"Emilio ! Emilio !"
Mercredi 1er décembre, des policiers en civils viennent arrêter Emilio Scalzo à son domicile, dans le petit village de montagne de Bussoleno. Des forces de l'ordre harnachés de boucliers anti-émeutes empêchent la cinquantaine de manifestants présents sur place d'approcher Emilio. Mais cela n'étouffe pas leurs cris de soutiens. "Emilio on t'aime, tu es un grand homme! A bientôt Emilio!" Le soutien dont bénéficie l'activiste de 66 ans est énorme dans la vallée de Suse et dans toute l'Italie.
Ancien poissonnier, Emilio a été de toutes les luttes ces dernières années dans la vallée. Celle contre le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin, qui menace de défigurer sa vallée en faisant un trou de 58km dans "sa" montagne, mais également aux côté des migrants, en les aidant à s'équiper pour franchir les dangereux cols entre la France et l'Italie. "Si on arrive a intercepter ces gens dans les montagnes, combien on a de possibilités ? Je te parle pas de discours philosophique mais dans l’immédiat qu’est ce qu’on fait ? Comment on fait pour que ces personnes puissent survivre dans nos montagnes ou pas ? Ils arrivent souvent avec des vêtements pas du tout adaptés à la haute-montagne, et je me demande comment c’est possible que la solidarité aux frontières soit autant criminaliser" livre Emilio à Radio Sauvage. Le 16 septembre dernier deux afghans sont morts en voulant franchir la frontière franco-italienne à travers les montagnes.
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Pour son engagement, qui a fait retentir le son de ces luttes à travers toute l'Italie, Emilio a été pourchassé par la police. Aller-retour en prison, pression des pouvoirs publics..."A certains moment, on m'avait interdit de circuler dans quasiment tous les villages de la vallée, c'était compliqué pour exercer mon métier. " Dès qu'il le peut, Emilio prend part aux manifestations de soutien aux sans-papiers. Il y a quelques mois, il a participé à l'une d'entres elles dans le village de Clavières, à la frontière française, pour protester contre la traque policière des sans-papiers, qui obligent ces femmes, ces hommes et ces enfants à emprunter des chemins toujours plus dangereux et mortels pour arriver en France.
La manifestation a tournée court lorsque les CRS français ont fait usage de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. "Moi je ne pouvais pas partir, j'ai une attelle au genou, j'étais assis et en retrait de l'action", précise Emilio à Radio Sauvage. "Les CRS ont continué à avancer vers moi et m'ont lancé une grenade explosive dessus, j'étais sonné" poursuit-il, "j'ai saisi un bâton en bois à côté de moi pour me défendre. Un CRS a essayé de me frapper avec sa matraque et j'ai riposté, je lui ai fracturé le bras". Emilio est en effet une force de la nature. Malgré ces 66 ans, sa taille, sa voix rauque et sa manière de parler avec les mains impressionnent.
Cet incident lui a valu une assignation à résidence pendant deux mois, en attendant la décision de la cour de Turin pour une éventuelle extradition en France. "Je sais ce qu'il s'est passé et j'espère qu'il y a une vidéo. On verra que ce sont les gendarmes qui m'ont attaqués et que je n'ai fait que me défendre". Fin novembre, la justice italienne a donc tranchée en acceptant l'extradition en France, alors qu'Emilio n'a pas encore été jugé. Dans un article de Lundimatin, qui rappelle le caractère inédit de cette décision de justice, l'analyse du journaliste italien Frank Cimimi est reprise ;
« A l’évidence, l’Italie était impatiente de dire oui à la France au niveau de la répression des mouvements contestataires et le moment est arrivé. (…) Il est impossible de ne pas mettre en relation l’arrestation d’Emilio Scalzo avec les joutes répressives en cours entre la France et l’Italie. Avant tout, il y a l’affaire des extraditions relatives à neuf ex-militants de groupes de la lutte armée pour des faits remontant à quarante et cinquante ans, arrêtés à Paris puis remis en liberté provisoire en attendant le résultat d’un processus politique et judiciaire qui s’annonce long et complexe. Pour l’instant l’Italie a été invitée à compléter les dossiers relatifs à chaque cas particulier. En outre, la Cour de justice européenne devra d’ici la fin de l’année fixer une date pour l’audience à l’issue de laquelle elle décidera de la compatibilité du délit de « dévastation et pillage » avec l’ordre juridique français. En l’occurrence, il s’agit de l’histoire de l’anarchiste Vincenzo Vecchi condamné en Italie à 12 ans de réclusions pour des faits relatifs aux manifestations du G8 de Gênes durant l’été 2001 et pour lequel l’Italie demande une extradition qui pour l’heure a été refusée. (…)
Durant son assignation à résidence qui a duré deux mois en attendant la décision de la Cour de Turin, des centaines de personnes de toute l'Italie se sont relayées pour venir apporter leur soutien à Emilio. Ce grand gaillard de 66 ans accueille tout le monde. Offre une bière, une part de pizza et discute de tout et de rien. Des grands drapeaux NO-TAV (du nom de la lutte contre le projet de train Lyon Turin) fleurissent devant son entrée. "Regarde, c'est ça qui me fait tenir. Avoir autant de soutien, autant de personnes qui savent que ce qu'on fait ici à la frontière est juste".
A peine embarquée par la police, une cinquantaine de soutiens se sont également réunis devant la prison de Turin, où Emilio est incarcéré en attendant son extradition.
En France aussi, la contestation s'organise. Une manifestation est prévu à Clavières ce samedi décembre à 13h, pour "la liberté d'Emilio et de toustes"
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Après un nouveau drame et le nauvrage d'une embarcation au large de Calais mecredi 24 novembre, coûtant la vie à 27 personnes, le ministre de l'Intérieur français Gérald Darmanin déclarait qu'il "faut contrer les passeurs [...] les vrais responsables sont les exploiteurs". Pour Emilio et tous les anonymes qui viennent en aide aux migrants, c'est justement face à l'irresponsabilité des gouvernements français et italiens qui traquent les sans papiers à travers les montagnes ou lacèrent les tentes à calais que s'est construit leur engagement. Celui de tracer des itinéraires "sûrs" dans les montagnes, de pallier aux manquements des gouvernements, et de proposer des lieux d'accueil et d'informations pour aider les milliers de personnes qui fuient leur pays pour tenter leur chance en Europe.
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Justin Carrette