Pérou. Un décor sobre. Des candidats rigides. Une trame attendue. Le débat entre Keiko Fujimori et Ollanta Humala -à une semaine d'un 2e tour très serré- a tout de même laissé voir la menace qui plane sur le pays d'Amérique du sud si la fille du dictateur gagnait la présidence.
Ollanta Humala, candidat de gauche dit « nationaliste » et Keiko Fujimori, candidate de droite et héritière politique de son père Alberto Fujimori, en prison pour violation des droits humains ont débattu une heure durant à la télévision péruvienne. Le débat s'est déroulé à l'hôtel Marriott de Lima et le cadre très rigide - un débat à l'américaine où les participants ne peuvent s'interrompre- n'a pas permis de dégager un vainqueur.
Humala, costume sombre et allure propre, a tout de même immédiatement dégainé l'inquiétude principale que génère la candidature de Keiko Fujimori : elle est la fille, non seulement biologique, mais surtout politique d'Alberto Fujimori, président autoritaire du Pérou entre 1990 et 2002, et auteur d'un coup d'Etat. Il est en prison depuis 2007 pour violation des droits de l'homme et corruption. Le militaire Ollanta Humala a exposé son programme clairement orienté à gauche : créations et extension des aides sociales, renégociation des traités de libre-échange, formation d'une assemblée constituante, tolérance zéro contre la corruption, augmentation des impôts pour les entreprises minières qui emportent à l'étranger des plus-values faramineuses...
Puis Keiko Fujimori, croix catholique au cou, a commencé son allocution en espagnol et en quechua. Alternant sourires et mines sévères, elle a revendiqué l'héritage politique de son père par des allusions compréhensibles par les Péruviens : « ils savent qui a lutté contre le terrorisme », en référence à la guerre contre le Sentier Lumineux dans les années 1990. Elle sait combien cette stratégie est payante auprès du Pérou pauvre. Dans certaines campagnes, le populisme téléviso-clientéliste du fujimorisme a encore son succès.
Son discours, également teinté d'accents sociaux, est cependant plus orienté à droite. Ses nombreuses références à la religion, à son rôle de mère, au libéralisme fait d'elle une candidate clairement distincte d'Humala qu'elle a accusé d'être impliqué dans une affaire de corruption de témoins.
« La justice qui m'a déclaré innocent est la même qui a condamné votre père », a répondu le candidat de Gana Perú, qui a également rappelé les boulets que traîne Keiko : l'un de ses conseillers, Alejandro Aguinaga, ex ministre de la Santé de Fujimori est impliqué dans le programme de stérilisation forcé de 300 000 femmes péruviennes pauvres dans les années 1990.
« La candidate, c'est moi, pas Alberto Fujimori. Si vous voulez débattre avec lui, allez à la Diroes (locaux de la police où est incarcéré l'ancien dictateur) », a-t-elle répliqué, avant de lancer, presque en sanglots, qu'elle ne portera pas la « croix » du gouvernement de son père. La croix non, mais l'héritage si. Récemment, les écrivains péruviens ont signé un manifeste contre la candidature de Keiko qui ne cache pas l'héritage du « fujimorisme ». Preuve en est : les brochures de propagande électorale distribuées dans les campagnes. On peut y voir la photo de son père, « El Chino » qui a pourtant tenté un coup d'Etat et mis en place le pire gouvernement de corruption, d'ultralibéralisme et de violation des droits humains qu'ait pu connaître le Pérou.
Le 2e tour de cette élection très serrée et qui pèsera fort dans l'équilibre politique droite gauche de la région, a lieu dimanche 5 juin.
Le débat télévisé est disponible (sans sous-titres) ici sur Youtube, en intégralité.
Mexico, 31 mai.