un moment, j’ai récupéré les droits. Ça ne l’intéressait plus de me produire. Et je suis allé voir Emmanuel Chaumet. Après un court ensemble, il lit le long et me dit qu’on peut le produire pour pas cher. On fonce. Canal + n’a finalement pas acheté, on est allé voir la région Midi-pyrénées qu’on a eu. Et on a pas non plus les autres régions demandées. On a donc 100 000 euros de la région, comme évoqué dans le film. On a eu par la suite une sofica et la procirep. On arrive grosso modo à 200 000 euros pour le tournage. Pas de télé, on s’est donc autorisé tout ce qu’on voulait : nombreux plans larges, cigarettes et alcool à gogo. Quelque part, ça a donné une liberté au film.
Lorsque vous avez votre budget – 200 000 euros – retravaillez-vous le film pour permettre sa réalisation, dans ces conditions ?
On se disait que 200 000 euros était la somme minimum. Tout ce qui arrive en plus, c’est du bonus. On contacte d’abord l’équipe, en l’occurrence ceux avec lesquels j’avais travaillé sur mes précédents courts métrages, en leur disant qu’on allait faire un film fauché. Payé au SMIC. Si ça vous intéresse, welcome, sinon on comprend, l’été, de nombreux films se tournent, peut-être mieux payés. Notre première réflexion s’est donc d’abord posée par rapport aux salaires. Puis, rapidement, sur les accessoires : très compliqué, pour le moindre truc à mettre sur une table par exemple, ça coute 20 euros. Y a vraiment eu aucun gaspi sur le film. De la même manière pour la machinerie, si on a besoin d’un travelling, on loue juste le temps nécessaire. Ni plus, ni moins. D’ailleurs, il n’y a pas de travellings dans le film. Juste une voiture travelling. On a mis la voiture sur une remorque. D’abord Vincent Macaigne ne sait pas conduire : il fait semblant à chaque plan au volant. Et puis cela permet pleins de choses : conduire et boire en même temps avec les pieds sur le volant etc. Il y a aussi quelques plans où la caméra se trouve à la place du conducteur, ce qui ne peut fonctionner sans remorque.
Il n’y avait aucune improvisation, cela implique un gros travail de découpage en amont du tournage.
Nous ne sommes jamais allés sur les lieux où l’on tournait sans avoir repéré et réfléchi à un découpage technique sur place. Pas sur photos. Sur place vraiment avec chaque chef de poste, plan 1 ici, donc le 2 sera là etc. Sans cela, on perd trop de temps. Et on en n’avait pas. On peut improviser quand le film est très préparé, bien mûri : c’est le cas dans la séquence où il pleut, que les trois personnages ont chacun un parapluie. La veille, on annonçait une météo infecte pour le lendemain. On devait tourner sur un panorama. On arrive, il pleut des cordes. Je m’étais dit la veille qu’on irait acheter des parapluies de couleur en cas pluie, de sorte que cela semble fait exprès. Des parapluies noirs ou gris, c’est un peu triste. Je me disais que cela colorerait au moins un peu le plan. Il restait trois parapluies dans le village, de la couleur de chacun des personnages. C’était pensé en amont, je m’étais dit, si un jour on a ce problème-là - comme on avait pas de budget, on ne les avait pas acheté à l’avance - prévoyons des cirés. Un peu stylisé, comme Chantons sous la pluie. Et puis ça semble fait exprès. Le film est très anticipé, il y a très peu d’improvisation.
Le choix de tourner en pellicule semble très audacieux.
Pas plus que ça. Tous mes films précédents sont tournés en 16 mm ou 35 mm : c’est une habitude de travail que j’avais. Ainsi que mon équipe, qui était quasiment la même que pour mes précédents films. La question s’est posée quand, par manque de liquidité, nous avons dû couper le tournage en deux (trois semaines en août 2011 et trois semaines en juin 2012). J’ai demandé à Emmanuel Chaumet si en filmant avec un appareil photo Canon, cela nous couterait moins cher, et nous permettrait de tourner le film en une fois. L’économie ne serait pas suffisante. Alors autant tourner en 16 mm, je serai plus à l’aise.
Faites-vous des répétitions avec les comédiens ?
Oui, et je fais quatre ou cinq prises maximum. Une ou deux fois on a fait jusqu’à douze prises. En général, on répète jusqu’à ce que tout le monde soit prêt. Sur le plateau. Quelques-unes en amont du tournage, mais que les comédiens ont oublié. Les répétitions avant tournage, c’est davantage pour mettre les gens dans l’esprit. Répétitions donc sur le plateau, quand tout le monde est techniquement prêt, j’interviens pour diriger, et on attaque les répétitions de jeu. Et d’ailleurs, souvent – je l’ai observé aussi lorsque je réalisais le making-of du film d’Audiard, De rouille et d’os – on a du mal à enchaîner la dernière répétition et la première prise. Entre les deux, il y a toujours un micro à remettre, une coiffure, une lumière, et hop, on a perdu l’énergie. Le docteur Placenta était surtout bon dans les répétitions, c’est un acteur de théâtre, donc il lâche tout, tout de suite. Il m’est alors arrivé d’annoncer la dernière répétition, et de tourner. Nous faisons beaucoup de répétitions pour une technique nickel et éviter de gâcher de la pellicule.
Comment travaillez-vous avec les acteurs ?
D’abord, il s’agit pour moi de définir une manière d’être pendant le tournage, ce qui produit un effet de groupe. Par exemple, j’aime bien venir bosser en chemise avec une cravate. Ça donne un petit côté décalé, pince-sans-rire. Qui se répercute sur l’équipe. Ça donne un côté un peu marrant. Il est important aussi d’organiser le bordel. Par exemple, je n’ai pas de scripte : les racords, les verres vides ou pleins… ça m’est égal. De speeder aussi. Au départ, quand on commence les répétitions, tout est très lent. Je fais tout pour accélérer, qu’il n’y ait pas de temps morts. Que les personnages se répondent du tac au tac. Parfois je leur parle pendant les prises aussi, « on s’endort là, allez, allez ». Du coup, souvent les acteurs accélèrent d’un coup. En coupant juste avant l’accélération, cela provoque un rythme bizarre et drôle.
Par ailleurs, on a tourné à 22 images/seconde – pas à 24 images/seconde – ce qui fait que les personnages sont un peu plus speed. C’était dans le scénario.
Cela crée un problème de synchro entre l’image et le son ?
Non, on enregistre le son en 24 images/seconde, mais on l’accélère ensuite. Cela crée des voix un peu plus aiguës, et donc un effet comique. Cela donne de la vitesse, mais cela fonctionne beaucoup avec les comédiens, que je speede, qui ne savent pas forcément ce qu’on accélère.
Le film semble très référencé : de Godard à Rozier en passant par la comédie populaire des années 70-80 du ton potache/libertaire des Charlots aux comédies de plage de Philippe Clair, sans que ces références ne soient écrasantes et surtout sans hiérarchie.
Ce qui est très étrange, c’est que ce n’est pas conscient. Pour mes trois premiers courts-métrages on me disait déjà : « ça fait vraiment penser à la Nouvelle Vague », puis on a cessé de me le dire… C’est certainement très lié à l’image. Les couleurs sont très saturées : le rouge est éclatant, le bleu est bleu… Et ce n’est plus à la mode dans le cinéma français de faire une image comme ça. En général, les couleurs sont peu vives. Du coup, avec le grain du 16 mm ça rappelle forcément une époque un peu révolue du cinéma. C’est aussi le fait de tourner en petite équipe, de manière très libre. Et comme le cinéma français contemporain est très sage, très sclérosé, très lourd : quand on passe sur les plateaux, c’est simple, tout le monde est debout et le seul à être assis est le réalisateur ! Alors forcément ça donne des films assis !
Si le film a un côté un peu libre c’est qu’on a essayé de se libérer de toute la lourdeur de l’installation technique. Et puis de toute façon on n’avait pas le choix !
De la même manière, je n’ai pas de retour vidéo, je suis juste à côté de la caméra et je regarde ce qui se passe en direct de sorte que le cadreur est très concentré sur ce qu’il fait.
Malgré tout la référence aux Pieds Nickelés évoque directement Pierrot le Fou, les accidents de voiture font penser à Week-end, les regards caméra de Macaigne rappellent A Bout de Souffle…
Je voulais qu’il y ait des regards caméra dans le film. Ils concernent tous les personnages principaux : Hector quand il est au bar et parle d’un amour déçu, Truquette fait un clin d’œil, Macaigne dans la voiture, etc. Ce sont des choses très inconscientes au fond : Jamais pendant le tournage on ne s’est dit « on va faire tel plan parce que dans tel film il y a eu ça… », mais évidemment le film est complètement nourri d’une cinéphilie. Même les fermetures à l’iris ou les flashbacks sont des choses qu’on ne fait presque plus aujourd’hui.
Mais ce qui est vraiment surprenant dans le film, c’est de mettre en rapport un cinéma d’auteur (même s’il revendique sa légèreté comme celui de Rozier) et un cinéma ouvertement populaire comme par exemple celui des Charlots.
Ce n’est pas quelque chose que j’avais en tête non plus. Je me disais juste « ça, ça me fait marrer ! » Mais je pense que ça vient plus du burlesque. C’est vrai que ça c’est perdu le burlesque dans le cinéma français. Il y a eu un renouveau du comique visuel avec Pierre Richard dans les années 70-80 et ensuite, c’est complètement tombé en désuétude.
Il y a aussi des films comme Le Chaud Lapin de Pascal Thomas avec Bernard Menez…
Exactement. Et les regards caméras m’ont été beaucoup inspirés par le Grand Appartement de Pascal Thomas où l’on voit Amalric dans une voiture qui commence à parler à la caméra et je trouvais ça drôle de revenir à ça aujourd’hui dans ce film qui est très libre. C’est une façon de prendre à partie le spectateur.
Donc le choix de tourner en pellicule ne s’est pas fait du tout en fonction de films plus anciens ? Pourquoi insister autant à tourner en pellicule ?
Parce que c’est une habitude de travail que j’ai. Je sais que ça, je maîtrise et que je vais bien m’en sortir. J’ai très peur de tourner en vidéo parce que je ne connais pas le rendu que j’aurai. Je fais un film qui n’est pas réaliste bien qu’il parle de la vie d’aujourd’hui. Je sais exactement ce que j’aurai à l’écran quand je vais le filmer : en vidéo, je ne sais pas ce que ça peut donner, si ça va paraître bête ou naïf.
Ça participe de la stylisation du film.
Oui. Le film a beau être stylisé, il n’en parle pas moins (et même, plus que je l’espérais) de la situation et du monde d’aujourd’hui. Par exemple j’avais aussi envie de montrer de la violence avant qu’ils partent en vacance : la violence de la ville. Et c’est pourquoi les deux personnages masculins et les deux personnages féminins voient quelqu’un se faire tuer devant eux. En partant en vacances, ils quittent cette violence et finalement la violence les rejoint – avec le garde-chasse ou les policiers. De toute façon, le policier est une figure récurrente du burlesque. Et puis il y un mois, un type c’est suicidé au fusil dans une cour d’école ou devant Notre-Dame. Ça semble absurde dans le film, mais c’est là ! La rentrée c’est pareil. L’idée de départ est de décrire la crise : comment pousser les choses le plus possible dans l’absurde et que ce soit drôle « voilà il n’y a plus d’argent, on remet les gens au boulot, les vacances sont réduites d’un mois ! » Là, ils n’on pas enlevé un mois, ils ont enlevé 15 jours…
Pouvez-vous nous parler pratiquement de la séquence de fête à la fin du film ou Hector et Truquette se retrouvent dans la fumée ?
A la fin, j’avais vraiment envie d’une fête où les gens se cherchent. Une sorte d’allégorie de la vie où ils seraient à la recherche de l’âme sœur, de l’amitié… Et on arrive au tournage, sans avoir beaucoup de figurants. La maison était quasiment vide parce que la déco ne me plaisait pas du tout et en plus les murs étaient jaunes ! On a repeint en rouge et là tout de suite ça flashe et puis c’est la couleur du film.
Ensuite, on s’est demandé comment résoudre la question de montrer une fête avec dix figurants… En mettant la fumée, on ne voit pas qu’on est pauvres ! Et en plus ça sert le propos du film : on est dans le brouillard et ce brouillard caractérise l’existence… Ça répond à la phrase du type déguisé en lion : « Plus ça avance, plus je perds pied, je ne comprends plus rien à la vie ». Et au son, on a rajouté du vent (ça c’était dans le scénario) qui répond à la première phrase du film : « la vie, c’est du vent ». Tout au long du film, ils vont rechercher un vent de liberté : Macaigne rallume le ventilo que le Dr Placenta a éteint, c’est le vent de la liberté qui le pousse et en face de lui, le vieux papy qui a un CV long comme le bras et qui n’est pas prêt de céder sa place à la jeunesse, n’a pas le vent ! Après, ils passent devant des éoliennes et ça se termine sur le bateau avec le vent…
Pourquoi choisir de parler de la crise par le biais de la comédie ?
Pour atteindre plus facilement les gens. Les films qui traitent de sujets sérieux sont souvent trop raides, je trouve et c’est assez préjudiciable. Mélanger burlesque et politique m’intéresse davantage. Et ça, j’en ai pris conscience en voyant les films de Dino Risi qui sont des comédies hilarantes et qui disent vraiment quelque chose sur l’Italie.
Dans la comédie italienne, il y a un côté social très ancré alors que dans votre film on est dans la pure fantaisie, même s’il y a des allusions à la société française.
C’est très optimiste dans la mesure où les personnages refusent la gravité du monde d’aujourd’hui. Ce ne sont pas des révolutionnaires. Le film n’est pas militant, il ne va pas essayer de convaincre les gens d’une idée. Il ne défend pas une thèse. Il va essayer d’amener les gens à réfléchir à l’état du monde. Comme dans la scène du jeu télé où s’inscrit le nom de Guy Debord auquel succède le bruit de pièces de monnaie qui n’arrêtent pas de tomber et le docteur Placenta dit : « C’est la crise ! ».
Ce rapport très optimiste et très « je m’enfoutiste » vis-à-vis de la crise me semble vraiment à contre-courant de notre époque, où l’on a tendance à en avoir peur.
Dans une scène coupée au montage Truquette voulait rentrer travailler à Paris et Marcello lui disait : « La crise, c’est quelque chose pour faire peur aux gens ! »
Les personnages n’ont pas peur. Ils se disent : « de toute façon, c’est la merde ! Du boulot y’en a pas ! La société veut pas de nous quand ça marchouille, maintenant que c’est la crise on fait appel à nous ? Ben non ! » Ils ne sont pas révolutionnaires, mais leurs actes mettent un petit grain de sable dans la machine.
Ils sont plus libertaires, plus révoltés que révolutionnaires ?
Exactement.