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Billet de blog 28 mars 2012

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Mexique: l'Etat séquestre et torture impunément

Voilà les sévères conclusions d’un rapport de l’ONU sur les disparitions forcées au Mexique. Les experts internationaux dénoncent également la politique militariste du gouvernement de Felipe Calderón. Panorama judiciaire d’un pays qui n’a plus de « démocrate » que le nom.

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Voilà les sévères conclusions d’un rapport de l’ONU sur les disparitions forcées au Mexique. Les experts internationaux dénoncent également la politique militariste du gouvernement de Felipe Calderón. Panorama judiciaire d’un pays qui n’a plus de « démocrate » que le nom.

Alors qu’approchent à grand pas les élections présidentielle et législatives de juillet prochain, le Mexique se demande de plus en plus quelle voie prendre pour construire un système judiciaire digne de ce nom.

Le dernier rebondissement de l’affaire Cassez en est l’illustration. Comme nous l’expliquions dans cet article, les juges de la Cour suprême n’ont peut-être pas libéré la Française accusée d’enlèvements, mais ils ont reconnu que la police mexicaine avait bafoué plusieurs droits fondamentaux. Depuis la diffusion d’un documentaire choc, Presumé coupable, la parole s’est libérée pour enfin exiger aux autorités de mettre sur pieds un vrai système judiciaire compétent et surtout respectueux des lois.

Le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées au Mexique ne dit pas autre chose. Des experts se sont rendus au Mexique en mars 2011, pour faire un bilan de ces enlèvements perpétrés par (ou avec la complicité) des membres de l’autorité publique.

Le constat est sans appel: malgré la fin d'une « guerre sale » systématique contre les étudiants, les peuples des communautés ou les militants politiques protestataires comme ce fut le cas dans les années 1960 aux années 1980, le Mexique n’a pas résolu les cas de disparitions. Pire encore, cette pratique se poursuit de plus belle depuis que le président Felipe Calderón a confié, dans plusieurs Etats du Mexique (en 2006) le maintien de l’ordre à l’armée.

Dans un pays où 1/3 du territoire est contrôlé par les narcos, l’enjeu consiste à rétablir de l’Etat de droit et la confiance du peuple en son armée, en sa police et en sa justice.

Les chiffres d’abord. La Commission mexicaine des droits humains a répertorié 346 disparitions en 2010. Mais les organisations de défense des victimes en comptent, elles plus de 3000 ! « Certaines d’entre elles pourraient être classées comme des disparitions forcées en raison de la participation directe ou indirecte d’agents de la force publique locale », disent les auteurs du rapport de l’ONU. Mais lorsqu’on sait que moins de 25% des délits font l’objet d’une plainte, quel est le chiffre exact de ceux et celles qui ont été "évaporés" ou qui reposent dans des fosses clandestines ?

Les auteurs du rapport mettent ensuite clairement en cause la responsabilité de l’Etat et de certains de ses agents corrompus : « Le groupe de travail a reçu des information concrètes, détaillées et vraisemblables sur des cas de disparitions forcées perpétrées par des membres de l’autorité publique, ou par des groupes criminels avec l’appui de certains fonctionnaires. ».

Les Etats les plus touchés ? Coahuila, le Guerrero (qui avait déjà payé le plus lourd tribut pendant la Guerre sale), le Chihuahua, le Nuevo León et le Tamaulipas.

Ce rapport de l’ONU désavoue par ailleurs la stratégie de militarisation du gouvernement de Felipe Calderón. Comme conséquence de l’emploi de l’armée pour des tâches de maintien de l’ordre, les plaintes contre des abus (tortures, mauvais traitements…) commis par des soldats sont passées de 182 en 2006 à 1415 en 2010. Ou quand le remède devient pire que le mal…

En conclusion, les auteurs recommandent au gouvernement d’envisager «à court terme le retrait des forces militaires pour les opérations de sécurité publique et d’appliquer la loi comme mesure de prévention des disparitions forcées». C’est une banalité de le dire : mais avant de créer des commissions ou des Parquets spécialisés, les progrès seraient considérables si la loi était appliquée !

Ce qui  a été fait :

L’ONU salue cependant les avancées en la matière. Notamment à Chihuahua, durement touché par les crimes contre les femmes. Un protocole nommé « Alba » a spécifiquement été créé pour faire face aux féminicides et aux disparitions.

Par ailleurs, les experts recommandent la promulgation de deux mesures importantes actuellement en attente d’approbation au sénat. D’abord la création d’un fichier national pour recenser les disparus. Et ensuite la réforme du Code pénal pour sortir les délits de disparitions, de viol et de torture, des griffes des juridictions militaires trop souvent complaisantes.

Enfin, tout le travail reste à faire en matière d’indemnisation des victimes. Et de protection des groupes les plus vulnérables. Il ne fait pas bon d’être une femme, un migrant (11330 enlèvements de migrants entre avril et septembre 2010 !), un journaliste ou un militant des droits humains au Mexique. Ceux-ci sont les cibles récurrentes des « levantones », comme on appelle communément les enlèvements au Mexique.

Le rapport complet sur les disparitions forcées au Mexique est téléchargeable en espagnol (PDF) :

Informe del Grupo de Trabajo sobre las Desapariciones Forzadas o Involuntarias sobre su misión a México (18 al 31 de marzo de 2011)

>Lire aussi: Les solutions et l'insurrection de la société civile mexicaine.