Sourires figés au feu rouge. Leurs balles de jonglage se reflètent sur les pare-brise des 4x4. A Mexico, il est courant de voir des clowns exécuter leur numéro sur les passages piétons des grandes avenues. Cracheurs de feu, pitres ou jongleurs, ils exécutent leur numéro et passent parmi les automobilistes en moins d'une minute.
Spectacle éphémère et crépusculaire auquel participent parfois des petits enfants portés sur les épaules durant les numéros. Le désespoir qu'ils inspirent submerge souvent leur numéro. La misère de leurs haillons rattrape la magie de ces Augustes dépourvus de tout.
Le plus souvent, ces clowns sont des jeunes de la rue au destin en dents de scie. Lisez à ce propos le reportage d'un collègue -et ami- Alejandro Saldívar durant la convention internationale des clowns latino-américains en octobre 2010 (cliquer ici, en espagnol). En quelques lignes, on découvre Gus Gus « qui inspire le même respect qu'un membre de gang violent ». Gus Gus a grandi dans la rue, près d'un rond point de Mexico.
Souvent, le masque de couleurs cache le visage gris d'un jeune égaré. Le sourire cloué dissimule l'indifférence d'un travailleur de la rue. Une perruque couvre les cheveux gominés et décolorés à la mode dans les milieux populaires. Le clown mexicain est le théâtre permanent de la lutte entre les réalités. Le rire contre la tristesse. Le divertissement contre la nécessité. Comme lorsqu'un de ces amuseurs tend la main pour quelques pesos. Qu'il prend sa voiture pour rentrer chez lui après un anniversaire d'enfant. Ou qu'il est embauché pour inciter les conducteurs à porter leur ceinture (à Lima). Il y a quelques mois, sur la voie rapide conduisant à l'aéroport de Mexico, le sourire d'un clown au volant s'était comme décroché, laissant place à la mimique molle de l'homme ennuyé par les embouteillages.
Les clowns sont souvent payés pour animer les fêtes des enfants. On les voit également beaucoup à la télé ou dans les parcs. Clown bon enfant, moqueur utilisant à volonté de l'humour gras, auguste parodique de la vie politique ou agent de circulation... Le clown sert à tout.
Le 5 janvier, une dépêche de l'AFP nous aspirait de nouveau dans le voretex surréaliste:
« Deux clowns de rue ont été retrouvés morts à Villahermosa, dans le sud-est du Mexique, avec à côté d'eux des messages d'un cartel de la drogue les accusant de travailler comme indicateurs pour l'armée, ont indiqué hier leurs parents et les autorités.
Les cadavres des deux jeunes hommes de 20 et 18 ans, revêtus de leurs costumes de scène, ont été découverts dimanche au bord d'une route. Ils étaient attachés et portaient plusieurs impacts de balles, a indiqué par téléphone une source au sein du ministère public, qui a requis l'anonymat. »
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Photo: record de durée du rire collectif, Mexico, 2010. Courtoisie d'Alejandro Saldívar, tous droits réservés.