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Billet de blog 23 février 2011

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Réponse - Les errements de Dominique de Courcelles concernant l'affaire Cassez

Face aux graves inexactitudes publiées par Dominique de Courcelles à propos de l'Affaire Cassez, invitée de Mediapart ici, je me joins à plusieurs correspondants de presse au Mexique pour rédiger une réponse argumentée.

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Face aux graves inexactitudes publiées par Dominique de Courcelles à propos de l'Affaire Cassez, invitée de Mediapart ici, je me joins à plusieurs correspondants de presse au Mexique pour rédiger une réponse argumentée.

J'incite également les lecteurs de Mediapart a consulter l'article journalistique publié sur Mediapart le 15 février.

"Madame de Courcelles,
En tant que correspondants de la presse francaise au Mexique, nous avons été affligés de lire le texte que vous avez publié sur Mediapart au sujet de l'affaire Cassez. Il nous semble déplorable qu'une philosophe se targue d'aller à contre-courant du mainstream journalistique simplement parce qu'elle utilise une série de contre-vérités et de mensonges pour les exhiber comme des éléments inédits dans un dossier qu'elle ne maîtrise visiblement pas. Il est beau de s'encenser en tant que voix discordante. Mais il serait plus courageux intellectuellement de respecter les faits, la vérité du dossier judiciaire dans ce cas-ci. Nous aimerions donc répondre point par point aux arguments tronqués que vous exposez, afin de vous démontrez comment vous êtes vous-même victime de la manipulation médiatique qui est à l'oeuvre dans cette affaire.
S'il y a des faits qui figurent dans le dossier de justice de Florence Cassez et qui ne sont en général pas évoqués, pour reprendre votre formulation, ce ne sont certainement pas ceux auxquels vous faites allusion. Les "faits" que vous énumérez ne sont qu'exagérations, extrapolations et inventions citées de manière récurrente dans la presse mexicaine. Par contre, les faits concrets, détaillés, objectifs -pardon d'insister- qui figurent dans le dossier, que vous n'avez visiblement jamais consulté mais que vous semblez considérer comme étant de votre connaissance, sont en effet occultés. Permettez-nous d'en faire l'inventaire.
1. Vous dites que trois victimes d'enlèvements se seraient trouvées en même temps que Florence Cassez dans le même lieu. Là, vous enfoncez une porte ouverte. Ce fait est indéniable étant donné qu'il y a eu un montage médiatique : le 9 décembre à l'aube, les trois victimes ont dû, à la demande de la police, être filmées par deux grandes chaînes de télévision mexicaines en compagnie de Florence Cassez dans la cabane qui se situe dans le jardin de la propriété louée par Israel Vallarta. Ils se trouvaient donc au même moment dans le même lieu. Cela prouve-t-il la culpabilité de Florence Cassez ? Cela prouve-t-il que les victimes avaient déjà été en sa compagnie auparavant ? Bien sûr que non.
Et il y a, forcément, une confusion entre la forme et la fond à partir du moment où l'on pervertit le témoignage des victimes en les obligeant à participer à la mise en scène d'une arrestation pour ensuite leur demander, derrière une vitre sans tain si elles ont déjà vu les personnes qui participaient avec elles à cette mise en scène. Elles ne peuvent que répondre qu'elles les ont vues lors de cette mise en scène ! Les témoignages sont biaisés, la forme affecte le fond.
2. Les témoignages qu'apportent les victimes au sujet de leur lieu de détention sont confus et contradictoires. L'enfant affirme que la télévision était allumée en permanence alors qu'une expertise révèle que l'électricité n'était pas installée dans la cabane du jardin de Vallarta. Par contre, en ce qui concerne leur premier lieu de détention, une maison de Xochimilco, leurs témoignages concordent pleinement, que ce soit entre eux ou avec la réalité. Des effets personnels des victimes sont retrouvés dans la maison de Xochimilco : nul doute que les otages ont bien été retenus dans ce lieu.
3. Vous parlez d'une fiche de dépôt de 50 000 pesos sur le compte de Florence Cassez. Vous dites qu'elle existe. En êtes-vous sûre ? Elle ne figure pas dans le dossier. Cette fiche n'est-elle pas du même acabit que la fameuse liste de personnes "séquestrables" que Florence Cassez aurait élaborée en sélectionnant de riches clients de son hôtel qui constitueraient de bonnes cibles de kidnappings, liste qui avait soi-disant été retrouvée en possession de Florence Cassez au moment de son arrestation ? En réalité, il s'agissait d'une invention de la PGR (parquet fédéral mexicain) destinée à manipuler la presse. Le journaliste qui a publié l'information, Francisco Resendiz, admet aujourd'hui n'avoir jamais vu cette liste, mais avoir simplement eu accès à cette information qu'il a publiée dans Crónica. La liste ne figure pas dans le dossier judiciaire, elle n'a jamais été utilisée comme preuve. Une fois la supercherie découverte, les autorités n'ont plus osé y faire allusion.

4. Vous présentez Reforma comme une source fiable, comparable au Monde.
Or c'est bien ce journal qui, à deux reprises, en 2006 et en 2009, a publié des pseudo-interviews de Cristina Rios, l'une des victimes, accusant Florence Cassez d'être sa ravisseuse. Nous avons contacté la journaliste qui signe ces articles. Après avoir insisté pour qu'elle nous fasse part des résultats de sa rencontre avec les victimes, la journaliste a fini par céder, nous laissant entendre qu'elle n'avait pas vraiment interviewé Cristina Rios mais qu'elle avait eu accès à une série de "réponses". De la même sorte que Francisco Resendiz et le journal Crónica avaient eu accès à la liste des personnes séquestrables soi-disant retrouvée en possession de Cassez.
Vous rendez-vous compte de l'impact des pseudo-informations que vous colportez ?

5. Vous présentez Israel Vallarta d'être le chef de la bande du Zodiaque, reprenant ainsi la version de la police. Jusqu'à nouvel ordre, Israel Vallarta n'a pas été reconnu coupable par la justice mexicaine. Ses avocats ont mené à bien un combat légal pour faire reconnaître que leur client a été torturé par la police pour ratifier l'existence d'une cette supposée bande de kidnappeurs.

6. Vous écrivez ensuite : " il est également probable, en raison des témoignages donnés par les personnes séquestrées, y compris par l'enfant de dix ans, qu'elle a été la complice du recel de ces personnes". Passons sur le fait que cette réflexion concernant la "probabilité" d'une culpabilité est vide de sens. Si l'on place les multiples déclarations judiciaires des victimes sur un même plan, sans sélectionner arbitrairement certains éléments et couper tout aussi arbitrairement d'autres passages, on constate qu'elles accusent une série de personnes d'être responsables de leurs enlèvements. Lorsqu'elles concernent Florence Cassez, ces accusations sont tardives, contradictoires, confuses, équivoques et finalement, à peine compréhensibles. Par contre, les victimes accusent d'autres individus, des suspects qui apparaissent dans le dossier parce qu'une série de preuves matérielles sont réunies contre elles. Ces supects font l'objet d'une enquête mais ils ne sont pas inquiétés.
Le jeune homme séquestré accuse Florence Cassez dès sa première déclaration mais il tombe dans une série de contradictions. La mère et son enfant, eux, affirment avec une fermeté déconcertante ne pas reconnaître Florence Cassez comme étant leur ravisseuse. Ils sont formels au moment d'affirmer qu'il n'y avait pas de femme parmi leurs kidnappeurs. Ils modifieront leurs déclarations pour accuser la Francaise deux jours après avoir passé une journée entière dans les locaux de la Siedo (le parquet fédéral chargé de la lutte contre la délinquance organisée) au moment où les policiers qui ont participé au montage médiatique de l'arrestation sont également présents en ces lieux. Les victimes ne déposent pas de déclaration judiciaire ce jour-là, ce qui serait pourtant le seul motif vraisemblable de leur présence sur les lieux. Ils modifient leur déclaration depuis les Etats-Unis, où ils se sont réfugiés deux jours après avoir passé cette mystérieuse journée à la Siedo.
Avec ces éléments en main, l'idée ne vous effleure-t-elle pas que les victimes puissent avoir été manipulées ? Ces éléments ne devraient-ils pas être du domaine public ?
D'innombrables éléments inclus dans le dossier, que nous ne pouvons pas recenser ici dans leur totalité tant ils sont nombreux, indiquent que l'accusation contre Florence Cassez est montée de toute pièce.
7. Ensuite, pour votre information, Pedro Arrellano, en représentation de la Conférence de l'Episcopat Mexicain (quoi que vous en disiez, c'est bien l'Eglise catholique mexicaine), a bel et bien affirmé à la presse le 17 novembre 2010 : "Florence Cassez est innocente. Elle doit être libérée (Voir dépêche AFP). Il a effectué ces déclarations dans le cadre d'une conférence de presse organisée par la Commission de Défense des Droits humains du District Fédéral, organe gouvernemental régional de la Ville de Mexico qui a également réclamé l'application d'une justice équitable à Florence Cassez.

8. Vous vous interrogez enfin sur la remise en cause de l'intégrité des juges mexicains: "Pourquoi, dans ces conditions, les politiques français mettraient-ils en doute l'indépendance des juges Carlos Hugo Luna Ramos, Manuel Bárcena Villanueva et Ricardo Ojeda Bohórquez ?", écrivez-vous. Et bien le dernier numéro de l'hebdomadaire Proceso (magazine mexicain dont vous pourrez difficilement nier l'indépendance d'esprit) vous en fournit la réponse. Voici une traduction du début de l'article disponible ici": "Le gouvernement de Felipe Calderón a manoeuvré à la Cour suprême afin que soit rejeté le pourvoi en cassation de Florence Cassez. L'homme chargé de cette mission est le secrétaire particulier du président Calderón Roberto Gil Zuarth." L'hebdomadaire révèle que la présidence mexicaine a fait pression sur les juges pour qu'ils rejettent le pourvoi de Florence Cassez. Car dans le cas contraire "non seulement Genaro García Luna, ministre de la Sécurité publique serait désavoué, mais la lutte du gouvernement contre le crime organisé serait également décrédibilisée".

9. Quant aux associations de la société civile mexicaine, elles sont nombreuses à s'être exprimées publiquement pour la défense de Florence Cassez, dénoncant les irrégularités du processus judiciaire et revendiquant son droit à un procès équitable : Liga Mexicana por la Defensa de los Derechos Humanos, Centro de Derechos Humanos Francisco de Vitoria, Comisión Mexicana de Defensa y Promoción de los Derechos Humanos, Gente de México por la Democracia et Consejo Ciudadano por la Seguridad y la Justicia Penal. Il est dommage que vous ne preniez pas en compte les soutiens apportés à la Francaise et les critiques au système judiciaire mexicain formulées par des organisations aussi prestigieuses qui se sont données la peine d'étudier à fond le dossier Cassez. Vous n'en avez peut-être pas entendu parler, étant donné qu'elles ont travaillé sérieusement, en toute discrétion et non pas sous les feux des projecteurs comme les ONG auxquelles vous faites référence, qui sont des associations qui méconnaissent profondément le dossier Cassez. Les ignorants font toujours plus de bruit que les sages. Mais vous êtes philosophe, vous connaissez Bertrand Russell, vous savez cela."

Patrice Gouy (Radio France), Léonore Mahieux (Europe 1), Raphaël Morán (Mediapart), Emmanuelle Steels (Libération) et Anne Viga (Rue89).

>A lire également, une tribune publiée dans Le Monde: "L'arrestation de Florence Cassez n'est qu'un montage policier et médiatique".