Quel âge avez-vous ? J’avoue atteindre bientôt les soixante ans. Bel âge, me direz-vous. Non ? Peu importe.
Être né dans les années soixante m’a permis de vivre mon enfance dans les années soixante-dix avec des parents de la classe moyenne, qui avait encore les moyens de se payer des vacances en caravane au bord de la mer.
Une fois dans l’eau, munis d’une chambre à air de tracteur et entourés de quelques copains, nous passions les meilleurs moments de notre vie. Et tant que les plages sont encore gratuites, ça ne coûte rien aux parents.
Le séjour estival se ponctuait de quelques dépenses prévues, une sortie au cinéma de plein air, quelques pizzas, des glaces. Certaines années, il restait de l’argent en fin de séjour alors c’était « Restaurant ».
Ma mère n’oubliait jamais notre instruction. Nous visitions alors les monuments, châteaux, églises, tous les sites incontournables de la région de notre villégiature.
Quant à mon père, il préférait les jeux de baignade, les jeux de cartes et le mini-golf.
Récemment, ce jeu a ressurgi dans mon existence dans la ville où je réside : Perpignan.
Je fus d’abord surpris d’y voir aménagé, au centre-ville, un mini-golf.
Que venait faire ici, ce jeu attaché aux lieux de vacances, aux campings, aux plages des stations balnéaires ?
Curieux, j’effectuai quelques recherches qui me permirent de comprendre que le mini-golf avait été l’espace autorisé par les mâles blancs dominants du XXᵉ siècle, aux femmes puis aux personnes ségrégées par des politiques racistes, qu’ils ne souhaitaient pas voir arpenter leur green sacré.
Le jeu, peu coûteux, a permis aux classes pauvres de tenir un club en main et de putter dans un environnement ludique et kitsch .
Mais il n’était plus pour moi qu’un vestige sur polaroïd perdu dans un album de photos quand je vis les travaux de construction dans le square Bir Hakeim.
Quelle mouche a bien pu piquer, en 2025, la municipalité de Perpignan pour investir 600 000 € dans un mini-golf ?
Son maire, né en 1969, partage-t-il avec moi le souvenir attendri d’un père en maillot de bain et espadrilles, réussissant un birdie au trou n° 7 du moulin à vent, sous l’œil admiratif d’un nain en plâtre ? Peut-être…
Perpignanais récent, je me suis vite attaché à cette ville, belle, désuète, moyenâgeuse, faite de béton de galets et de cayrou, aux façades bourgeoises du XIXè et XXᵉ siècle usées par le vent et le soleil.
Ses rues perpendiculaires, abandonnées à la vétusté et surplombées de bâtiments délabrés abritent une population qui tient à la vie, assise dans la rue pour échapper à la promiscuité, à la chaleur et profiter de la lumière du ciel.
Quand je marche dans ses rues, un ancien m’interpelle de sa chaise pliante pour me demander une clope, un instant de bavardage ou juste un salut.
Les femmes guettent les enfants qui jouent. Les hommes échangent quelques mots en catalan, en arabe ou en français, devant quelques boutiques, épiceries, ou bureaux d’écrivains publics.
Tous tiennent le lien, résistant à une volonté sourde de les faire taire, de les faire disparaître, de ne plus les voir.
Ont-ils joué, jouent-ils, joueront-ils au mini-golf ?
Peut-être…
Nous sommes à l’été 2025, Perpignan manque de travail, de logements salubres. Des quartiers entiers sont au chômage, vivent dans la pauvreté, médicalement délaissés, dans l’illettrisme. Mais Perpignan construit un mini-golf.
Je crois que je n’irai pas jouer au mini-golf. Sans mon père, ce jeu n’a aucun intérêt, et, seul, à presque 60 ans, je m’y ennuierai.
À la fin de ma promenade, je descends de la place Cassanyes vers la médiathèque par la rue de Llucia, je traverse la place Hyacinthe Rigaud pour prendre la rue du Théâtre et déboucher place de la République.
Devant le Tabac-Presse-Loto, je me demande ce que je ferais si je gagnais 600 000 € au Loto.
 
                 
             
            