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Billet de blog 24 décembre 2013

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L'avé Maria de l'abbé Gravel

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le titre évoque le soutien apporté à Maria Mourani par l’abbé Raymond Gravel, ce grand humaniste souverainiste. Un soutien qui vient contrebalancer quelque peu l’avalanche de critiques qui ciblent la députée d’Ahuntsic depuis quelques jours.

Moi aussi, je peux comprendre la lettre de Maria Mourani annonçant son divorce définitif avec le mouvement souverainiste, trois mois après s’être séparée du Bloc québécois dont elle était la seule députée-rescapée, dans la région montréalaise, après le raz-de-marée du NPD de mai 2011.  En fait, je comprends même son questionnement, en septembre dernier, lorsqu’elle disait réfléchir à son avenir de militante indépendantiste :

Est-ce que les gens comme moi qui viennent d’ailleurs, qui s’intègrent au Québec, qui deviennent des citoyens à part entière, est-ce qu’ils ont leur place dans le mouvement ?

Elle venait alors d’être expulsée du caucus du Bloc.

Pour comprendre le cheminement politique de Maria Mourani, il semble nécessaire de s’entendre sur une chose. Sur les questions de souveraineté et du rapport à la nation québécoise, les souverainistes issus des minorités culturelles n’ont pas le même type de rapport que ceux du groupe historique des Canadiens-français. Ces derniers ont un lien charnel avec la nation québécoise et une mémoire historique marquée par des ressentiments envers le Canada-anglais du même ordre que ceux éprouvés, envers les puissances coloniales, dans les anciennes colonies. Un nouvel arrivant peut sympathiser (avec) ou même appuyer le mouvement souverainiste au nom du droit des peuples à l’autodétermination et des nations à disposer d’elles-mêmes, mais pour s’y investir, il a, dans la plupart des cas, besoin de sentir que ce projet de pays l’inclut aussi. C’est un peu ce que dit Maria Mourani dans sa lettre pour expliquer son engagement dans le mouvement souverainiste :

Malgré certaines tensions dans le mouvement indépendantiste, cette vision politique d’ouverture a été portée et a même prédominé pendant des années. C’est pourquoi j’ai adhéré au mouvement indépendantiste qui, à mes yeux, était inclusif et permettait à tous les citoyens, sans exception, d’être le peuple fondateur du Québec .

Si Maria Mourani s’est fait élire à trois reprises en tant que députée du Bloc dans une circonscription où environ 40 % des électeurs sont nés à l’étranger, c’est d’abord parce qu’une grande partie de ces électeurs, notamment les membres de la forte communauté arabe et musulmane, a voté pour elle en voyant le Bloc faire preuve d’ouverture envers les minorités ethniques et culturelles. À la question de savoir qui peut être considéré comme Québécois, Gilles Duceppe a l’habitude de répondre que tous les habitants du Québec sont des Québécois. Son souci d’avoir une démarche inclusive avait d’ailleurs été salué, dans une lettre publiée dans la Presse en 20102, par des représentants d’organismes et d’associations de la communauté arabomusulmane et dans laquelle on pouvait lire que :

Gilles Duceppe constitue un exemple de politicien engagé pour la défense des principes d’égalité et de justice sociale, ainsi que pour la lutte contre l’intolérance, la discrimination et l’exclusion sociale .

À travers la personne de Gilles Duceppe, c’est l’engagement du Bloc en faveur d’une « laïcité ouverte » qui avait permis à ce parti et au mouvement souverainiste de faire une percée chez les minorités culturelles. Or, en choisissant de soutenir le projet de charte des valeurs québécoises, perçu comme discriminatoire par plusieurs, le Bloc québécois de Daniel Paillé a fait un virage à 180 degrés. La décision de Maria Mourani de rompre avec son ancien parti est, de ce point de vue, compréhensible. Après, on dira qu’elle aurait pu rester souverainiste en rejoignant, par exemple, Québec Solidaire. Certes, le parti de Françoise David est souverainiste, mais il est surtout un vrai parti de gauche. Or, on ne sait rien sur le positionnement idéologique de Maria Mourani. De plus, si on retourne une dernière fois à sa lettre, on saisira ce qu’elle pense des chances de Québec Solidaire d’infléchir l’orientation dominante du mouvement souverainiste. Elle se dit convaincue que « le navire amiral de la souveraineté n’a plus rien à voir » avec ce qu’elle a connu et les « quelques leaders indépendantistes » qui défendent « une vision inclusive de l’identité québécoise » sont marginaux.

Ils sont peut-être marginaux aujourd’hui, mais rien ne dit qu’ils ne pourront pas réinscrire le mouvement souverainiste dans une voie qui favorisera l’émancipation du peuple québécois dans toutes ses composantes. On dit bien que ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Et même si je partage l’amertume de Maria Mourani, je comprends également la tristesse et la déception, de plusieurs souverainistes, de voir une des leurs abandonner le navire en pleine turbulence, après tous les efforts qu’ils ont fournis pour gagner à leur combat des personnes issues de l’immigration.

Que disent ces militants, regroupés avec des fédéralistes autour du manifeste pour un Québec inclusif ? Que le Québec – souverain – sera inclusif ou ne sera pas. Comme Maria Mourani, ils sont en rupture avec le « navire amiral », mais ils poursuivent la traversée et ne désespèrent pas d’arriver à bon port.

1. http://www.lapresse.ca/fichiers/4722132/lettre_maria_mourani_18_dec_2013.pdf

2. http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/201008/12/01-4306069-20-ans-de-vie-politique-pour-le-chef-bloquiste.php

Ce billet est paru le 23 décembre 2013 dans le journal "le république"

http://www.lerepublique.com/1128263/lave-maria-de-labbe-gravel/

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