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Billet de blog 28 juillet 2025

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Être de gauche, nul besoin de guillotine pour être juste

La gauche adore idéaliser Robespierre pour afficher sa rigueur morale, mais ce dogmatisme mémoriel dissimule une faiblesse stratégique. Car sur des enjeux décisifs comme l’Union européenne ou l’armement de l’Ukraine, cette rigueur s’efface au profit d’alliances molles, là où la pugnacité serait enfin légitime.

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Il y a dans la fidélité d’un homme politique à Robespierre une forme de courage. Non pas parce qu’elle irait à rebours du consensus, mais parce qu’elle oblige à poser, avec gravité, la question de l’héritage. Ce mérite existe. Il fait vivre une mémoire que d’autres préféreraient effacer, et il le fait sans travestir sa position. Mais c’est précisément parce que cette fidélité s’exprime avec autant de sincérité qu’il faut, avec la même loyauté, interroger ce qu’elle engage. Pas au nom d’une controverse de surface, mais au nom de l’histoire elle-même. Et de l’avenir qu’elle trace.

Robespierre, indiscutablement, fut un homme droit. Un révolutionnaire sincère. Un théoricien de la République sociale. Un adversaire de l’esclavage, du suffrage censitaire, des guerres de conquête, de l’inégalité foncière. Il croyait au droit à l’existence. Il dénonçait le pouvoir de l’argent. Il se méfiait des élites. Il voulait faire du gouvernement l’expression du peuple, non son dépositaire. Il a, plus que quiconque, ancré dans le débat public les principes d’une démocratie exigeante. En cela, il est un point de référence incontournable de la gauche républicaine. Le nier serait absurde. L’oublier serait une faute.

Mais la fidélité ne dispense pas de lucidité. Et l’admiration ne peut tenir lieu d’analyse. Robespierre  n’est pas une légende noire. Il est une figure tragique, et c’est en cela qu’il doit être regardé. Il fut fidèle à ses principes, mais emporté par une dynamique de pouvoir qu’il ne sut ni maîtriser, ni interrompre. La vertu devint chez lui exigence de pureté. L’opposition, suspicion. La critique, menace. Dans un contexte de guerre intérieure, de famine, de trahisons réelles, il crut que le salut de la République passait par l’élimination de l’ambiguïté, du désaccord, de la nuance.

La loi du 22 prairial, la suppression des garanties procédurales, la centralisation du pouvoir judiciaire dans les mains du Tribunal révolutionnaire, les arrestations sans appel, les exécutions de masse — tout cela n’est pas une réalité thermidorienne. C’est une réalité. La Terreur n’a pas été théorisée comme telle, mais elle fut pratiquée comme méthode. Jean-Clément Martin a raison de déconstruire l’idée d’un plan ourdi, d’une politique structurée du sang. Mais ce qu’il corrige sur le plan sémantique ne supprime rien de ce qu’il reste à interroger sur le plan politique : une société où la peur remplace la délibération n’est plus une République, fût-ce au nom de la République.

Faut-il pour autant opposer Robespierre à Napoléon, comme on opposerait la République à l’Empire, l’égalité à la conquête, la justice à l’esclavage ? Oui, mille fois. Robespierre est d’un autre monde que celui des sabres. Mais cette opposition, légitime, ne suffit pas à faire de Robespierre un idéal. Ce n’est pas en détruisant un mythe que l’on peut se dispenser d’interroger l’autre. Si l’on veut sauver l’héritage de la Révolution, il faut aller plus loin. Il faut chercher, au sein même de cette époque, celles et ceux qui ont porté les idéaux de la liberté et de l’égalité sans trahir la liberté au nom de l’égalité.

Olympe de Gouges en fait partie. Elle écrivit dès 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle dénonça l’esclavage, la misère, l’invisibilisation politique des femmes. Elle s’opposa frontalement à la Terreur, non par opportunisme, mais par fidélité à l’idéal de justice. Elle mourut guillotinée, seule, parce qu’elle avait compris qu’une révolution qui oublie la moitié de l’humanité n’est plus qu’une confiscation.

Condorcet en fait partie. Philosophe des Lumières, député girondin, républicain convaincu, il porta un projet d’instruction publique universelle, d’égalité civile entre les sexes, d’émancipation sociale par l’éducation. Il refusa l’exécution de Louis XVI, dénonça les logiques de guerre totale, mourut seul dans sa cellule après des mois de clandestinité. Il reste l’un des penseurs les plus rigoureux de la Révolution, et l’un de ses martyrs les plus silencieux.

Camille Desmoulins en fait partie. Lui qui avait lancé le peuple vers la Bastille finit par appeler à la clémence dans Le Vieux Cordelier. Il y dénonçait la spirale infernale des soupçons et des arrestations. Il ne reniait pas la Révolution. Il voulait la sauver d’elle-même. Il fut guillotiné sur ordre de ceux qu’il avait aidé à porter au pouvoir. Il savait que la République ne se fonde pas sur la terreur, mais sur le droit.

L’abbé Grégoire en fait partie. Il défendit les Juifs, les Noirs, les esclaves, les protestants, les femmes, les illettrés. Il mit la Révolution au service des humbles. Il fit adopter l’abolition de l’esclavage. Il dénonça la violence comme logique politique. Il resta fidèle à ses engagements sous tous les régimes. Il montra que l’on peut être révolutionnaire sans jamais cesser d’être juste.

Ces figures, et d’autres encore, ont porté l’idéal d’une République sociale, démocratique, égalitaire, sans céder à la tentation de l’autoritarisme ni à la verticalité des vertus imposées. Elles n’ont pas gouverné par la peur. Elles n’ont pas cédé à l’idée que l’histoire a besoin de têtes tranchées pour avancer. Elles ont défendu les droits naturels sans les hiérarchiser. Elles sont, en ce sens, des repères plus solides encore que Robespierre, car elles ne nous obligent à aucun compromis avec la violence.

Faut-il pour autant renier Robespierre ? Non. Il est une partie de notre mémoire. Mais il n’est pas, ou ne doit pas être, le tout. Il faut le lire, le comprendre, le respecter, et le dépasser. Lui rendre hommage, pourquoi pas. Mais à condition de savoir ce que l’on célèbre : un homme sincère, courageux, mais emporté. Un esprit rigoureux, mais fermé. Un projet républicain, mais verrouillé par la méfiance.

La gauche n’a pas besoin d’idoles, mais d’héritages. Et il y a dans les figures d’Olympe de Gouges, Condorcet, Grégoire ou Desmoulins des héritages plus féconds, parce qu’ils tiennent debout sans avoir besoin du sang pour se justifier. Ils nous disent qu’il n’y a pas de justice sans liberté, pas de République sans pluralisme, pas de révolution sans humanité.

C’est cela, aujourd’hui, que nous devons défendre. Non une mémoire figée, mais une mémoire vivante. Une mémoire qui éclaire, pas qui aveugle. Une mémoire qui permet d’avancer sans reproduire les failles du passé. Si la devise de la République est Liberté, Égalité, Fraternité, alors rendons hommage à celles et ceux qui ont su faire vivre ces mots sans jamais les opposer entre eux.

Et si Robespierre a eu le mérite d’en incarner la tension, il nous revient, à nous, de poursuivre sans sa terreur, mais avec son exigence.

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