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Billet de blog 8 novembre 2025

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Stop à l’essentialisation : le boycott aveugle n’aide pas les Palestinien·ne·s

Stop à l’essentialisation : le boycott aveugle n’aide pas les Palestiniennes et Palestiniens. Le RAAR déplore et condamne la progression d’un boycott culturel et universitaire fondé non plus sur des critères institutionnels ou politiques précis, mais sur une suspicion généralisée envers toute personne liée, de près ou de loin, à Israël.

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Illustration 1
Eva Ilouz

Plusieurs exemples récents ne relèvent pas d’incidents isolés mais d’une dynamique qui remplace la critique politique par une logique d’exclusion raciste, antisémite ou xénophobe.

La perturbation violente du concert de l’orchestre philarmonique d’Israël constitue un acte très problématique.

Tenter d’empêcher physiquement un événement artistique est un comportement qui, en niant l’existence même d’un espace culturel où se rencontrent œuvres, publics et artistes ne peut éventuellement se justifier que si le ou les artistes « empéché.es » participent de notoriété publique à des discours ou à des actes criminels. Or, que reproche-t-on à cet orchestre et à son chef ? Le fait, d’une part d’être une institution financée par l’État d’Israël, d’autre part d’avoir donné au printemps dernier un concert commun avec l’orchestre de Tsahal appelant à la libération des otages et à la fin de la guerre et de ne pas avoir pris, de ce fait, clairement position contre les crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés par l’armée d’Israël contre la population de Gaza.

Il est certain que le fait d’exiger des musiciens ou de leur directeur une prise de position politique préalable revient à essentialiser des individus en fonction de leur origine nationale, comme si le fait d’être israélien imposait une justification permanente.

Cette exigence est d’autant plus problématique qu’elle est, par construction, insatiable : toute position publique, même critique, est systématiquement jugée insuffisante. Nous avons connu en France la même exigence insatiable à l’égard des musulmans de France après les attentats de 2015.

Il se trouve que Lahav Shani, directeur de l’orchestre philarmonique d’Israël s’est exprimé contre la poursuite de la guerre et pour une issue politique, et a participé à des projets artistiques prônant la coopération israélo-palestinienne, tels que le West-Eastern Divan Orchestra fondé par Daniel Barenboim et Edward Saïd.

S’attaquer à ce musicien qui est ou a été engagé dans des formes concrètes de dialogue de paix revient à affaiblir des acteurs essentiels de la paix et à renforcer indirectement les courants les plus bellicistes en Israël, qui tirent avantage de l’isolement de leurs opposants internes.

Certes, Lahav Shani ne fait pas partie des militants les plus virulents contre la politique délétère du gouvernement israélien tels que ceux de Standing together, de B’tselem ou de Breaking the silence.

Il reste que les atteintes dirigées contre cet orchestre et son chef ne tiennent pas compte de ses engagements mais reposent sur une assignation à sa nationalité qui neutralise à l’avance la portée de toute parole individuelle.

Le cas d’Eva Illouz confirme également cette dérive

Le cas d’Eva Illouz confirme également cette dérive. Invitée à intervenir au « Love Lab » de l’Université Erasmus de Rotterdam sur un thème sans lien avec le Proche-Orient — « Amour romantique et capitalisme » — elle a été informée, par un courriel non signé, de sa « désinvitation », les organisateurs invoquant un « malaise » lié à son enseignement passé à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Eva Illouz elle-même a souligné le caractère absurde de cette décision, non sans ironie, en déclarant « qu’il était réjouissant qu’une décision indiscutablement antisémite ait pu être prise de façon démocratique et honnête ».

Cette mise à l’écart est d’autant plus incohérente que la sociologue a publiquement dénoncé la politique israélienne, qu’elle a qualifiée de « criminelle », et qu’elle a été silenciée et sanctionnée pour ces positions par le gouvernement israélien, qui l’a empêchée de recevoir un prix scientifique.

Pourtant, là encore ses engagements ne sont pas pris en compte.

Ils sont effacés au profit d’un critère national qui annule a priori la valeur de ses positions réelles quelles qu’elles soient.

Cette criminalisation désormais n’épargne personne. Un tel essentialisme autorise l’exclusion fondée sur la nationalité, voire sur l’identité d’origine.

Le RAAR dénonce ces sinistres amalgames qui jettent une suspicion globale sur l’ensemble des Israéliens, voire chez certains Juifs, en les assignant à une responsabilité collective étrangère à leurs actes, à leurs idées, ou à leurs luttes — y compris lorsqu’ils se trouvent eux-mêmes sanctionnés par le gouvernement israélien pour leur opposition à sa politique.

Le lien entre ces situations est clair : les positions individuelles ne sont jamais jugées recevables

Le lien entre ces situations est clair : les positions individuelles ne sont jamais jugées recevables ; les œuvres artistiques et les engagements intellectuels sont neutralisés ; et toute divergence, par rapport au mot d’ordre attendu, tout lien jugé suspect conduit à la mise à l’écart voire à la violence.

Une telle logique prétend s’inscrire dans la solidarité, une solidarité plus que jamais nécessaire avec les souffrances du peuple palestinien, mais elle fragilise en réalité celles et ceux — artistes, universitaires, chercheurs, créateurs — qui agissent concrètement pour maintenir ouverts les espaces de dialogue, de critique, de nuance et de pensée. D’autant que ce sont les deux peuples israéliens et palestiniens qui, depuis plus de deux ans au moins souffrent dans leurs corps et dans leurs âmes de ce conflit interminable nourri par les fanatiques des deux bords.

Le RAAR appelle les organisations syndicales, associatives et politiques à rejeter ces dérives essentialisantes.

La critique virulente du gouvernement Netanyahou et de ses soutiens est non seulement légitime, mais vitale pour les deux peuples et pour l’humanité, mais si cette critique conduit à interdire à des artistes et intellectuels le simple fait de s’exprimer, elle devient une faute politique et morale.

Elle nuit aux forces de paix, brouille les lignes d’une solidarité cohérente et prive les Palestiniens de précieux alliés.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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