Notes:
Souvenirs, souvenirs
Il faut assurément compter avec Sophie Letourneur : sur sa liberté et son inventivité. Après un long-métrage (La vie au ranch), la cinéaste tourne un court, Le marin masqué. Fait déjà assez rare pour être remarqué. Le travail est bien entendu d’une précision inouïe. Scénario, repérage, tournage, montage. Insister sur ceci est nécessaire pour écarter l’improvisation et révéler le travail.
Deux copines, chacune en couple, partent un week-end en Bretagne. L’occasion de parler des mecs. Et du marin masqué, souvenir d’un amour adolescent de l’une. Revenir en arrière, donc , comme dirait l’autre.
Le film est raconté par les deux filles qui se souviennent de ce week-end. Au moins deux enjeux :
1. Filmer de manière directe, frontale (de manière quasi théâtrale), une situation, une action. Sans hors champs. Sans le silence des profondeurs. A la manière d’une sitcom. Chaque séquence est d’ailleurs ponctuée d’une forme d’habillage sonore, reprise en « musique d’ascenseur » de la chanson Words don’t come easy de F.R. David. Poussée à bout, la chanson se fait ritournelle, quotidienne, banale et douce-amère.
2. Mêler le dialogue de l’action présente et le dialogue du souvenir commenté. Les deux se frottent, les mots tombent parfois justes et révèlent dans le même temps l’action et son commentaire. De manière comique et incarnée : parfois l’énoncé et le commentaire redondent (un même mot clos les deux phases) et parfois non.
Le son commente l’image : soit il se superpose et renvoie à la banalité de la situation, alors comique, soit il s’interpose et complexifie la scène.
Entretien, novembre 2011
Est ce que la forme du film était déterminée au départ, au moment de l’écriture ?
Le film a été écrit d’après une conversation entre Laetitia et moi, pensée et enregistrée pour le film. Je voulais mettre en scène un souvenir. Comment raconter quelque chose permet de revivre ce moment. Et comment ça nourrit les histoires. Comme c’est un film sur le souvenir, cela nourrit des phantasmes. Le souvenir du marin masqué nourrit un imaginaire. Dans le fond elle n’est pas amoureuse de lui. Elle est juste amoureuse du souvenir. Je trouvais intéressant de parler de ce qu’on peut projeter sur quelqu’un dans une forme qui partirait d’un souvenir. Un souvenir partagé en plus.
D’où ce travail particulier sur le son ?
C’est l’idée du récit. En fait, le récit prime sur ce qui s’est réellement passé. C’est en plus un récit participatif. Comme c’est un récit à deux, l’une entraîne l’autre. C’est la forme d’une discussion. J’ai beaucoup travaillé sur les conversations, cela permettait d’expérimenter quelque chose que je n’avais jamais fait : passer du récit de la conversation, comme une temporalité zéro, au commentaire de ce qui s’est passé. Du présent à ce qu’il s’est passé, avec, dans le même temps, un commentaire sur ce qui s’est passé. Jouer sur de nombreux niveaux pour qu’au final le langage soit au centre du projet.
Le dialogue au présent et le commentaire ont été écrits dans le même temps ?
Oui. Il y a eu une discussion, je dois avoir quatre heures d’enregistrement sur ce récit. Et tout est tiré de cette conversation : dialogue et voix-off. J’ai vraiment écrit à partir de cet enregistrement. C’est surtout une histoire de rythme. Comme j’écris sur un logiciel de montage son, je monte d’abord la discussion. Je suis dans le rythme de la parole. Je peux donc facilement imaginer ce que ça va donner, puisque je maîtrise le rythme, dans la matière. Le rythme général du film était vite là. D’ailleurs le film se construit à partir de ce rythme. Comme pour mes précédents films, le sens compte, bien sûr, mais aussi mon ressenti par rapport au rythme. Il y a quelque chose de très spontané quand j’écris, et ce n’est pas forcément le sens des mots, c’est vraiment le rythme du film, du langage, le rythme de la conversation.
Peux-tu évoquer l’utilisation et le rôle de la musique ?
J’avais envie de faire un film en prenant un peu le contre-pied de ce que j’avais fait précédemment. C’est-à-dire, être complètement dans la fabrication : abandonner le son direct, jouer la carte des entrées et sorties de champs. Dans mes films précédents, les séquences étaient davantage comme des blocs de réalité, on entrait au milieu d’un dialogue, d’une action. Ici, on peut presque imaginer le mot action. Et je ne cherche pas du tout à être dans quelque chose de réaliste. Pour nos personnages, je pensais à Oui-Oui et Potiron dans leur voiture. Je trouvais drôle qu’elle me balade en voiture. Cela me faisait l’impression d’une image de dessin animé. Et la musique appuyait cette sensation. J’ai choisi cette musique un peu synthétique, comme une ritournelle moderne, un peu mièvre.