Clara, ma fille, tu étais dans mon ventre quand cette femme s'est assise dans mon bureau.
Dans sa fuite elle avait dû laisser ses trois enfants derrière elle. Une nuit, les regarder dormir une dernière fois, supplier leur grand-mère de prendre soin d'eux, et partir. Quitter leur peau si douce, les repas tous les quatre, l'école où elle allait les chercher, le terrain de foot du samedi... C'est une femme brisée de douleur et d'absence qui s'est assise dans mon bureau ce jour là.
Clara, ma fille, tu allais naître quelques jours plus tard quand elle m'a appris qu'elle avait obtenue le statut de réfugié.
Ça voulait dire qu'ils allaient pouvoir la rejoindre.
Tu es né ma Clara. Et elle, elle attendait toujours. Je savais l'immense privilège de te bercer tous les soirs, de te sentir contre moi, de te voir grandir. J'ai même essayée de savourer les nuits sans sommeil à t'écouter respirer. Parce que ça voulait dire que tu étais là.
De formulaires en déconvenues, le temps passait, elle appelait ses enfants en visio, les voyait prendre des centimètres appels après appels, maigrir car ils ne mangeaient pas assez, ils tombaient malades, elle s'inquiétait toujours... Et eux s'impatientaient. On ne comprend pas le marasme administratif quand l'enjeu c'est de retrouver sa maman.
Clara, ma fille, aujourd'hui tu viens d'avoir deux ans.
La semaine dernière, ses enfants sont enfin arrivés.
L'attente à l'aéroport, l'avion qui se pose, les minutes qui s'égrènent...
Les portes qui s'ouvrent ... Ils sont là, c'est le plus beau jour du monde, et en une étreinte qui à un goût d'infini je les vois essayer de rattraper toutes ces années ...