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Billet de blog 7 avril 2018

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Vivre aux regards

J'ai eu envie de mettre en mots les maux que je vis au quotidien, pour parler de ces petites choses de rien du tout qui assombrissent le tableau de ma vie, globalement si beau puisque j'en suis l'artisan principal. Et au passage parler de ma claque littéraire du moment.

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Intégré ... doux mot ! Tout part de cette scène dans le métro où je suis assis, à ma place, bien sagement, et qu'une jeune femme rentre à une station, regarde cette place vide à côté de moi, regarde mon visage puis décide de s'asseoir sur le strapontin à côté de la porte du métro. J'avais les jambes bien serrées, un peu trop peut-être, rien ne dépassait et pourtant cette femme a préféré s'asseoir sur le strapontin plutôt qu'à côté de moi. Pourquoi ? Juste parce que je suis un homme et qu'il est vrai que les harcèlements dans le métro sont un fléau que vivent 90% des femmes qui prennent les transports en commun ? Ou la cause vient-elle du fait que je suis typé maghrébin et de surcroît avec une barbe ? Je ne le saurai jamais, j'avoue n'avoir pas eu le courage de poser la question à cette femme lorsque je suis passé devant elle sans la regarder en faisant mon fier en sortant de la rame.  Bref, la même question qui se pose dans mon esprit à chaque fois que cela se produit, et cela se produit malheureusement assez souvent, dans une même journée parfois.

Avant cette correspondance en effet, j'étais dans une autre rame, au milieu d'autres solitudes. Je m'assois face à un jeune homme, typé noir-africain, qui faisait plutôt jeune intello mais beau gosse, un peu comme moi quoi, et lui aussi les jambes bien serrées avec une place vide à côté de lui. Une femme d'allure bourgeoise rentre dans la rame à ce moment, elle regarde cette place à côté de ce jeune homme noir, regarde le visage du jeune homme noir et décide de rester debout. Le  regard de ce jeune homme et le mien se croisent, nous nous faisons un sourire d'une triste ironie sans rien nous dire, j'avais l'impression que ce jeune homme attendait que je lui dise quelque chose mais je n'ai su que dire, je ne sais jamais quoi dire face à ce genre de situation. Je sais dire beaucoup de  choses très compliquées mais face à ce genre de situation je perds ma langue.

Alors je me replonge dans  mon bouquin, une histoire formidable qui résonne en moi  comme le gong d'un temple shaolin un jour de printemps. C'est l'histoire d'une  femme, une Italienne,  qui est née et a grandi à Naples dans un quartier misérable où le pire et le meilleur de l'humain s'entremêlent sans jamais se confondre. Dans ce quartier populaire, on parle  un  dialecte qui selon  un ami italien n'est pas parlé dans le reste de l'Italie, et dont l'accent est un marqueur social négatif dans la société italienne. Dans le roman, cette jeune femme essaie au maximum de sortir de son état de misère sociale, de s'élever intellectuellement et de s'intégrer au sein de la bonne bourgeoisie progressiste de la ville de Pise où elle prépare son mémoire de lettres classiques. Cette jeune femme essaie d'être une personne différente de ce qu'elle est pour se sentir acceptée dans son nouveau milieu social. Mais  ironiquement, c'est en publiant l'histoire de son enfance dans son quartier de Naples qu'elle a écrite d'un trait de plume, avec ses mots et son ressenti, qu'elle parvient à se faire accepter et reconnaître.

Donc pour moi tout ça parle d'une même histoire mais vécue différemment par toutes les personnes déracinées de la terre. C'est l'histoire d'une humanité qui a du mal à se débarrasser de tous ces classements qui l'ont divisée par le passé, alors que son destin réside justement dans sa capacité future à tirer le meilleur de chacune de ses racines.

Rafik Baraket

7 avril 2018, Saint-Denis.

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