Un notaire et un ex-magistrat devant les assises de Paris pour
faux en écriture .
Un notaire et un ex-magistrat devant les assises .
mardi 17.01.2012, 05:28 - PAR ÉRIC DUSSART
Un notaire et un ancien magistrat: les deux amis
devront s'expliquer aujourd'hui. PHOTO ARCHIVES AFP
On ne devrait jamais faire confiance en affaires. Même à un ami. C'est ce que doit se dire
aujourd'hui Marc Gorfinkel, notaire à Arleux, près de Douai. Pour avoir cru en la bonne foi
d'un magistrat de ses relations, le voilà aujourd'hui devant la cour d'assises de Paris, pour
faux en écriture publique...
C'est une vieille histoire, qui remonte au temps de l'amitié des deux hommes. Hugues Vérita,
magistrat originaire du Douaisis, est en poste dans la Loire, en 1995, quand il demande à son
ami notaire de réaliser un acte authentique scellant deux emprunts d'un montant total de 942
000 francs (environ 143 600 euros). Il est l'emprunteur, le coemprunteur est son épouse.
À son insu...
Afin de gagner du temps, il demande que les documents lui soient envoyés, il les retournera
par la poste munis des deux signatures. Le notaire accepte, et c'est là son erreur : au-dessus
des deux paraphes, il est écrit que l'acte est réalisé et signé à Arleux, à la date dite. C'est un
faux en écriture publique.
Mais ce n'est que des années plus tard que cette faute est découverte. Par France-Anne
Azoulay, ex-épouse d'Hugues Vérita, dont elle est divorcée. Elle n'a jamais con-tracté de prêt
et c'est à son insu que son mari, dont elle vit déjà séparée, a couché son nom sur l'acte, et
signé pour elle. Elle relève d'ail-leurs un autre acte, réalisé deux ans plus tard, le 11 juillet
1997 (le divorce est alors prononcé), au terme duquel, par le même subterfuge, elle se
retrouve caution hypothécaire d'un emprunt de 1 200 000 francs (183 000 euros, environ).
Voilà donc Marc Gorfinkel accusé d'avoir floué cette femme, ce qu'il n'a pas voulu, dit-il au
magistrat instructeur. Un contrat envoyé par la Caisse d'Épargne fixant la garantie
hypothécaire l'avait mis en confiance : il était déjà signé des deux époux. Mais Hugues
Vérita l'a reconnu lors de l'instruction : il a maintes fois imité la signature de son épouse
dans les actes de la vie courante... Il a d'ailleurs un drôle de parcours, cet ancien magistrat de
la région, qui se retrouve président du tribunal de grande instance de Digne de 1998 à 1999.
Il est muté après une sombre histoire de conseillers du tribunal de commerce qu'il aurait luimême
intronisés et grâce auxquels il aurait touché de l'argent contre des arrangements dans
différentes procédures de faillite. Il tente de justifier ces rentrées par un gain au Loto, mais il
est poursuivi pour prise illégale d'intérêt - aucune poursuite disciplinaire n'est cependant
engagée.
Le voilà à Nîmes - vice-président du tribunal de grande instance - où il propose à Gilbert
Baumet, ex-président du conseil général du Gard, la clémence dans une affaire contre une
intervention auprès des services du fisc (ses gains au Loto qu'il a du mal à justifier...). L'élu
s'étrangle et dénonce : en 2003, Hugues Vérita est révoqué par le Conseil supérieur de la
magistrature.
Avant cela, il avait eu le temps de nouer des amitiés dans sa région natale. Notamment avec
Marc Gorfinkel qui doit s'en mordre les doigts... •
Aux assises de Paris, l'amitié brisée du notaire et de l'ex-juge
flambeur
Aux assises de Paris, l'amitié brisée du
notaire et de l'ex-juge flambeur
mercredi 18.01.2012, 05:27 - ÉRIC DUSSART
MeFrank Berton défend Marc Gorfinkel, notaire
douaisien, accusé de faux en écriture publique. PHOTO ARCHIVES SAMI BELLOUMI
| FAUX EN ÉCRITURE PUBLIQUE |
Un notaire douaisien à la barre de la cour d'assises de Paris. Un homme en larmes. Me Frank
Berton, son avocat, vient de lui demander ce qu'il ressent, à cet instant, posé « à l'endroit où
se succèdent plutôt des gens comme Guy Georges ». ...
Jusque-là, Marc Gorfinkel, 56 ans, avait répondu plutôt crânement aux questions du
président et de l'avocat général. Après tout, son crime n'est pas le plus terrible, à cette barre.
L'avocat général Bruno Sturlese y met ses mots : « Vous avez été hyper léger, non ?... »
Hochement de tête qui vaut aveu. « Un crime d'amitié », dit Me Berton.
L'ami est d'ailleurs là, juste derrière, assis sur les restes de ses dernières illusions. « Moi, je
sais que j'ai tout perdu », dit Hugues Vérita, 63 ans, Douaisien lui aussi, même s'il a quitté le
Nord depuis des années. Ici, il a tout eu. À l'époque de son amitié avec Gorfinkel, il était
avocat, puis avoué. Il menait grand train. Un jour de 1984, c'est le pompon : il gagne 2,4
millions de francs (350 000 euros environ) au Loto. Car Monsieur joue. Et Monsieur séduit,
également. « En 1988, j'ai fini par le quitter », dit Anne-France Azoulay, son ex-épouse. Et
d'un geste las : « L'ensemble de tout... » Hugues Vérita est entré en magistrature. Juge à
Roanne, il devient même président du tribunal de grande instance de Digne ! Mais une
bombe à retardement le guette. En 2003, Anne-France Azoulay se rend compte qu'il a
contracté des prêts en leurs deux noms. Un total de 2 millions de francs (300 000 euros). « Je
l'ai prévenue au téléphone », dit-il aujourd'hui. Elle : « Vous croyez que je me serais
évanouie quand j'ai appris la chose, dans ce cas ?... »
Il risque quinze ans
Un qui n'a pas été prévenu, en tout cas, c'est le notaire. Pour rendre service, il a accepté
d'envoyer les actes par la poste à son ami, qui les lui a retournés signés - et même plutôt
deux fois qu'une. Sauf qu'une mention indique que les signataires devaient être à Arleux,
dans son étude, et face à lui. C'est un faux en écriture publique. Sa qualité de détenteur de
l'ordre public lui vaut d'être jugé aux assises, où il risque quinze ans de prison. On en sera
bien loin, évidemment. Mais quand il regarde le flambeur fini à côté de lui, et qu'on lui
demande s'il est toujours son ami, Marc Gorfinkel répond : « Mettez-vous à ma place... » •
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Le verdict doit être rendu ce soir.