Alice, 33 ans, femme, blanche, hétérosexuelle, parisienne, athée, apeurée, désenchantée et en colère.
Je suis apeurée par ce monde prêt à imploser, je suis apeurée par la montée de l’extrémisme, des xénophobies et autres peurs irrationnelles qui gangrènent la société, et qui s’immiscent et grandissent petit à petit dans une sphère, autrefois secrète et inavouée, qui s’affirment aujourd’hui au grand jour, jusqu’à atteindre nos cercles les plus restreints. Que cette haine soit consciente ou inconsciente, revendiquée ou ignorée, elle est malheureusement partout. J’ai peur quand je vois des proches se faire manipuler par une théorie du complot, car c’est plus facile de croire une explication simple et manichéenne que de prendre la peine de se poser des questions compliquées, de s’informer et de développer son esprit critique.
J’ai peur de cet individualisme si ancrée au plus profond de nous-même, nous, enfants de la société consumériste, qui avons été bercés par le mythe de l’accumulation de biens matériels qui, soi-disant, nous rendrait plus heureux et plus épanouis.
J’ai peur de ce mythe de l’auto-satisfaction du “chacun pour soi” sous l’illusion d’un bien être personnel à la clé, alors que le dessein insidieux qui en résulte réside en l’affaiblissement, voire la disparition, de la solidarité et de toutes les dynamiques ou espérances collectives de contre-pouvoir.
J’ai peur de ce monde de la “poudre aux yeux”, cette ère de l’apparence, du futile et de la perfection, cet âge superficiel, qui n’est rien d’autre qu’une nouvelle aliénation qui s’infiltre jusque dans les moindre détails de nos quotidiens, et de ce fait impact nos relations humaines et l’amour de soi, et finit par ne faire émerger que des êtres standardisés - avec les mêmes goûts, les mêmes envies, les mêmes ambitions -, de bons petits soldats trop occupés à gérer leur petit confort, leur image et leur réputation dans un cocon éloigné de la réalité.
J’ai peur de l’émergence de ce monde insensible, où les rapports humains sont appréhendés comme des biens de consommation, et où les relations humaines sont corrompus - au-delà du patriarcat - par la propension à “se vendre” comme un individu qui "vaut le détour" en arguant ses points forts et en travaillant sans relâche sur de nouvelles aptitudes, pour prouver sa valeur et son capital social.
J’ai peur des élections présidentielles à venir. Je ne fais pas confiance à nos dirigeants, car nous avons subi beaucoup trop d’irrespects, de violences et de désillusions. Et le pire dans tout ça, c’est qu’on continue à ne rien faire, à ne pas se révolter car c’est trop d’inconfort, et qu’on aurait “trop à perdre” ou que “les autres vont s’en charger” comme ils disent, mais cette théorie de l’inaction va tous nous mener à notre perte. Ne rien faire c’est accepter sans broncher, ne pas se battre c’est être complice, se taire c’est un crime envers l’humanité.
Aucun politicien ne donne de l’espoir. Aujourd’hui, la seule liberté qu’on nous accorde est de choisir le candidat le moins catastrophique parmi une sélection de “pathétique”, ce n’est pas juste ! Ce contexte anxiogène génère le sentiment profond d’un avenir condamné, et provoque un renoncement car la machine tentaculaire est si profondément ancrée avec tant de ramification qu’on a le sentiment qu’il n’y a pas d’issue. Nos leaders continuent d’insuffler cette dynamique pessimiste car un peuple désabusé est plus docile qu’un peuple éveillé, ou tout du moins rassuré. Cependant, si nous partons du postulat que la Terre court à sa perte, et que peu importe quelle génération sera in fine sacrifiée, alors pourquoi ne pas tenter le tout pour le tout dès maintenant, histoire de faire bouger les lignes et d’offrir un monde meilleur à nos enfants ?
Je suis fatiguée par l’individualisme si ancré en nous, dans lequel nous avons été baigné depuis la naissance, qui provoque la petitesse d’esprit de croire que seul le bien être personnel fait foi. De ce fait, je ne suis pas étonnée que cette doctrine systémique fasse émerger aujourd’hui une humanité recroquevillée sur elle-même, qui plutôt que de se révolter attend que d’autres “un peu plus fou” ou “qui n’ont pas trop à perdre” s’en chargent à leur place. Mais ce n’est pas comme ça qu’on va changer les choses, si 90% de l’humanité compte sur les 10% restants pour insuffler un nouveau monde, alors oui c’est certain, on va dans le mur. Quand nous réveillerons-nous ?
J’ai peur de ce monde, et à tel point, que cela s'insinue dans mon quotidien. J'ai un petit neveu de 9 ans qui est passionné par la seconde guerre mondiale, et quand je joue aux nazis et aux résistants avec lui, je ne peux m’empêcher à chaque fois de penser à la plausibilité d’une répétition de l’histoire - vu l’état actuel des choses, avec ce bouillonnement de repli sur soi et de haine - dans ses travers les plus noirs, les plus pervers et les plus destructeurs. Pour être tout à fait honnête, cette perspective m’angoisse à tel point que je me projette déjà, prête à me battre et à mourir pour la démocratie et la liberté (et surtout pas au nom de la patrie). J’irai même plus loin en osant avouer que j’ai si peur que je me renseigne sur les méthodes et les rouages de résistances, voire même j’envisage de prendre des cours de tirs, "au cas où", pour me défendre, protéger ceux que j’aime et lutter pour mes idéaux. La guerre raciale n’est pas une lubie d’extrême droite à prendre à la légère, car elle est sous-jacente, et qu’elle a déjà atteint mon cerveau de femme blanche. Aujourd’hui, le champ actuel, tant des médias, que des représentants politiques et du fait de la course effrénée vers la présidentielle, fait que j’ai davantage peur des néo-fascistes, extrémistes de droites, que des djihadistes, soyons clairs !
Et oui ! J’ai peur pour mes frères et sœurs racisés, j’ai peur pour tous ces êtres de lumière qui ne rentrent pas dans la “norme”, selon les idéaux d'extrême droite, du fait de leur religion, de leur orientation sexuelle, de leur genre ou de leur nationalité. J’ai peur de perdre les droits pour lesquels tant de femmes se sont battues par le passé, dans la douleur. J’ai peur de ce monde balbutiant, bien que pourtant je fasse partie de la catégorie la moins opprimée, car bien que me considérant citoyenne du monde, j’ai conscience de mon privilège en tant que femme blanche hétérosexuelle, née sur le “bon” continent, et de mon privilège de position sociale et de pigmentation vis-à-vis de mes co-citoyens du monde et de mes compatriotes racisés et opprimés.
J’ai la chance de ne pas vivre de discrimination raciale, d’avoir plus de facilité à l’embauche et de ne pas avoir peur de la police (concernant ces derniers, j'ai fait le constat que du simple fait de ma simple couleur de peau je méritais plus de respect). Donc oui, j’ai conscience d’avoir de la chance. Par contre, à l’inverse, en naissant sur le continent européen, je me sens complice des violences de mes ancêtres blancs, et j’ai honte. J’ai honte de la vanité blanche qui prétend être d’une supériorité morale, politique et sociale incontestable, et qui depuis des siècles impose sa vision du monde aux peuples opprimés, en se sentant indubitablement supérieur.
Bien que la colonisation ait "officiellement" disparue, l’oppression continue en sous-marin et au grand jour sans trop de difficulté grâce au déploiement et à l’ampleur du capitalisme. L’homme blanc a réussi sa pénétration et sa domination de la planète Terre, il a réussi à se l’accaparer, à l’user et à la vider de toutes ses ressources, une victime pourtant irremplaçable, grâce à cette nouvelle croyance mondiale qu’est l’argent, et l’illusion du bonheur consumériste. Maintenant, que notre chère Gaia est presque entièrement dépossédée de ses ressources et de son essence, l’homme blanc réfléchit déjà à sa prochaine conquête, à sa prochaine victime, impatient de “pénétrer” les étoiles. Péril écologique, capitalisme, racisme et patriarcat, même combat, l’origine est la même : l’exploitation et la domination.
S’en est assez ! L’âge d’or du capitalisme nous mène à notre perte, nous sommes tous complices d’un système pyramidal qui ne profite qu’à une seule et même petite élite complètement déconnectée des réalités humaines, qui vit presque en orbite sur une autre planète tant les repères sont déséquilibrés. Cet âge d’or est révolu, cela ne peut plus continuer ainsi. Rien n'a de sens, rien ne tourne rond. Comment en est-on arrivé là ? Mais où va le monde ?
A ceux qui affirment, et qui craignent, que le mouvement woke fasse émerger une révolution culturelle, j’ai plusieurs questions : considérez-vous que la société actuelle est la société idéale à laquelle on peut prétendre ? Considérez-vous que nous avons atteint un idéal de civilisation duquel on peut être fier ? Et de ce fait, considérez-vous que cette société mondialisée est parfaite, qu’il n’y a plus de combats à mener, plus d'idéal à atteindre, plus de droits à faire émerger ? Qui êtes-vous pour oser espérer comprendre et connaître la réalité de la jeunesse, qui êtes-vous pour porter un jugement alors qu’il en va de notre avenir à nous ? Qui êtes vous pour prétendre comprendre la souffrance qui nous habite ? Je vous rappelle que vous nous avez légué une planète en péril, où l’avenir est morose, et où l’espoir à disparu. A la place, seule la peur, la résignation et la survie nous attendent en chemin. Nous sommes la première génération sacrifiée par ses ancêtres, nous sommes les victimes d’un système opportuniste, insatiable et vaniteux, où l’individualisme est le maître-mot, et où l’argent est un culte planétaire qui dépasse les croyances et les religions. A vous, les anciens, que vous soyez conservateurs, libertaires, démocrates, empathiques ou sans opinion, vous êtes tous collectivement complices, tous, autant que vous êtes !
Quel espoir pour nous la génération de “survivor” ? Nous sommes une génération sacrifiée qui a grandi avec une quantité de peurs incommensurables, toutes les peurs de la société que nos prédécesseurs ont fait émerger en ouvrant la boîte de pandore de leur égocentrisme.
Moi, Alice, je rêve d’une révolution planétaire ! Je rêve d’un nouveau monde, plus inclusif, solidaire, bienveillant et porté sur le collectif. Je rêve d’une société basée sur la pluriversalité des cultures, mais aussi sur une intelligence créative, émotionnelle et sociale. J’ai foi en l’humanité, j’ai foi en mes concitoyens du monde, car il y a encore du bon sur cette Terre. Cependant, toutes ces pépites humaines sont seules, désabusées, disqualifiées, réduites au silence, invisibilisées et effrayées. A vous, citoyens et citoyennes anonymes ou personnalités publiques, je vous en supplie, levez-vous, impliquez-vous, affirmez-vous, exprimez-vous, libérez votre colère, vos convictions et vos espérances, et construisons ensemble un monde meilleur.
Alice