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Billet de blog 16 juillet 2013

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Festival Côté Court 2013, Incident urbain de John Lalor

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Incident urbain de John Lalor

Incident urbain frappe par son ambition – filmer l’Art – et son évident plaisir de filmer. C’est un western, un espace et deux cow-boys, tendance Monte Hellman. Une fiction avance, précise, comme une flèche, avec son (f)lot d’histoires – référence à 50 ans d’histoire de France, l’après-guerre, les gauches des années 70, Mesrine, Mitterrand… – trouée par un documentaire unique sur deux immenses cinéastes – André S. Labarthe et Jean-François Stévennin. De telle sorte que, là encore, il s’agit, à travers eux, de 50 ans de cinéma français. Concret, abstrait. Histoire, histoires, architecture, art.

Sur le plateau de la BNF à Paris, deux personnes, deux âges, ont traversé la France et le Monde, côté extrême gauche, et racontent l’histoire de l’architecte Dominique Perrault pour la construction de la Bibliothèque Nationale. Art, économie et politique. Sur un mode poétique, les personnages dérivent, de manière ludique, leurs rapports au monde et la place de l’Art.

Cette ambition apparente est non seulement réelle mais aussi très simple dans sa mise en forme. La discussion saute par un effet ludique de cause à effet de Beckett à Karmiz, de Mitterrand à Mao, du cinéma présent à la présence du cinéma. Bref, un film hanté par l’Histoire et le temps.

Le film mêle des cinémas différents, au hasard, les polars des années 70, la citation godardienne, la photographie de Michael Mann – voire Ferrara, les dérives de Tarantino, les corps imprimés, lourds et dansants des deux acteurs français – sorte de Johne Wayne européen. Ancien et moderne : une vraie guerre miterrandienne en somme.

C’est peut-êtrte un film venu d’ailleurs, assez monumental et au final assez modeste dans sa manière de traiter le cinéma sous la forme d’un jeux perecquien : à la fois érudit et ludique.

Rencontre avec le cinéaste

Vous avez travaillé pendant 25 ans comme plasticien. Pourquoi avez-vous souhaité aujourd’hui réalisé un film ?

Les tableaux que je peignais ressemblaient de plus en plus à des installations. D’un travail au départ plus solitaire, j’appréciais ces derniers temps des travaux plus collectifs. Par ailleurs, ces dix dernières années j’ai fait des interventions artistiques dans la presse liées au cinéma, une série de tableaux – appelée peinture multiple – liée au cinéma. Une série photo sur la maison HLM de ma femme, en Irlande, de style « Ken Loachien », je dirais. J’ai ensuite travaillé avec un architecte pour préparer le dispositif de cette exposition. Au fur et à mesure que j’avançais dans mon travail, cela prenait une dimension plus cinématographique.

Quel est votre rapport au cinéma ?

J’ai toujours beaucoup vu de films. Avec une sorte de dédoublement ces quinze dernières années : lorsque je faisais de la peinture, je parlais de cinéma. Lorsque j’ai commencé à écrire ce film, en 2005, je ne pensais qu’au cinéma : m’accaprer de manière concrète les objets du cinéma, pour ce film tout au moins ; la fantaisie, le réel, la fiction, les acteurs, la caméra. C’était un moment intense de confrontation avec ma propre vérité, mon propre désir. Ce n’était plus un travail de phantasme sur le cinéma – ce que beaucoup d’artistes font – mais bien entrer dans le réel de la fabrication esthétique et technique d’un film.

Pour Incident urbain, vous aviez des images précises en tête, ou bien est-ce le scénario qui a initié ce désir de réaliser ?

Les premières idées consistaient vraiment à tourner sur ce plateau de la BNF (bibliothèque nationale de France). J’ai vécu cet endroit dès sa conception, puis lors de sa construction – ces vingt dernières années – à travers l’histoire du socialisme contemporain français. C’est vraiment le lieu au départ, et le travail de l’architecte Dominique Perrault qui m’ont d’abord frappé. Je songeais même à réaliser un documentaire. Puis rapidement, les deux personnages de mon film intervenait dans cet espace, chargés de l’histoire du cinéma. Comme des figures cinématographiques. C’est devenu une bref histoire de la France, de ces quarante dernières années. Du point de vue d’un étranger ; le croisement entre la manière dont j’ai rêvé ce pays, et sa réalité concrète.

Ce qui est vraiment passionnant dans le film est sa véritable réussite à tisser au scénario un aspect plus théorique sur l’art avec une narration plus directement inspirée de l’histoire du cinéma, et relativement fantaisiste.

Dans l’art contemporain, la théorie est assez centrale. Et plus je rentrais dans le cinéma, sa matière, plus les personnages m’importaient. Par ailleurs, lorsque j’ai rencontré les deux acteurs – André S Labarthe et Jean-françois Stévenin – ils m’ont beaucoup aidé à incarner un dialogue un peu conceptuel, au départ. Ils ont été très impliqués, très généreux, et m’ont beaucoup appris sur le cinéma. Filmer ces deux acteurs et réalisateurs étaient un rêve. Les filmer eux, dans un décor fordien. Du moins, je l’imaginais comme ça.

La présence d’Eric Gauthier à la photo est plutôt rare pour un court et premier film, je suppose. Comment s’est passé votre rencontre ?

D’abord, c’est un directeur de la photo que j’adore depuis longtemps. Pour le film, nous lui avons écrit une lettre avec ma productrice Corinne Castel. Il nous a répondu. Je pense qu’il était curieux du projet, et particulièrement de la présence de Labarthe et Stévenin. De filmer à la BNF aussi, je crois. Et peut-être, de rencontrer un irlandais. On s’est rencontré, et nous avons parlé de cinéma. Peut-être a-t-il aussi été séduit par ma passion du cinéma. Nous avons à peu près le même âge aussi, des références communes.

Avez-vous parlé de style ou de mise en scène ?

Oui nous avons évoqué la forêt, à l’intérieur de la BNF. Mais aussi l’extérieur, les trains, l’urbanisation. Et puis la scène intérieure avec les acteurs. Filmer un dialogue dans monument valley. Nous sommes allés plusieurs fois sur place pour nous documenter et réfléchir à des axes de caméra : comment filmer les quatres colonnes, la forêt, les cages, les marches qui descendent vers la Seine et l’intérieur de la BNF, avec notamment la maquette. L’équipe serait souple de telle sorte qu’on pouvait changer d’axe ou d’idée sur place. Ce qui plaisait aussi beaucoup à Eric.

Comment s’est passé le montage avec Guy Lecorne ?

Je suis allé chercher Guy, comme je l’ai fait pour Eric. En pensant essentiellement aux films qu’il a fait avec Bruno Dumont. Il a très vite saisi ce qu’on voulait faire, s’appuyer sur de longues séquences, étirer certains plans. Lui a ramené, en montant deux plans auxquels je n’avais pas du temps pensé, une certaine vitesse. Il a été très astucieux pour tricoter les séquences de telles sorte qu’elles gardaient leur longueur, tout en gagnant en vitesse. Nous avons aussi beaucoup parlé des séquences où l’on filmait la maquette : comment l’introduire dans le film, sans que cela arrive comme un concept. Et comment reprendre les séquences maquettes périodiquement pour à la fois resserrer et aérer.

Pourquoi ce choix d’acteurs ?

Avec Jean-François et André, c’était aussi merveilleux. Comme ils sont aussi cinéastes, ils ont un rapport assez poétique au tournage. Leurs films sont très importants pour moi, ils m’ont hanté depuis que je suis en France.

Propos recueillis à Paris en juillet 2013. 

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