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Billet de blog 24 septembre 2022

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Au Cap-Vert, les espoirs échoués de jeunes footballeurs africains

Poussés par l’envie de réussir, de jeunes footballeurs africains tentent leur chance au Cap-Vert. Cet archipel au large du Sénégal est perçu comme un tremplin pour intégrer les championnats européens. Pourtant, les espoirs se heurtent souvent à des conditions de vies extrêmement difficiles et à l’absence de perspective sur ces îles, perdus au milieu de l’océan Atlantique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Je n’ai pas le droit d’abandonner maintenant ». A 21 ans, Lamine rêve d'être footballeur professionnel. Le jeune sénégalais se rend presque tous les jours sur la plage de Laginha dans la ville de Mindelo, la seconde ville du Cap-Vert. C’est la trêve estivale, cela lui laisse le temps de réfléchir, et de se poser des questions. « Je suis arrivé sur l’archipel en 2019. C’était très dur de quitter le Sénégal, ma famille et mes amis, mais ils m’ont tous encouragé à venir ici pour tenter ma chance, ils croient en moi » lance le jeune footballeur. « Ici, il y a plus de possibilités pour signer un contrat professionnel que sur le continent africain, il y a beaucoup d’agents portugais qui viennent repérer des joueurs. Il y a aussi moins de concurrence qu’au Sénégal où il y a vraiment de très bons footballeurs partout. » En plus d’une économie et d’une croissance relativement stable, les démarches administratives pour entrer sur le territoire sont simplifiées pour les personnes originaires d’Afrique de l’Ouest puisque le Cap-Vert est membre de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest).

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Lamine face à la mer sur la plage de Laginha à Mindelo © Justin Carrette

En 2019, Lamine atterrit à Praia, la capitale. Il trouve rapidement un club sur l’île voisine, à Boa Vista. Dans ce championnat régional, le sénégalais se fait rapidement remarquer. Milieu récupérateur de formation, Lamine est grand, 1 mètre 90 et très à l’aise techniquement. « Passement de jambes, grand pont, sur l’un de mes premiers ballons les supporters se sont levés » se rappelle le jeune homme. Ses débuts sont prometteurs. Il enchaîne les bonnes performances. Dès sa deuxième année au Cap-Vert, il est transféré dans le club du Sporting Boa Vista, l’un des meilleurs de l’île. « J’ai bien débuté, mais après seulement quatre match, le Covid est arrivé et le championnat s’est arrêté » déclare d’un ton amer le footballeur sénégalais derrière ses lunettes noires.

La suite, c’est une succession d’engagements non tenus. « On a arrêté de me payer du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans rien » se souvient Lamine. « Je n’ai pas été payé durant 5 mois, alors que je continuais à m’entraîner ». Ces salaires impayés sont monnaie courante au Cap-Vert selon lui. « J’ai rencontré plusieurs guinéens et ivoiriens qui n’avaient pas été payés, parfois dans des grands clubs capverdiens, et pas seulement durant le Covid ».

Certains de ces footballeurs doivent se diriger vers d’autres activités pour continuer à toucher un revenu. Abdul, un togolais qui est lui aussi arrivé au Cap-Vert dans l’espoir de signer un contrat en Europe, travaille dans le secteur du bâtiment faute de trouver un club qui le paie décemment. Ces jeunes garçons enchaînent parfois des contrats précaires et vivent dans des petits appartements à plusieurs, dans l’espoir de pouvoir revenir au football un jour. « On ne peut pas rentrer chez nous sans argent, notre famille et nos amis comptent sur nous, et ils m'ont beaucoup aidé financièrement pour que je puisse venir ici » raconte Lamine, « je me suis fixé un objectif, je rentrerais au Sénégal seulement quand je serais footballeur professionnel».

En août 2021, il quitte Boa Vista pour rejoindre l’île de Sao Vicente et la ville de Mindelo. Là-bas, on trouve les meilleurs clubs du pays, notamment l’Academica ou le CS Mindelense, qui envoient presque chaque année des joueurs dans les championnats européens. Dans cette ville qui a vu naître la célèbre chanteuse Cesaria Evora, Lamine enchaîne les tests pour tenter d’intégrer un club. « Ce n’est pas facile quand on est sénégalais ici. Beaucoup de clubs privilégient les joueurs cap-verdiens, il faut en faire deux fois plus pour gagner sa place ! » assure le jeune footballeur allongé sur la plage de Laginha.

Illustration 2
Lamine à côté d'un but sur la plage de Laginha à Mindelo. Il vient régulièrement s'entraîner ici faute de trouver un club. © Justin Carrette

Dans son pays natal, le ballon rond est roi. El Hadji Diouf, Ali ou Cissé, Mamadou Niang... les stars du football font rêver plusieurs générations. « On veut tous devenir le prochain Sadio Mané » raconte Lamine. L'attaquant sénégalais inspire de nombreux jeunes dans le pays de la « teranga », et bien au-delà. Repéré à 20 ans alors qu’il jouait à l’AS Génération Foot, l’un des clubs de Dakar les plus observé par les « scouts », ces dénicheurs de talents, l’histoire de Sadio Mané est un conte de fée. FC Metz, Liverpool, Bayern Munich… le joueur sénégalais a accumuler les titres en clubs et les distinctions personnelles. Des milliers de jeunes africains tentent de suivre son parcours, en pariant sur leur talent et la chance d’être un jour au bon endroit et au bon moment, pour être repéré par un club européen.

Fixant l’horizon, Lamine commence à se poser des questions sur son choix de venir au Cap-Vert. « C’est frustrant quand je fais tout ce qu’il faut pour réussir, mais que ça ne vient pas. Je m’entraîne tous les jours, je ne sors pas, j’ai une bonne hygiène de vie, comme Sadio Mané » raconte le footballeur, « si il n’y avait pas cette difficulté d’obtenir un visa pour l’Europe, je serais déjà en France ou en Allemagne pour faire des tests de sélection dans les clubs ». A la fin de l’été, Lamine est parti à Sal, l’une des dix îles de l’archipel du Cap-Vert, pour tenter de trouver un nouveau club. « Parfois je pense à rentrer chez moi au Sénégal retrouver mes amis et ma famille, mais je ne peux pas échouer, pas maintenant. »

Justin Carrette

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