Les affaires n’ont pas complètement dégoûté les Français de la politique. L’abstention n’a pas crevé le plafond. L’extrême droite n’a pas viré en tête au premier tour. Le problème avec le pire, c’est que l’on a beau l’éviter, il a cette fâcheuse tendance à revenir un peu plus tard, un peu déguisé, mais pas moins dangereux.
Déjà, le 7 mai prochain.
Il ne fait aucun doute qu’une large frange de la population n’a pas de raison de s’enthousiasmer du duel qui s’annonce. À juste titre, les deux candidats en lice n’étaient pas le premier choix de 54.7% des votants, sans compter les 22.2% d’abstentionnistes qui n’étaient, eux dès le premier tour, clairement pas emballés. Et ce n’est pas surprenant, tant les visions des onze candidats du premier tour différaient, que tous ne puissent pas se retrouver dans les deux restantes. Il est donc bien normal que nombreux soient ceux pour qui l’idée de voter pour Emmanuel Macron ne soit guère réjouissante.
Et pourtant, comment douter une seule seconde de l’impérieuse nécessité de voir son adversaire échouer ? Son arrivée au pouvoir consacrerait la défaite des valeurs fondatrices de notre République. Son attitude complotiste envers la justice témoigne d’une défiance totale envers les institutions républicaines et du sentiment que les règles ne s’appliquent pas à elle. Son mépris pour la presse et la violence parfois subie par les journalistes lors de ses meetings, illustrent une dangereuse hostilité envers tout ce qui pourrait ressembler à une source de contradiction. Son entourage, notamment composé d’anciens membres du Groupe Union Défense, révèle la persistance, malgré une illusion appelée « dédiabolisation », d’idéologies nauséabondes au cœur d’un parti aujourd’hui au second tour de l’élection présidentielle. Enfin, ses propositions visant à discriminer économiquement, socialement et judiciairement les étrangers sont la preuve d’une volonté de toujours blâmer l’Autre, aussi bien pour les errements que pour les tragédies de notre pays, plutôt que de s’interroger sur nos politiques économiques et sociales pour mieux les corriger.
Il faut défaire cette idéologie et ces pratiques, et cela implique que tous ceux qui ne s’y reconnaissent pas et qui ressentent qu’elles seraient désastreuses pour notre société, notre économie, notre démocratie et notre avenir se déplacent dimanche 7 mai pour voter. Exercer un droit qui est aussi un devoir essentiel en démocratie : choisir, s’exprimer, participer à construire l’avenir, même si les choix offerts nous déçoivent. Quelle que soit la défiance que l’on peut avoir envers l’ancien ministre de l’Economie et son programme, si l’on reconnaît que son accession à la présidence est, a minima, un moindre mal en comparaison de la victoire de l’extrême droite, il en va de la responsabilité de chacun d’aller voter contre cette dernière. Toute autre attitude reviendrait à se donner bonne conscience en laissant aux autres la charge d’éviter le désastre.
Il ne faut pas se tromper de combat, et, bien assez tôt, les élections législatives constitueront pour chacun une nouvelle opportunité de voter selon ses convictions profondes. Contrairement à l’impression qui se dégage actuellement du débat autour du hashtag #SansMoiLe7Mai, nous n’élisons pas un pouvoir absolu. Notre choix démocratique du 7 mai sera contrôlé par une Assemblée nationale dont la majorité est loin d’être acquise au futur président. Elle pourra ainsi considérablement influer sur les orientations de ce quinquennat. A condition que ce pouvoir se montre soucieux du respect de nos institutions.
Au delà des élections, les citoyens ont plus que jamais un rôle à jouer afin de renouveler l’action et la pensée politiques. Il s’agit désormais de “hacker” la démocratie et de prendre notre avenir en main. La Civic Tech est pour cela un levier formidable. Le recours aux nouveaux outils numériques pour favoriser cet engagement rend possible, face à la dimension globale des défis actuels, l’élaboration de réponses communes ne s’arrêtant pas aux frontières. La Civic Tech offre aux citoyens trois voies pour s’engager entre les élections et faire entendre leurs voix:
elle met tout d’abord à leur disposition les informations nécessaires pour s’informer et peser dans le débat, de manière à contribuer à une prise de décision avisée. De nouveaux modèles de think tanks participatifs font émerger de nouvelles idées pour renseigner le grand public et les décideurs politiques ;
elle leur permet également de contribuer directement à l’élaboration de solutions politiques : ainsi les candidats Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ont-ils créé leurs programmes politiques sur la base de consultations publiques auprès de leurs sympathisants ; des initiatives comme ‘laprimaire.org’ ou encore #MaVoix visent à faire accéder aux mandats politiques de nouvelles personnes issues de la société civile, afin de renouveler le paysage politique français ;
en leur offrant des moyens d’action innovants susceptibles de précéder l’action des pouvoirs publics, comme le WARN!, qui permet aux citoyens de mener des actions concrètes face aux problèmes actuels.
La France est sortie fracturée du premier tour de l’élection présidentielle. Une fracture géographique entre l’Est et l’Ouest, une fracture territoriale entre les villes et les campagnes et enfin une fracture sociologique entre générations et classes sociales. Par un plus grand engagement citoyen, la cohésion sociale et la santé du débat démocratique seront plus grandes et ces divisions surmontées. Cette méthode a fait ses premières preuves dans le monde entier, de Taïwan ou Hong Kong à l’Islande. Son développement constitue, pour toutes ces raisons, un signe d’espoir pour l’avenir qu’il convient d’entretenir et d’amplifier.
Mais avant cela, il convient d’éviter une nouvelle fois le pire le 7 mai prochain. Nous héritons d’une histoire dont nous devons tirer les leçons. L’avenir dira si nous sommes voués à refaire le monde. D’ici là, comme le dit Albert Camus lors de la remise de son prix Nobel, le moins que nous puissions faire est d’empêcher qu’il se défasse. Nous n’avons jamais été aussi bien armés qu’aujourd’hui pour trouver des solutions nouvelles. Alors, il n’y a pas lieu de se décourager.
Laurent Abraham, Julia Clavel et Raphaël Frison sont membres fondateurs du think tank participatif Argo.