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Billet de blog 24 avril 2018

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Le temps des crispations

Je vois un monde ultra-libéral qui est en train de gagner les esprits ou, à tout le moins qui s’impose comme étant la seule réalité possible et qui regarde avec de plus en plus de mépris toutes les petites gens ayant une voix, voire même une opinion discordante.

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La France vue de loin me fait penser à la phrase célèbre édictée en Gaulle vers 33 avant J.C. : « ils sont fous ces gaulois ! ». Je vois en effet passer dans les journaux papiers et télévisés, dans les blogs et sur les réseaux sociaux une foule d’informations qui me font penser à cette petite phrase d’auteurs on ne peut plus chauvins.

Je vous résume ce que je peux observer sur mon rocher telle Hugo exilé scrutant les côtes de la bien aimée patrie (j’ai toujours adorée cette image pour mon égo).

Je vois un monde ultra-libéral qui est en train de gagner les esprits ou, à tout le moins qui s’impose comme étant la seule réalité possible et qui regarde avec de plus en plus de mépris toutes les petites gens ayant une voix, voire même une opinion discordante.

Quelques hippies resurgis d’un passé que l’on croyait oubliés dans les archives de l’INA qui veulent réinventer un autre monde avec une autre façon de vivre et de cultiver ? On ne peut laisser faire ces bachibouzouks qui remettent en cause le droit de propriété si important pour nos classes possédantes. Quelques gaz lacrimo et une bonne charge de CRS et il n’y paraitra plus sur la ZAD.

Quelques étudiants anarchisants et ne sachant pas encore qu’ils doivent se glisser dans le moule pour faire un jour peut être parti de la classe aisée occupent les facs et font la grève ! Tas de fainéants, sales jeunes qui ne comprennent pas les privilèges qu’ils ont de pouvoir étudier alors qu’il n’est noté nulle part que le droit à un avenir meilleur soit inscrit sur une quelconque tablette. On reprend le ton impérieux et paternaliste d’un De Gaulle que l’on ne mérite pas en dénonçant « cette chianlit ». Pas de soucis, le temps les affamera et en bout de course quelques supplétifs les pousseront vers la sortie afin que l’on puisse constater les égarements d’une jeunesse paresseuse et trop choyée selon les images officielles et choisies de la préfecture de police.

Les cheminots font la grève. Pas de soucis nous avons l’habitude de mater les révoltes de ces sales communistes dont le statut est soit disant hyper préférentiel par rapport à la vraie (laquelle ?) classe laborieuse qui tire la langue et a du mal à joindre les deux bouts. Pensez donc, la France qui se lève tôt empêchée d’aller travailler par ces sales privilégiés du statut. Ils vont se lasser et devenir tellement impopulaire qu’ils devront bien céder sous la vindicte tout aussi populaire. D’ailleurs, regardez comme nous gérons bien et ne lâchons rien puisque pendant que nous négocions, pendant qu’ils font leur grève absurde, nous passons le texte qui immolera leur fameux statut à l’Assemblée au nom du droit de tous les salariés à être aussi moins bien que les autres !

Cette même assemblée qui accueille en grande pompe le premier ministre canadien pour se réjouir tous ensemble du fameux CETA, traité de libre-échange tant décrié un temps et que nous avons oublié entre temps au nom du pragmatisme tant assumé de notre Jupiter qui finalement veut nous gérer le pays comme on gère une multinationale c’est-à-dire en ne jurant que par le haut de bilan (déformation de son ancienne profession) et les grands chiffres macro- économiques et en oubliant les réalités quotidiennes de l’immense majorité mais, après tout, là aussi ce ne sera pas quelques culs terreux d’agriculteurs agonisants, quelques chômeurs fraudeurs ne cherchant pas réellement de travail et profitant des aides sociales généreusement dispensées par la nation ou encore quelques vieux retraités qui peuvent ralentir la course historique de la fortune.. des plus fortunés. Faudrait voir à respecter l’omniscience et les décisions de la plus haute institution de notre République que lui, Macron 1er, représente avec tant de brio.

De toute façon, qui peut s’opposer à la volonté quasi divine ?

Les représentants élus de la nation ? Non pas de soucis de ce côté entre une large majorité toute acquise aveuglément, innocemment ? à l’exécutif (et le royaume des cieux leur est acquis) et une opposition que j’appellerais classique qui se cherche en se demandant dans quel sens le vent tournera aux prochaines législatives et comment faire pour être maintenue car l’on a bien retenu la leçon du dégagisme récent et, après tout, tout n’est pas à jeter dans ce programme que l’on voulait bien appliquer mais en étant au pouvoir car droite comme gauche, on n’a bien les mêmes idées toutes droit sorties des grandes écoles monologuant les mêmes théories. Et quoi, la gauche de la gauche ? Non, aucune chance qu’ils nous embêtent puisqu’empêtrés avec une image d’anarcho-gauchos qui pourraient nous mener tout droit à la catastrophe économique comme Cuba, le Venezuela ou l’URSS. Il est bien rentré dans la tête de tous les citoyens français que c’est bien une utopie dangereuse dont seul le modèle libéral pourra nous sauver. Comment ? on ne sait pas ! Pourquoi on souffre de plus en plus, on ne sait pas non plus mais c’est la seule voix possible puisqu’on nous le répète à longueur de journée. Alors eux, non !

Qui d’autre peut donc s’opposer à la marche inéluctable de la progression du libéralisme quasi sauvage de l’économie et qui considère ses enfants au même titre que les petits enfants du Bangladesh qui fabriquent nos vêtements ou les petits chinois qui fabriquent nos téléphones portables tellement essentiels à notre vie de tous les jours au même titre que l’eau que nous buvons ? Les citoyens ? Bin non, là non plus c’est perdu. Il y a bien quelque sursauts, quelques collectifs, des individus quasi isolés mais les voix sont trop nombreuses, trop discordantes sur les solutions à apporter et puis il faudrait y réfléchir vraiment alors que nous n’avons pas le temps à cela. Et puis ces voix sont étouffées par le leitmotiv officiel et unanime des vérités vraies des solutions apportées par des gens qui sont au sommet de la pyramide. Les premiers de cordée de l’autre et tous leurs affidés, redevables et employés des médias, des grandes administrations, des grandes entreprises, des grandes institutions, enfin de tous ces gens que l’on croit être des gens importants vu les beaux costumes et les niveaux de salaire. « C’est sûr, y savent mieux que nous autres qui n’avons pas autant fait l’école » et j’y pense avec une infinie tristesse en me rendant compte que ceux qui détiennent les clés du pouvoir le font sans aucun altruisme, en pensant à leur gueule pour parler crument. Et ce qui est plus grave c’est que ces messieurs causant bien savent nous faire avaler la pilule, nous endormir, nous faire changer d’avis avec des arguments appris par cœur avec des mots savants et surtout en nous opposant les uns aux autres en dénonçant mesquinement les différences que nous pourrions avoir entre nous, gens du commun, en oubliant forcement de comparer notre situation à la leur. Et pardi, si nous avions notre pleine conscience ils finiraient tous mal !

Alors vu d’ici, j’ai l’impression que chaque partie de la société française est crispée. Crispée dans ses croyances, crispée dans ses combats, crispée dans ses objectifs propres. Les citoyens se nombrilisent. Et tout ceci m’effraie parce que ce n’est pas ma France. Vu de loin, et pour le dire poliment, ils sont vraiment fous ces gaulois ! Et comme les lois de la nature sont inéluctables, il ne faut pas oublier la physique de base, tout corps trop comprimé, finit par rompre son contenant sous l’effet d’une pression trop forte et ceci libère le corps lui-même ainsi que toute l’énergie y afférente. Ce jour-là, je resterais peut être stoïque sur mon petit rocher histoire de ne pas prendre un mauvais coup et regarderais amusée l’Olympe s’écrouler en entrainant dans sa chute tous ces faux dieux.

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