Le 11 mars dernier, la MJC Roguet apprenait la confirmation brutale d’une décision qui menace tout ce qu’elle représente : une coupe de 57,5 % de la subvention départementale, combinée à une baisse de 40 % de la subvention municipale. En tout, plus de 94 000 euros en moins. Ce ne sont pas que des chiffres, ce sont des emplois supprimés, des projets rayés, des artistes abandonnés, des habitants fragilisés.
Et dans ce contexte, moi, jeune artiste toulousain, je ne peux pas me taire. Pas parce que cette décision me touche moi. Mais parce qu’elle touche tout ce que la culture d’avenir incarne. Et parce qu’elle attaque une structure qui m’a permis d’exister artistiquement à un moment où personne d’autre n’en avait les moyens.
Une structure-pivot pour les artistes émergents
Je suis lauréat de la bourse Initi’active Jeunesse, un dispositif du Conseil départemental — lui aussi supprimé aujourd’hui — qui m’a permis de bénéficier d’une formation en partenariat avec le service culturel du département. C’est là que j’ai rencontré la MJC Roguet. Et c’est dans le cadre de son dispositif Les Jeunes Poussent que j’ai trouvé ce qui me manquait jusqu’alors : un accompagnement artistique sérieux, humain et structuré.
On parle souvent de l’émergence artistique, de l’importance de soutenir la jeune création. Mais derrière ce mot, "émergence", il faut des lieux où cette parole peut naître, se confronter, se transformer, être soutenue sans condition de rentabilité immédiate.
La MJC Roguet est un de ces lieux.
Tiscope, ou comment un projet devient spectacle grâce à l’éducation populaire
Mon spectacle s’appelle Tiscope. Il mêle chanson française, poésie et intelligence artificielle, dans une expérience visuelle interactive où le public agit sur les images projetées à travers son téléphone. Un projet hybride, étrange, atypique.
Où peut-on créer ça ? Certainement pas dans une salle verrouillée par les logiques de diffusion standardisées ou dans une structure fermée à ce qui sort des clous. C’est grâce à une semaine de travail offerte par la MJC Roguet que la première phase scénique a pu exister. Une semaine de plateau, de régie, de test, avec des professionnel·les qui m’ont accompagné sans rien attendre en retour.
Et c’est encore grâce à la MJC que je présenterai la version finale du spectacle fin avril, dans le cadre d’un festival que nous avons co-construit avec d’autres jeunes artistes : Mémé dans les orties. Un nom farfelu pour un moment essentiel de création partagée.
L’envers des coupes budgétaires
Quand on supprime des subventions à une structure comme la MJC Roguet, on ne fait pas des économies.
On supprime l’accès à l’art pour ceux qui n’en ont pas autrement.
On rend la culture plus inégalitaire, car seuls ceux qui peuvent payer pour créer ou être accompagnés y auront droit.
On fragilise les artistes précaires que la MJC emploie ou accueille.
On brise un tissu local, fait d’animateurs, de régisseurs, d’intervenants, de bénévoles et de jeunes en recherche de sens.
Moi, pour mon deuxième EP, je n’ai plus le même budget. Mais Adrien, le régisseur son de la MJC, m’a proposé d’enregistrer gratuitement mes voix dans leur studio, pour que je ne paie que le mixage. Qui fait ça aujourd’hui ? Où reste-t-il des gens qui défendent à ce point la possibilité de créer sans être rentable ?
Pas une fatalité, mais un choix politique
La baisse des moyens des collectivités est une réalité. Mais choisir de supprimer plus de la moitié de la subvention d’un acteur culturel aussi essentiel, ce n’est pas une mesure technique : c’est un choix politique.
Et ce choix est destructeur. Il s’attaque à un modèle d’avenir, à une manière de faire société autrement, par la culture, par la rencontre, par la pédagogie, par l’expérimentation.
Ce que la MJC Roguet m’a offert, elle l’offre à tous
Je témoigne ici de mon parcours, non pas pour qu’on le sauve, mais pour qu’on comprenne : je suis loin d’être un cas isolé.
Combien d’autres artistes, compagnies, assos, enfants, habitant·es du quartier, ont été accueillis, soutenus, mis en lien grâce à elle ?
Quand la MJC Roguet accompagne, ce n’est pas un coup de com. C’est le projet quotidien d’un service public culturel.
Et c’est ce projet-là qu’on est en train de démolir.
Il n’est pas trop tard
Je signe cette tribune parce que je crois que la voix des artistes ne doit pas seulement être poétique, elle doit aussi être politique. Parce que ce qui se joue ici dépasse mon projet, dépasse même Toulouse. C’est l’avenir d’une culture de proximité qui est en jeu.
Et parce que je sais que si on laisse faire aujourd’hui, demain ce sera une autre MJC, un autre centre social, un autre atelier populaire qui tombera.
Alors je le dis : pas sans elles.