C’était la ligne rouge infranchissable tout au long de notre campagne. Nos valeurs. Nous, la droite qu’ils disent conservatrice, rétrograde. La droite qu’ils ont voulu réduire à La Manif pour tous pour en faire un épouvantail.
J’ai toujours assumé que l’on puisse se poser des questions sur les sujets liés à la famille, à la procréation, à la fin de vie. Ils appellent une réflexion éthique, philosophique, parfois spirituelle et religieuse. Qui peut nier que la maternité est le point central sur lequel repose toute société ? Pas Elisabeth Badinter ou Eliette Abecassis, qui en ont exprimé les tabous et les ressorts complexes avec tant de subtilité. Qui peut nier que, par conséquent, chaque évolution qui touche à la procréation et à la filiation réinterroge la place et les droits des femmes. N’est-ce pas ce qu’a toujours dit Sylviane Agacinski, avec la rigueur intellectuelle que personne ne peut lui dénier ?
La gauche, depuis des années, a pris l’habitude de manipuler les questions de société pour tenter de décrédibiliser la droite. Elle l’a fait avec l’antiracisme, nourrissant le communautarisme, et aux dépens des questions sociales et de reconnaissance du travail. Par la suite, elle l’a fait avec les droits des femmes et des LGBTI. Plus elle a dévoyé ces combats, plus elle a contribué à fracturer la société.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron s’inscrit dans cette ligne non pas idéologique, non pas d’idées et de convictions, mais tactique et politicienne. Je vois venir la manœuvre pour nous mettre dans le camp des rétrogrades avec le retour d’un débat sur la PMA pour toutes qui sera instrumentalisé pour diviser, pour cliver, pour tenir d’un bras une aile gauche qui tangue. Je vois venir la manœuvre pour nous dire que nous ne sommes pas dans le camp des droits des femmes.
Ma position n’a jamais été tranchée sur les questions de société, dont j’admets l’infinie complexité. J’ai toujours écouté et respecté les positions de chacun. Dans ma vie de femme, dans mon expérience de magistrate comme d’élue, j’ai vu à quel point tout ce qui touche à la famille réveille des blessures intimes et profondes. J’ai accompagné toutes les femmes et les familles qui venaient à moi. Je les ai aidées comme j’ai pu.
Alors je n’accepte plus que ces questions soient instrumentalisées pour faire diversion. Diversion pour ne pas regarder en face l’émiettement du pays, ni l’écœurement d’une partie croissante des Français qui ne s’exprime plus dans les urnes, ni les manifestations violentes, ni l’explosion sociale, ni la persistance, voire l’accroissement des inégalités entre les femmes et les hommes, qui ont été criantes lors du confinement.
Qui ont été les premières victimes des violences intrafamiliales ? Qui a été en première ligne avec des salaires de misère ? Qui a dû assumer la garde et l’éducation des enfants ? Et quelles réponses apporte le président de la République ? Aucune. Pire, il envoie les pires symboles. Il envoie les pires symboles en confiant systématiquement les postes clés de l’administration et de son gouvernement à des hommes issus de la même bourgeoisie d’Etat.
Il envoie les pires symboles en considérant qu’une suspicion de viol, de harcèlement et d’abus de confiance ne serait « pas un obstacle » à diriger le pays. Quel message adressé aux victimes quand on sait le rôle de la police dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, notamment dans la réception des plaintes et la conduite des enquêtes ? Je souscris aux propos de Caroline De Haas quand elle affirme que le seul crime pour lequel on accepte cela est le viol.
Au début du quinquennat, des ministres ont été congédiés en quelques semaines pour des affaires judiciaires sans être condamnés. Pour eux, il y avait obstacle. Les pires symboles, c’est de choisir la seule écologiste à avoir témoigné en faveur d’un responsable politique accusé d’agression sexuelle. C’est de garder dans sa majorité un député condamné pour harcèlement sexuel et licenciement abusif.
Pourquoi les journalistes qui viennent toujours vous demander : « Alors, c’est dur d’être une femme en politique ? » ne soulèvent pas ces points ? Pourquoi toutes ces femmes politiques, de droite, de gauche, si promptes à leur répondre, ne dénoncent pas cette situation ? Par peur ? Peur des représailles ? Peur de ceux qui tiennent l’appareil d’Etat ? Peur du déferlement de haine dans la presse et sur les réseaux sociaux ?
Je m’exprime aujourd’hui, car ma peur compte moins que celle des femmes qui n’oseront pas entrer dans un commissariat et n’iront pas porter plainte, car elles savent trop bien ce qu’on va leur dire : « Comment étiez-vous habillée ? », « Est-ce que vous n’avez pas donné le sentiment d’être consentante ? », « Vous n’avez pas de preuves ». Je m’attends au déferlement de critiques, sur ma vie personnelle, intime, ma fille. J’ai déjà tout eu, tout entendu. Je ne vis pas mon engagement politique comme une carrière. Je parle à tout le monde, mais je n’attends rien du pouvoir.
Mon engagement tient aux combats de vie, issus du plus profond de mon enfance et de mon adolescence, que je porte en moi depuis toujours. Je ne les abandonnerai jamais. En 1968, Nina Simone écrivait : « Je vais vous dire ce qu’est pour moi la liberté : l’absence de peur. Je veux dire là l’absence véritable de toute peur. Si j’avais pu connaître cela la moitié de ma vie… » Que les femmes aient peur en France en 2020, je ne l’accepterai jamais.