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Billet de blog 13 juillet 2016

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Habitants et maquisards du Vercors 1940 - 1944

Ne pas oublier...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

HABITANTS ET MAQUISARDS AU VERCORS – 1940/1944.

(Le parcours des troupes allemandes de BOUVANTE à LÉONCEL/La VACHERIE).

Il est grand temps de recueillir la parole des derniers témoins : bientôt les « événements » du Vercors auront totalement sombré dans l'Histoire.

Encore faut-il que ces derniers témoins se souviennent, sachent encore raconter, et aussi souhaitent parler.

Souhaiter en parler. Même si l'expression n'était pas courante, et peut-être même non connue à l'époque, nous avions, habitants et maquisards, subit un traumatisme. J'ai cru remarquer que, pendant longtemps, la discrétion sur ce sujet si douloureux l'a emporté sur le désir de dire. Parce que la guerre viole les consciences.

Pour ce qui me concerne, ce dont j'ai été le témoin n'est plus présent intégralement dans ma mémoire. Ce que je livre ici est ce qui subsiste encore.

J'articule ces souvenirs avec ceux d'autres témoins voisins et amis qui ont eu l'amabilité de me les confier. Je les remercie.

1940 ET LA « DRÔLE DE GUERRE ».

« Le Petit Dauphinois », notre journal quotidien, était le seul média faisant lien avec l'extérieur. Je me souviens de l'impatience de mon père, soldat de 14/18, mobilisé pendant sept ans, qui attendait avec impatience chaque jour l'arrivée du facteur. Je me souviens de sa satisfaction, augmentée bien sûr d'une certaine fierté, quand le journal a titré sur une certaine stabilisation du front au printemps 40. « Cato fé y lous tènan » (cette fois « ils » les tiennent). Hélas, « ils » ne les ont pas tenus longtemps. Peu de temps après, les Allemands étaient à VOREPPE, près de GRENOBLE, puis ce fut un message du maréchal PETAIN nouveau chef de l’État, annonçant la reddition de la France.

Les postes de radio étaient très rares à l'époque. Nous n'avons donc pas été au courant de l'appel du général de GAULLE. Nous n'en avons pas entendu parler non plus.

Je me souviens aussi de ma stupéfaction, de mon incrédulité, en lisant peu de temps après en gros titre sur la une du Petit Dauphinois que l'aviation anglaise avait bombardé la flotte française à Mers et Kébir (afin qu'elle ne soit pas livrée à l'Allemagne).

LES ANNÉES DE L'OCCUPATION ALLEMANDE.

De 1940 à 1944, dans notre zone excentrée au sud-ouest du massif du Vercors nous avons été peu touchés par la guerre. Même après l'occupation de la zone dite libre je n'ai jamais vu un seul Allemand. Par ailleurs, le hasard avait fait que personne de ma famille ni du quartier n'avait été fait prisonnier. A l'encontre de beaucoup d'autres Français nous avons échappé à l'absence interminable de proches retenus prisonniers en Allemagne.

Il régnait cependant un climat social assez troublé du fait de notre situation de vaincus, de la censure officielle , des informations tendancieuses délivrées. Cette ambiance était assez délétère, incitant au non dit, à la prudence, à la méfiance aussi. Une ambiance totalitaire en quelque sorte. Ceux qui s'opposaient sans nuances à la propagande se demandaient dans quelle mesure d'autres ne se satisfaisaient pas, plus ou moins, de cette situation et si, parmi ceux-là d'aucuns n'étaient pas devenus dangereux.

Et en effet, des soupçons se sont parfois révélés fondés. Le nouveau Pouvoir avait instauré la politique de la carotte et du bâton. Ce qui convenait aux personnes que leur culture et leur éducation avaient habituées à un respect exagéré de la hiérarchie et à l'obéissance systématique du Pouvoir quelle que soit la nature de celui-ci. Paradoxalement, du moins en apparence, d'autres, ayant sans doute des comptes à régler, étaient tentés de se saisir de ce moyen d'être enfin du côté du plus fort en se faisant déléguer le bâton.

Dans les kiosques ont vendait « Signal » un magazine pro-allemand. Par curiosité j'avais acheté un numéro. C'était en hiver, l'armée allemande de Russie y était particulièrement glorifiée. L'article principal signalait le fait que les soldats cassaient le vin et sciaient le pain.

Je me souviens des restrictions, des tickets de rationnement, de la disparition quasi totale du café qui était remplacé par de l'orge grillé et des particules indéfinissables. Le carbure de calcium remplaçait le pétrole pour notre éclairage (notre quartier n'était pas encore électrifié). Nous avions aussi l'obligation d'acheter la farine (chaque famille du quartier faisait son pain depuis toujours) chaque mois et non plus par « balles » de cent kilos rapportées auparavant de la ville en automne avant le blocage de la route par la neige, grâce à la vieille Citroën C6.

Nous allions donc chercher la ration de farine du mois à BOUVANTE LE HAUT terminus de la route déneigée. Mon frère Albert et moi nous la rapportions à la maison sur le dos. A noter que le poids du sac ne dépassait pas les vingt kilos, ce qui était suffisant pour nos forces d'adolescents. Rien à voir avec la « balle » de cent kilos que, fin 19ème/début 20ème siècle, un voisin qui n'avait pas assez de terres pour nourrir une jument, rapportait du moulin sur ses épaules par le même chemin malgré la dénivelée de plus de 400 mètres sur un peu plus de trois kilomètres. Il ne se reposait que deux fois, aux mêmes endroits propices pour recevoir la « balle » sans qu'il ait besoin de se baisser. À cette époque BOUVANTE-le-HAUT s'appelait aussi et surtout « lou Grand Bouanti » dans notre dialecte haut-occitan. C'est dire que le village avait une certaine importance. Outre la douzaine de fermes familiales, on y trouvait encore, dans le premier quart du vingtième siècle, un moulin, une scierie, un menuisier, un maçon, deux épiceries, deux cafés. Il y avait une véritable rue, qui s'appelait la Charère (la tsaréro), mais que nous appelions, mes trois frères, ma sœur et moi « la rue merdeuse ». La rue était sans doute fréquentée par les vaches, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Quittons les vaches et revenons à nos moutons.

Je me souviens de la poignée de mains PETAIN-HITLER à MONTOIRE, de la guerre en RUSSIE dont la presse de VICHY ne nous rapportait que les épisodes où les troupes allemandes progressaient. Quand les mouvements de retraite était trop flagrants pour être cachés ils étaient requalifiés en ajustements stratégiques. La victoire de l'armée allemande était présentée comme inéluctable. Jamais, bien sûr, ne furent rapportés les massacres et exactions perpétrés par les troupes allemandes et pas davantage, bien sûr, leur défaite à STALINGRAD.

En ce qui concernait la guerre dans le Pacifique, l'information était, il me semble, un peu plus objective. Les conquêtes des troupes japonaises étaient cependant rapportées avec insistance..

Je me souviens du nom de quelques-unes des îles du Pacifique sud, conquises, perdues, puis reconquises par Japonais et Américains comme CORREGIDOR, les CELEBES, TIMOR, GUADALCANAR (que certains journalistes écrivaient « Guadalcanar »). Les opérations en BIRMANIE mettaient en vedette RANGOON la capitale et MANDALAY autre grande ville (à relier, bien sûr, avec le film d'après guerre : « le pont de la rivière Kwaï »).

En même temps, nous suivions les opérations en CYRENAÏQUE. La ville de TOBROUK a été souvent citée.

Puis ce fut le débarquement des alliés en ALGERIE, MAROC, TUNISIE. Ce qui fit dire à mon père « c'est le commencement de la fin ». Il ne devait pas voir cette fin, hélas, décédé en août 1943 à l'âge de 54 ans, emporté par un cancer.

Beaucoup de choses ne parvenaient pas jusqu'à nous. À part quelques rares faits qui nous étaient rapportés par des visiteurs qui avaient un récepteur radio et pouvaient écouter LONDRES (« Les Français parlent aux Français ») nous n'avions pas d'autre sources d'information que le « Petit Dauphinois » qui était soumis à la censure comme tous les médias. C'est ainsi que l'existence des camps d'extermination ne m'a été révélée que très peu de temps avant la libération, par mon cousin Roger SAMUEL, élève de Benjamin MALOSSANE beaucoup mieux informé et « affûté » que moi.

LE COL DU PÉRIL.

Dans mon quartier dit « des SAUCES », qui occupe la partie nord-est du territoire de la commune de LÉONCEL laquelle est située au sud-ouest du massif géographique du VERCORS, le col du Péril, ainsi dénommé sur les cartes, s'appelle pour nous « Le COLLET ». Un hameau y avait compté, parait-il, jusqu'à sept habitants. Les deux derniers ont abandonné les lieux dans les années trente. Toutes les maisons sont maintenant des ruines très avancées.

Nous avons eu la visite chez moi à LA CHARGE du premier groupe de maquisards vu dans la région. Ce devait être en 1942. Ces maquisards s'étaient installés au COLLET et chevauchaient des mulets qu'ils avaient, disaient-ils, réquisitionnés chez un paysan de la plaine de l'Isère décrit comme non coopérant.

Nous ne les avons vus que ce jour là et j'ignore combien de temps ils ont logé au COLLET, ce qu'ils ont fait et ce qu'ils sont devenus.

LA « RELÈVE ».

Je me souviens de la propagande faite pour le dispositif du « service du travail obligatoire » (le S.T.O.) baptisé aussi « la relève » qui était destiné à procurer de la main-d'œuvre à l'Allemagne. Il s'agissait de recruter des travailleurs sous promesse du retour d'un nombre équivalent de prisonniers de guerre.

Mes deux frères plus âgés, ELOI et GASTON étaient dans la tranche d'âge des requis, nés l'un en 1921 l'autre en 1922.

Pour échapper au recrutement ils avaient construit une cabane vers la crête boisée peu accessible qui domine le village de BOUVANTE LE HAUT.

Je pense que la menace ne s'est pas précisée puisque l'emménagement dans cette cabane dans les bois n'a pas eu lieu.

C'est vers cette époque que s'est développé le camp d'AMBEL où les réfractaires au STO étaient supposés être des bûcherons. Ils coupaient effectivement du bois qui était câblé jusqu'à BOUVANTE-le-HAUT. Je me souviens d'avoir regardé avec envie les charges de grumes qui descendaient doucement le long de ce câble, tenté par le voyage par-dessus le « Saut-de-la-truite».

Pour amener le bois coupé jusqu'au départ du câble, autrement dit, pour le « déceper » (débarder), comme nous paysans et exploitants forestiers, les maquisards/bûcherons utilisaient la traction animale. Évidemment, les tracteurs étaient rares et le carburant avait disparu.

Mon père avait acheté une vache au responsable du camp. Nous l'avions liée sous le joug avec une autre. Je vois encore, dès le signal, le démarrage fulgurant de la vache attelée, d'où on pouvait facilement comprendre qu'elle était habituée à recevoir des coups d'aiguillon systématiques dans les cuisses dès l'ordre reçu de tirer.

L'INVESTISSEMENT PACIFIQUE DE LA MONTAGNE.

Peu après la fin de l'année 1940, un certain peuplement de civils s'est produit autour de nous. C'était l'installation de familles citadines privées de ressources en ville. Cette population, en nombre toutefois très limité, occupait les maisons abandonnées encore hors d'eau et vivaient généralement de l'exploitation forestière. Le bois de chauffage était en effet très demandé en l'absence de combustibles fossiles. Le bois était nécessaire aussi pour faire du gazo-bois, de petits cubes de bois qui remplaçaient l'essence ou le gas-oil pour les camions désormais équipés de chaudières (à l'avant droit si j'ai bonne mémoire).

Anecdote : J'ai fait du « gazo » pendant l'hiver 1945 chez Ferdinand BEGUIN épicier et marchand de bois à SAINT-JEAN-en-ROYANS. Ce qui m'a donné l'occasion d'assister à la naissance de la sécurité sociale à la suite d'un coup de hachette qui m'avait retiré un petit morceau de doigt. La préposée locale m'avait seulement demandé si mon employeur payait les cotisations. Sur ma réponse plutôt affirmative (en fait je ne savais pas), elle avait ouvert un tiroir et retiré les billets nécessaires qu'elle m'avait remis sans autre forme de procès. ...

Par suite de ce peuplement par des familles extérieures à la région mes deux frères aînés avaient été embauchés à l'ancienne ferme de l'Echaillon par un résident inconnu venu de la ville (qui passait ses soirées à écrire disaient mes frères). A la fin du chantier mes frères eurent la mauvaise surprise de s'entendre dire que le coût de la nourriture qu'ils avaient consommée équivalait à peu près à ce qui leur était dû pour le bûcheronnage.

L'intensification de l'activité dans notre montagne provenait aussi des visites de citadins dans les fermes familiales, encore nombreuses à l'époque, à la recherche de quelque nourriture à acheter. Les rations alimentaires allouées étaient en effet très inférieures aux besoins, de sorte qu'un état proche de la famine touchait beaucoup de familles et pas seulement en ville. Je me souviens de mon père rapportant à ma mère les paroles recueillies auprès d'un vieux couple de BOUVANTE-le-HAUT du nom de BAFFERT : « avins dè triffas mais lâs mindzan sans rin, coummè lous cayous». Mon père avait insisté auprès de ma mère : «faut lous portâ coquarin, un pô d'huilè ...».

C'était aussi l'occasion de resserrer les liens familiaux entre ceux qui habitaient en ville et ceux qui étaient restés dans les fermes.

Les jeunes locaux dont je faisais partie étaient encore assez nombreux à cette époque. Nous nous rencontrions souvent en diverses occasions, notamment pour fêter les conscrits. Les filles qui atteignaient dix neuf et vingt ans dans l'année recevaient les garçons du même âge (et les autres) pour une soirée où on dansait. Au dire des anciens, on chantait, par contre, beaucoup moins qu'eux-mêmes dans leur jeunesse qui chantaient en toutes occasions. Cependant, on chantait chaque année le « mois de mai » pendant la nuit du 30 avril au 1er mai. Avec les œufs récoltés on confectionnait des bugnes. C'était une occasion supplémentaire pour faire une soirée de fête. Lors de chacune de ces fêtes on dansait au son d'un phono.

Avant nous, les anciens, eux, n'avaient pas de phono ni d'instrument de musique, exceptionnellement un accordéon. Pour remplacer l'un ou l'autre ils chantaient. Deux ou trois des participants s'attribuaient la tache en réponse à la question : « tié què toutso ? » (qui est-ce qui « touche »). Il n'y a pas d'analogie apparente entre « toucher » et chanter pour danser, mais c'était, paraît-il, le mot utilisé.

A partir de 1943 des maquisards se joignaient parfois à nous, ainsi que des bûcherons Italiens.

Cette période avait un côté western assez plaisant.

Malheureusement, l'ambiance changea brusquement quand, la concentration de groupes de maquisards devenant de plus en plus visible commencèrent les incursions punitives sanglantes de troupes allemandes. L'une des premières attaques fut celle du camp de MALLEVAL (qu'avait fréquenté l'abbé PIERRE).

Dans notre quartier des SAUSSES quelque peu excentré comme je l'ai dit ci-dessus, aucun groupe de maquisards ne se trouvait stationné à demeure. Le camp d'AMBEL n'a été attaqué, par des miliciens, qu'au printemps 1944. Bien qu'assez proche, Ambel ne fait d'ailleurs pas partie du quartier des SAUSSES. Nous n'avons donc pas vu de troupe allemande ni connu d'actes de guerre jusqu'à l'année 1944. Mais nous étions prévenus de mieux en mieux de ce qui se passait ailleurs, l'information locale circulant plus librement d'année en année

LA RÉPUBLIQUE ÉPHÉMÈRE DU VERCORS ET LE DRAME.

Vint le printemps 1944 et le bouclage du massif dans l'attente du débarquement allié. Un flot de recrues venant de la plaine vint grossir les unités constituées qui recevaient en même temps la quasi totalité des jeunes locaux, tous volontaires. L'ordre de mobilisation qui suivit, à l'adresse des jeunes habitants du massif, eu peu d'effets pour la raison simple que la mobilisation s'était déjà effectuée spontanément.

Jusque là les groupes de maquisards étaient presque tous cantonnés dans la partie nord-est du massif proche de GRENOBLE, mais plusieurs unités furent postées au début de l'année 1944 sur la bordure ouest du massif, comme à SAINT-JEAN-en-ROYANS, LÉONCEL, PLAN-de-BAIX. J'ai assisté à l'installation d'une compagnie à la villa « Bérangeon » de LÉONCEL où l'officier indiquait à l'une des filles de Jules BARRAQUAND qui y était en résidence d'été, les ustensiles et matériels qu'il réquisitionnait pour les besoins de la troupe.

Mes deux frères aînés furent incorporés à ce groupe. Ils prenaient un tour de garde au moulin de LÉONCEL qui n'était pas encore en ruine.

Je revois le cuisinier faisant roussir des oignons pour ajouter aux haricots, et aussi les fusils posés au sol en plusieurs endroits, ce qui avait choqué un ancien à qui j'ai entendu dire : « on n'aurait pas fait ça de notre temps ».

Aux mois de mai et juin les événements se sont précipités avec les parachutages de matériel par l'aviation américaine aussitôt suivis, à partir de la fin du mois de juin, du survol par les avions allemands qui ont lâché quelques bombes et des shrapnells et mitraillé au hasard faisant un certain nombre de victimes.

Nous faisions les fenaisons malgré le danger. Le 14 juillet nous avions recouvert avec du foin les vaches attelées à la charrette pour rendre l'attelage invisible du ciel. Quant à nous, nous allions nous cacher dans le bois proche dès qu'un bruit de moteur annonçait le passage d'un avion allemand. Je me vois encore tourner autour du tronc d'un gros arbre pour être à l'opposé de l'avion qui mitraillait, sans que nous sachions sur quelle cible d'ailleurs.

Ce n'était que le prélude. Nous avons ensuite appris que l'attaque au sol était en cours sur le côté est du massif et que des planeurs avaient été lâchés sur VASSIEUX. Puis plus rien ou presque. A partir de cet instant nous n'avions plus eu que très peu d'informations pendant quelques jours, puis nous avons appris que les Allemands n'avaient pas été contenus et n'allaient pas tarder à achever l'invasion de tout le massif, y compris notre secteur.

C'est à ce moment et dans ce contexte que j'ai cru bon de prévenir mes deux frères aînés cantonnés à la villa Bérangeon de LÉONCEL qui, peut-être maintenus dans l'ignorance des événements, risquaient d'être surpris par l'arrivée des troupes allemandes, d'être piégés. Notre confiance, en effet, concernant le degré d'expérience et de compétence de certains chefs maquisards faisant office d'officiers n'était pas sans limites...

Je me suis donc rendu au village de LÉONCEL sur le vélo prêté par mon voisin Paul BODIN et j'ai prévenu mes frères d'être sur leurs gardes.

Lorsque j'ai voulu repartir j'ai constaté la disparition du vélo. Renseignements pris, j'ai su qu'un maquisard l'avait « emprunté » pour aller à PLAN de BAIX rejoindre un autre groupe de maquisards qui y était cantonné. Je suis donc allé à PLAN de BAIX, je ne sais plus par quel moyen. Mais voilà que je me suis promptement retrouvé enfermé au sous-sol du petit château où le groupe local s'était installé, ceci sans aucune explication.

Avec moi était prisonnier un maquisard qui me dit être en attente d'exécution pour avoir volé des pièces d'or au cours d'une perquisition. Il ne m'a apparemment pas cru quand, répondant à sa question je lui ai dit que je ne savais pas pourquoi j'étais là.

Au lendemain matin d'une nuit où j'avais passablement grelotté un maquisard est venu me chercher. Passant près d'un bol de café au lait je lui ai demandé naïvement : « c'est pour moi ? » Non, ce n'était pas pour moi. Le parcours s'est terminé devant un chef qui m'a donné la clé du mystère : j'ai été arrêté pour avoir « tenté de décourager les troupes avec mes mauvaises nouvelles ». Le chef m'a signalé qu'il pouvait très facilement me transformer en passoire, comme il l'avait fait avec tous ceux qu'il avait déjà « allongés » !

Je crois bien que je suis resté imperméable à la menace, drapé dans mon innocence naturelle et congénitale. Après m'avoir toisé et remis à ma place le présumé soudard m'a autorisé à déguerpir.

Je suis rentré à pieds. M'arrêtant chez mon voisin Paul BODIN pour lui annoncer la mauvaise nouvelle du vélo disparu à jamais j'ai été très gentiment réconforté, un verre de gnôle à l'appui. Je me souviens encore de l'effet produit par le liquide sur un estomac vide depuis presque vingt quatre heures...

Les mauvaises nouvelles que j'avais rapportées à mes frères étaient évidemment fondées. L'ordre de dispersion de tous les groupes de maquisards du Vercors a été donné dans les quelques jours suivants.

Je ne saurais donner la chronologie exacte des événements. Il faut se reporter pour cela aux nombreux ouvrages historiques écrits sur le sujet.

Ce dont je me souviens c'est qu'un groupe s'est réfugié dans la forêt domaniale de Comblézine tout près de chez moi, sans aucun ravitaillement ni eau. Ma sœur a fait le tour des fermes pour leur rapporter quelque nourriture. Par malchance le temps s'est mis à la pluie et le groupe a quitté la forêt pour occuper notre « fenière » au risque d'être encerclés et massacrés si les troupes allemandes étaient arrivées à ce moment là.

A partir de ce moment, pour ne pas être surpris par les Allemands, tous les hommes de la région, maquisards ou non, en âge d'être exécutés avaient trouvé une « planque ».

Mes frères et moi étions dans la tranche d'âge la plus exposée. Nous nous sommes repliés sur une « baume » des gorges de la Lyonne découverte précédemment par mes frères et aménagée par eux, beaucoup plus « habitable » que la cabane construite au moment du STO.

Nous n'étions pas en permanence sous cette « baume ». Personnellement je continuais à assurer ma fonction principale de berger. C'est ainsi que le soir du 1eraoût , sortant du bois au-dessus de la maison en poussant ma quinzaine de bœufs et vaches, et mes cinq ou six chèvres, j'ai vu une profusion de feux de camp autour de la maison et le grouillement des soldats Allemands.

Ils étaient arrivés.

Je suis retourné prestement dans le bois après avoir mis en route le troupeau vers la maison (encore occupée par ma mère et ma sœur) et j'ai entrepris de rejoindre la « baume » sans quitter le couvert.

En cours de route j'ai entendu deux rafales d'armes à feu que je situais à peu de distance. J'ai immédiatement cru que ce tir était destiné à mes deux frères aînés qui étaient dans la nature. C'est ainsi que j'ai éprouvé la sensation des jambes qui se dérobent. Je peux affirmer que les jambes tremblent réellement.

À la « baume », mes frères aînés n'y étaient pas... mais sont arrivés peu après. Par contre mon frère Albert qui aurait dû y être n'y était pas, et n'est pas arrivé.

Le lendemain la colonne allemande est partie.... et mon frère Albert est arrivé ! Il avait passé la nuit sous un matelas dans la seule pièce que les Allemands n'ont pas occupée, la porte d'entrée étant invisible la nuit sur un palier non éclairé.

Albert avait été pris au piège dans la maison où il était venu chercher quelque chose. Les soldats allemands étaient arrivés à ce moment là. Les voyant ramper côté nord il s'était précipité vers la fenêtre sud pour s'échapper, mais la maison était encerclée. De l'autre côté aussi, des soldats rampaient.

Que faire ? Il s'était glissé sous le matelas du lit de la chambre en rez-de-chaussée, sans savoir qu'il devrait sa vie à l'obscurité du palier.

Le lendemain matin, dans le pré de GAMPALOUX, à peu près à trois cents mètres de la maison de la Charge gisaient trois cadavres.

L'un était à une trentaine de mètres plus bas que les autres, dans la pente. L'explication est certainement une tentative de fuite. Ce qui justifie aussi les deux rafales successives entendues.

Les hommes âgés du quartier ont entrepris de creuser des tombes dans le pré où s'était produit le drame. Des cercueils ont été faits par Élie BODIN, du SERRE DU MORTIER, avec les moyens du bord. Cependant les familles sont venues chercher les corps avant la mise en terre. L'un des parent avait utilisé une charrette chargée de fagots pour dissimuler le cercueil. Le gros des troupes allemandes était passé mais des patrouilles étaient encore à craindre. Personnellement j'en ai vu une, à une dizaine de mètres, et entendu une autre, alors que j'étais caché hors du chemin.

C'est à ce moment que quelqu'un, je ne sais plus qui, nous a apporté une photo d'un autre cadavre découvert à la VACHERIE sur le chemin du lieu dit « Mayousse». Il portait sur lui un carnet annoté de l'inscription « chez tante à la Charge ». C'était mon cousin Roger SAMUEL fils unique d'un frère de mon père.

Ma mère est partie à pieds pour aller prévenir ses parents qui habitaient à SAINTE-EULALIE. En cours de route, à BOUVANTE-le-BAS elle a rencontré le père de ROGER, Fernand SAMUEL, qui partait à la recherche de son fils. Elle n'a jamais relaté les conditions de la rencontre. Ces choses inhumaines ne peuvent se dire.

J'ai eu, il y a une dizaine d'années des précisions supplémentaires sur le périple fait par ROGER car j'ai rencontré l'un des deux membres de son unité qui avaient fait une partie de la route avec lui.

Le groupe dont il faisait partie, soit cent cinquante hommes environ sous les ordres du commandant GEORGES, avait été engagé contre les Allemands qui occupaient le Pas des Chattons, près du Grand Veymont. Mais il était déjà trop tard. Après une journée de tirs à la mitrailleuse de part et d'autre l'ordre de se replier avait été donné et aussitôt après, l'ordre de dispersion. Chacun étant laissé libre soit de rester avec le groupe qui avait décidé de gagner le département des Hautes-Alpes, soit de rentrer chez lui.

Ceux qui, peu nombreux, originaires de la vallée de l'Isère ou du Royans prirent à ce moment là le risque de traverser immédiatement d'est en ouest le plateau en grande partie occupée par les troupes allemandes réussirent à passer. Ceux qui ne prirent pas ce risque continuèrent à marcher en direction du sud, trempés par la pluie, tenaillés par la faim, la soif et grelottant dans leurs habits mouillés, pendant les nuits très fraîches à cette altitude.

Le 29 juillet, en vue du cirque d'Archiane, le groupe s'était disloqué. Il était temps, pour ceux qui résidaient du côté de la basse vallée de l'Isère et qui voulaient rentrer chez eux, de bifurquer vers l'ouest. Le reste du groupe, parmi lequel se trouvait un contingent de soldats Sénégalais, continuait sa marche vers le col de la Croix Haute et le département des Hautes-Alpes, but fixé par les officiers.

Parmi ceux qui avaient bifurqué, huit maquisards, tous issus de la section du lieutenant LACOMBE et tous originaires du Royans, avaient décidé du même itinéraire, soit, traverser l'éperon du Glandasse, suivre ROMEYER, CHAMALOC, MARIGNAC, SAINT-JULIEN-en-QUINT, la Tête de la DAME, AMBEL. Ils avaient formé deux groupes, l'un de trois personnes :

- Roger SAMUEL de SAINTE-EULALIE, « Lulu » de SAINT-HILAIRE-du-ROSIER et un troisième dont j'ignore le nom, l'autre de cinq :

- Gabriel FRANCOIS, Raymond DISCOURS, Auguste ROBERT, Georges BRUN et Charles COLOMBIER, tous les cinq originaires de BOUVANTE-le-HAUT.

Le parcours a été périlleux pour tous. De nombreuses patrouilles allemandes fouillaient en effet les piémonts.

Roger SAMUEL avait pris les devants, hélas, laissant ses deux compagnons derrière lui. On trouve sa trace au hameau des PLANEAUX où un habitant l'avait ravitaillé puis à ROMEYER grâce à son carnet de route où il avait noté la particularité locale des tombes privées édifiées près des maisons.

Après ROMEYER il avait vraisemblablement suivi la route prévue qui devait l'amener à SAINT-JULIEN-en-QUINT, puis sur le plateau d'Ambel par la TÊTE- de-la-Dame, point situé sur le rebord sud de ce plateau d'AMBEL. Logiquement ensuite il devait rejoindre le col de la BATAILLE et traverser la forêt domaniale de COMBLEZINE en bordure nord de laquelle se trouve le hameau de LA CHARGE, but de son périple.

Le plus probable est qu'il a rencontré dans cette forêt de COMBLEZINE une patrouille de soldats allemands détachée de la colonne qui avait bivouaqué chez moi à LA CHARGE. A moins qu'il n'aie été pris quelque part sur le plateau d'AMBEL, peut-être même dès la TÊTE de la DAME, point encore occupé le 31 juillet par un groupe allemand qui mitraillait le village de SAINT-JULIEN-en-QUINT. Un autre groupe de' soldats allemands occupait le Pas du GOUILLAT situé sur sa route vers le col de la BATAILLE. A cet endroit les Allemands mitraillaient le village d'OMBLÊZE (quelques jours plus tard j'ai vu les douilles, assez nombreuses pour former un tas).

Ce premier août était le jour le plus dangereux. Les troupes allemandes occupaient tout le secteur et convergeaient vers la VACHERIE.

Les deux camarades de Roger SAMUEL ont choisi de rester deux jours de plus dans la vallée de la Drôme. Ils sont arrivés à la TÊTE-de-la-DAME le trois août, un jour après le groupe des Bouvantiens. Là, ils se sont trompés de direction de sorte qu'au lieu d'arriver au col de la BATAILLE ils se sont retrouvés au TUBANET. Cette erreur leur a peut-être sauvé la vie car au TUBANET ils se trouvaient dans la partie déjà parcourue par les troupes allemandes en route pour LEONCEL/La VACHERIE.

Quant aux cinq Bouvantiens, malgré les terribles risques encourus et quelques mauvaises rencontres esquivées de justesse, ils sont tous arrivés à bon port chez eux, après des péripéties supplémentaires toutefois.

La colonne allemande en effet n'avait pas encore quitté BOUVANTE le matin du 2 août à leur arrivée. Ils ont été prévenus à temps par la sœur d'Auguste ROBERT rencontrée à deux cents mètres du village, ont passé une autre nuit dans les bois et assisté, cachés sous une « baume » près du barrage, au passage de la colonne allemande qui avait bifurqué vers VALFANJOUSE après avoir stationné face à la ferme du FAU, revenant de la VACHERIE, et qui avait emprunté le sentier des gorges de la Lyonne. Après avoir traversé le barrage cette colonne a poursuivi sa route par le chemin dit « des Ranches » et regagné LENTE avec la branche passée par ORIOL et SAINT-JEAN et peut-être d'autres encore.

Toutes devaient disparaître définitivement après le 7 août après avoir encore tué et incendié au nord de LENTE.

APRÈS LE PASSAGE DU GROS DES TROUPES ALLEMANDES.

Notre séjour sous la « baume » ne s'est pas terminé au lendemain du passage de la colonne principale meurtrière. Des patrouilles fouillaient encore la montagne ou assuraient des liaisons. Le danger était encore partout.

Au début nous étions cinq : mes trois frères et moi et l'instituteur du quartier nommé JEOFFREY.

La « baume » est située dans un endroit particulièrement sauvage et totalement hors des sentiers ou pistes de toutes natures. Cependant, par un hasard extraordinaire un déserteur de l'armée fasciste italienne et un maquisard belge en fuite y étaient arrivés ensemble, accueillis par les aboiements de mon chien. Heureusement, bien qu'obnubilés par le danger allemand, nous n'avions pas été saisis de panique, rafale instinctive de mitraillette à la clé, comme cela aurait pu arriver très facilement dans ces conditions.

Nous étions donc, à compter de cet épisode, sept personnes à table. Nous sommes venus à la maison pour tuer un mouton, L'instituteur placé en sentinelle une centaine de mètres plus bas sur le chemin de BOUVANTE et moi en amont vers le village de LÉONCEL. Et c'est précisément à ce moment là qu'une petite colonne de soldats allemands montée sur des mulets est passée, venant de BOUVANTE. Je l'ai vue avant l'instituteur et j'ai prévenu à temps mes frères occupés à dépouiller le mouton dans le garage. Par contre, l'instituteur-sentinelle sans doute mal placé ne les a vus qu'au dernier moment. Replié précipitamment il est arrivé en courant dans la cour de la maison. Je le vois encore, affolé, esquissant dans plusieurs directions des démarrages désordonnés. Il s'est éclipsé de justesse avant l'arrivée de la troupe.

Les soldats allemands ont demandé des œufs à ma mère, qui a répondu qu'elle n'en avait pas. Ils ont continué leur route vers LÉONCEL sans exactions. Caché dans un fourré près du sentier je les ai vu passer.

À ce moment-là et encore après, je pensais que, compte tenu du relief propice de notre secteur, les colonnes allemandes, même celle forte d'environ cinq cents soldats qui avait bivouaqué chez moi et à Gampaloux pouvaient être attaquées et anéanties. Plus tard et maintenant, et malgré la légitimité de la haine que pouvaient provoquer les atrocités perpétrées par la troupe allemande, je suis bien heureux que l'on n'ait pas ajouté du malheur au malheur, les principales victimes fussent-ils des Allemands.

Au bout de quelques jours, les troupes allemandes ont définitivement quitté notre quartier et nous avons pu regagner nos maisons. C'est alors que nous avons appris, en partie, ce qui s'était passé ailleurs que chez nous, sur le reste du massif, les atrocités, les exécutions, les incendies.

Quelques jours encore et nous avons pu aller, à pieds, assister à la première cérémonie/prise d'armes à VASSIEUX. . « Pauvres gens ! » ce fut notre exclamation en découvrant, du haut de la falaise, les ruines du village.

APRÈS LE DÉPART DES TROUPES ALLEMANDES : LA DEUXIÈME PHASE.

Les unités de maquisards qui ne s'étaient pas complètement disloquées sont sorties des bois et se sont reconstituées. Mes deux frères aînés se sont joints à la compagnie SABATIER, cinquième compagnie des F.F.I. de la Drôme, celle qui avait échoué dans la forêt près de chez moi.

Sans doute obéissant à des ordres, cette compagnie s'est alors déplacée vers le rebord ouest du plateau, au-dessus de la basse vallée de l'Isère.

Quelques jours après, un ouvrier agricole de l'endroit, Henri BODIN, s'est présenté avec une lettre du lieutenant SABATIER nous annonçant la mort de mon frère GASTON, tué dans l'attaque de la gare d'ALIXAN.

Il avait mis en pratique ses propres paroles dites quelques jours avant, par lesquelles il avait précisé qu'en cas de mort du tireur au fusil-mitrailleur il fallait prendre sa place. Il l'avait fait sans hésiter.

L'attaque n'avait pas forcément été bien préparée. Éloi reprochait notamment à l'instituteur GEOFFREY faisant fonction de sous-officier, de ne savoir que répéter : « en-avant, en-avant ! ».

Il a froidement condamné la conduite de l'opération :

- « du travail comme ça, j'en veux pas. Je rentre chez moi. Et c'est pas la peine de venir me chercher parce que je viendrai pas ».

C'est la déclaration qu'il avait faite au lieutenant SABATIER et qu'il nous a rapportée.

Personne n'est venu le chercher.

ÉPILOGUE.

Chacun des habitants et des maquisards de tout le massif a vécu ces événements de façon particulière. Chacun peut raconter son histoire. Mais la discrétion que je citais au début de ce texte a fait que ces vécus sont restés très peu connus. Ils est, de ce fait, difficile de les relier les uns aux autres pour restituer de façon plus exacte et plus exhaustive, non pas l'Histoire telle qu'elle est dite dans les documents officiels habituellement recueillis par les historiens, mais les émotions et douleurs ressenties par les habitants et les maquisards/soldats.

DE BOUVANTE A LA VACHERIE.

Grâce aux témoignages de Marie-Louise ROBERT-BRUN et Maurice FAURE de BOUVANTE-le-HAUT et celui de Simone VASSAL-CAVALLIN de LÉONCEL j'ai pu reconstituer récemment le parcours exact des colonnes allemandes qui ont traversé notre secteur en semant la mort et brûlant le village de la VACHERIE. Par miracle le hameau de la CHARGE et la ferme de GAMPALOUX ont échappé à l'incendie.

Miracle parce qu'à la CHARGE c'est par un hasard extraordinaire si aucun des nombreux soldats allemands qui ont circulé toute la soirée et toute la nuit dans tout le reste de la maison n'ont pas vu la porte de la chambre où mon frère Albert était caché sous le matelas du lit. Découvert il aurait été abattu et la maison brûlée.

Il avait eu la tentation d'entrer dans le manteau de la cheminée désaffectée (bouchée par un sac de paille) qui se trouvait dans la chambre, mais il craignait d'y griller si les Allemands incendiaient la maison. Il s'est donc résolu à rester sous le matelas, conscient cependant du peu de chances qu'il avait d'en réchapper.

À la ferme de GAMPALOUX à dix minutes de marche plus haut, la troupe allemande a dormi dans la « fenière » sur les fusils des maquisards cachés in-extremis dans le foin par le fermier (Sylvain CHABERT) qui avait heureusement vu arriver les Allemands d'assez loin.

Une seule colonne est partie de LENTE pour déboucher le 1er août sur le cirque de BOUVANTE-le-HAUT par le col de Pionnier, ainsi que l'explique Jean REYNAUD qui décrit le passage du petit tunnel de Pionnier alors que son père et quatre autres habitants de LENTE étaient otages, guides et éventuellement démineurs. Démineurs puisque obligés de précéder la troupe avec une vache en laisse pour exploser le cas échéant et sécuriser ainsi pour les Allemands la route possiblement minée.

Crainte justifiée d'ailleurs, puisque un char allemand avait sauté les jours précédents sur une mine à la sortie de ce même tunnel côté BOUVANTE.

Du col de PIONNIER la colonne est descendue jusqu'au col de la CROIX où les Allemands ont pris le maquisard André ROGER (19 ans) et deux frères, bûcherons Italiens, Joseph et Bruno CALVI, ces derniers pourtant munis de papiers réguliers.

À cet endroit la colonne s'est divisée en deux, l'une rejoignant le village de BOUVANTE-le-HAUT par la route en emmenant les cinq otages et les trois prisonniers capturés, l'autre prenant le chemin dit « des RANCHES» qui mène au barrage, puis le sentier escarpé qui rejoint par le versant opposé le chemin de BOUVANTE à LÉONCEL. Ceci après avoir obligé le gardien du barrage, Marius FAURE, à leur servir de guide du col de la CROIX où il fanait (ou moissonnait) jusqu'à la ruine de SERVES située au début du territoire de la commune de LÉONCEL où il a été relâché.

A la hauteur du barrage trois jeunes gens occupés à faire les foins furent emmenés. Ces jeunes avaient été prévenus par Maurice FAURE le fils de MARIUS, de l'arrivée de la colonne allemande, mais ils ne s'étaient pas rendu compte du danger et ne s'étaient pas cachés. Ce sont ces trois jeunes, Jean GAUTIER, Marcel ALBERT-BRUNET et Albert GIRAUD de SAINT-JEAN-en-ROYANS qui ont été exécutés le soir même à la CHARGE dans le pré de GAMPALOUX.

L'autre colonne étant arrivée au village de BOUVANTE-le-HAUT, les Allemands ont enfermé les prisonniers, dont les mains étaient attachées avec du fil de fer, et les otages, dans une grange du hameau de Logue appartenant à mon oncle Émile PINAT. Madame ROBERT, la mère de Marie-Louise BRUN-ROBERT leur a apporté à manger.

En soirée une sentinelle est entrée et a dit : « demain tous kapout ».

La nuit a évidemment été horrible. Elle est bien décrite par Jean REYNAUD.

Au matin la porte s'est ouverte et refermée pour la sortie du premier des trois prisonniers et pour une première balle dans la tête. Puis même chose pour un deuxième prisonnier, puis pour le troisième, puis... plus rien.

Un peu plus tard la porte s'est ré-ouverte pour laisser entrer... Madame ROBERT avec un petit déjeuner pour cinq, les cinq otages...

Après les exécutions de BOUVANTE cette colonne est partie vers LÉONCEL emmenant beaucoup d'animaux raflés dans les fermes, dont les chevaux de trait d'Alphonse THOMAS le débardeur de BOUVANTE. La vache démineuse étant toujours présente, emmenée par le père de Jean REYNAUD et par les quatre autres otages, gardes forestiers à LENTE.

D'APRES LE TEMOIGNAGE DE Simone CAVALLIN-VASSAL :

Après avoir suivi le chemin piétonnier conduisant de BOUVANTE à LEONCEL jusqu'à SERVES, cette colonne a bifurqué après la ruine de SERVES en empruntant un chemin d'exploitation qui rejoignait au SERRE du MORTIER la route goudronnée départementale qui va de la CHARGE à LÉONCEL, court-circuitant ainsi le hameau de la CHARGE. Ce qui s'est passé à la ferme BODIN du SERRE du MOTIER n'a pas été transmis aux petits-enfants BODIN qui supposent que la troupe ne s'y est pas arrêtée.

Par contre, à la ferme suivante du FAU chez Julien et Élise VASSAL les soldats ont dévoré tout ce qui pouvait être mangé, notamment une grande corbeille d’œufs, et bu un baquet de petit lait destiné aux cochons, malgré les nombreuses mouches noyées qui flottaient à la surface.

Ils étaient manifestement épuisés et affamés.

À LÉONCEL Jean REYNAUD nous signale que des soldats ont obligé les otages à arracher des pommes de terre dans les champs. Mais il était trop tôt en saison, les pommes de terre n'étaient pas suffisamment formés pour être consommées.

Selon toute évidence, l'intendance ne suivait pas...

Le surlendemain cette troupe est réapparue dans notre quartier revenant sur ses pas. Elle a stationné plusieurs heures sur le coteau face au FAU près de la maison abandonnée des RAMAS. Les enfants VASSAL ont comptés environ quatre cents soldats. Lorsqu'un motocycliste est arrivé tous sont partis vers ORIOL et SAINT-JEAN-en-ROYANS par la route de FOGES, sauf une partie qui s'est détachée passant par VALFANJOUSE.

A ORIOL les cinq otages de LENTE ont été libérés pendant que la patrouille de VALFANJOUSE rejoignait le barrage de BOUVANTE par les gorges de la Lyonne et remontait vers le col de la Croix par le chemin des Ranches pour réapparaître à LENTE, comme je l'ai dit plus haut.

Le 15 août c'était le débarquement sur la côte méditerranéenne. Nous avons été prévenus par une toile blanche tendue de l'autre côté des gorges de la Lyonne comme il avait été convenu avec la famille CLUZE qui habitait de l'autre côté des gorges et était pourvue d'un récepteur radio.

Le débarquement méditerranéen allait provoquer le reflux des troupes allemandes vers le nord. Les groupes de maquisards stationnés de part et d'autre du canal rhodanien furent chargés de les harceler. C'est ainsi qu'une section de la compagnie SABATIER avait attaqué la gare d'ALIXAN, opération où mes deux frères aînés étaient engagés et où mon frère Gaston est mort, ainsi que trois autres maquisards.

DEVOIR DE MEMOIRE. Oui, mais PLUS ENCORE..

Nous ne devons pas manquer au devoir de mémoire.

Mais à l'évidence nous avons un autre devoir, de portée universelle :

- c'est celui d'essayer de comprendre par quels enchaînements, par l'intervention et la folie de qui, par quels dévoiements, il devient légitime de donner l'ordre à des hommes de tuer d'autres hommes, par ailleurs inconnus.

Oui, nous devons faire notre la lutte contre cette ignominie.

Mais la violence n'est pas que militaire et internationale. Il faut sans doute relier celle-ci à une violence culturelle latente, qui existe partout : dans la société civile, dans la cité, les institutions, la famille.

Or nous savons que la violence engendre la violence. Ceci nous donne à penser que les violences, qu'elles soient militaires ou civiles, ont une seule et même cause principale, située, bien sûr, en amont.

Nous le savons aussi, tous les adultes violents/maltraitants ont été des enfants maltraités (cependant, tous les enfants maltraités ne deviennent pas des adultes maltraitants). C'est le cas des tyrans et dictateurs sanguinaires qui tous ont été lourdement maltraités dans leur enfance.

Ainsi, pour lutter contre le besoin de violence chez les adultes nous devons nous attaquer aux violences premières, celles que subissent les jeunes enfants dans une société qui est de moins en moins organisée en fonction de leurs besoins fondamentaux.

Nous devons élever toute une génération d'enfants heureux. Ces enfants devenus adultes élèveront à leur tour une deuxième génération d'enfants heureux qui...etc...etc...

A La Charge le 2 avril 2016

Raymond SAMUEL

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