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Billet de blog 13 avril 2017

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Filière nucléaire: la nausée et les mains sales

Je n'aimerais pas avoir à débattre de la sortie du nucléaire. Une confrontation axée sur des points techniques tournerait en ma défaveur quel que soit mon niveau de préparation. Sur le papier, l'équation fournie par EDF et l'État aux lobbyistes pro-atome est en effet une véritable martingale.

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Illustration 1
sortir du nucleaire © betemps raphael

Maître des lieux, l'État déploie loin de nos regards innocents tous les moyens dont il dispose afin de sécuriser un approvisionnement constant et bon marché en matière fissible. C'est le job du taulier : structurer la filière. De son côté, le croupier a la main sur un maillage de centrales uniformément réparties sur le territoire, grâce auxquelles il peut produire et délivrer sans intermittence et avec des risques calculés (!) une énergie universelle et relativement bon marché. Des pros, chez EDF ! Le citoyen, pardon, le consommateur, est content. Il est aux anges, il rit, béat, innocent et comblé. La pizza du soir sera bien prête à l'heure du match, le niveau de charge du portable n'atteindra pas son seuil critique pendant la consultation de la page Facebook et Dr Nuke veillera à ce que les nuits de chaque abonné ne soient pas troublées par un quelconque défaut d'alimentation du système d'air conditionné. On nage dans le Penthotal, c'est imparable. Je l'avoue, je prends aussi ma dose tous les jours et j'ai honte. Complice, je quitte le parti. Pardon Cécile. Fermez le rideau.

Un peu abattu mais curieux, je suis tout de même allé voir en coulisse. Et là c'est... comment le dire sans trop faire de vagues... : moralement discutable. Notre « indépendance » énergétique repose en effet sur un troisième larron : AREVA. Fleuron national en faillite dont l'État reste actionnaire à 85%, AREVA assure l'essentiel de notre approvisionnement en minerai. Et il faut aller loin, très loin, pour alimenter nos 58 réacteurs. En fait, le plus loin possible.

 Parmi les nombreux gisements dont la compagnie est concessionnaire, ceux d'Arlit et d'Akoan, au Niger, satisfont à eux seuls 10% de nos besoins quotidiens. Vous avez lu Zola ? Germinal ? Vous préférez Mad Max ? Vous trouverez les deux au cœur du Sahara, à 4000 km au sud de Paris. Le point minuscule, perdu au milieu d'une rocaille brûlée par le soleil et irradiée par les hommes, c'est Arlit. Pour extraire l'uranium des gigantesques mines d'Arlit, il faut du sang et de la sueur. Depuis plus plus de 40 ans, 2400 mineurs venus du nord Niger s'y emploient quotidiennement, manipulant le minerai brut et inhalant ses poussières toxiques, sans plus de protections que celles imposées aux saisonniers qui ramassent des carottes et des choux. Des masques ? Des gants ? En grand étourdi, le géant du nucléaire a malheureusement omis pendant des décennies d'informer ses employés et leurs familles des dangers auxquels on les exposait. Les normes européennes sont tellement complexes ! Comment les faire entendre à des bergers analphabètes ? Et d'ailleurs, à quoi bon... Mais spolier les vivants n'est pas suffisant, et AREVA s'emploie aussi à saccager l’environnement.

 Pour être exportable, le minerai doit en effet subir sur place une première série de transformations afin d'obtenir le fameux « yellow cake ». Et cela demande énormément d'eau : 270 milliards de litres en 40 ans. Une eau exploitable, pompée à grande profondeur dans des gisements aquifères non renouvelables. Une ressource précieuse, inestimable en un tel endroit, protégée pendant 100 millions d'années et finalement gaspillée en surface. Afin d'assécher les carrières, la compagnie siphonne également les eaux de la nappe phréatique, désormais polluée par les activités de surface et dont le niveau baisse inexorablement. Le liquide restant, chargé en nitrates et en radionucléides, alimente gracieusement les agglomérations proches. Le résidu de ce processus prend lui la forme d'une boue rouge constituée d'un mélange d'agents toxiques et de terre radioactive.

Encore une fois, les quantités sont astronomiques : 35 millions de tonnes de déchets accumulés à l'air libre. Des montagnes de résidus contaminés qui s’érodent lentement en une fine poussière, un poison répandu sur toute l'Afrique de l'Ouest par l'harmattan (un vent d'Est) et qui se propage jusqu'à la mer... De cette poussière nocive, les agglomérations situées à proximité en sont recouvertes.

Créées dans les années 50 pour accueillir les premiers mineurs, les villes d'Arlit et d'Akokan totalisent aujourd'hui 80 000 habitants. En bon chevalier blanc et soucieuse de son image, AREVA prend soin de loger ses 2400 employés et leurs proches dans les meilleures conditions : maisons, routes, électricité, eau courante, écoles, hôpitaux, une bénédiction dans un des pays les plus pauvres du monde. Pour le reste, c'est la misère. La réalité d'Arlit, c'est un bidonville où 60000 personnes survivent dans des abris bricolés à partir de déchets et de matériaux irradiés récupérés autour des mines. Et savez-vous le plus drôle ? La plupart de ces gens n'ont pas l'eau ou l’électricité. Arrêtons-nous là...

Eh oui cher lecteur, même à prix bradé, la fée électricité a un coût moral qu'il faudra bien assumer un jour ou l'autre. Certains préfèrent laisser l'addition à leur descendance ; personnellement, ça me gêne un peu.

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