(Une republication de cette tribune, avec quelques modification mineures ne modifiant pas le propos du texte, est disponible avec les organisations co-signataires : https://blogs.mediapart.fr/rec3pc/blog/010525/mon-soutien-psy-la-fausse-reponse-au-vrai-probleme-de-sante-mentale.
Ce billet reste en ligne pour archivage des échanges ayant eu place dans les commentaires)
`« Mon Soutien Psy », le fracassage systématique de la « santé mentale » des Français
Alors que le gouvernement présente le dispositif « Mon Soutien Psy » comme un outil miracle à la crise de l’accès au soin psychique en France, les faits sont têtus et les professionnels dépeignent une réalité toute autre.
Depuis 40 ans, les politiques des gouvernements successifs ont contribué à la dégradation des services publics. Celle-ci n’est plus à documenter. Les innombrables rapports, les alertes des acteurs du soin, la commission sénatoriale de 2022, ont permis d’objectiver que l’hôpital public a doucement mais sûrement perdu en efficience pour arriver à la criante situation actuelle de crise permanente.
Le résultat de cette dégradation progressive aboutit à une grave mise en danger de la population, doublée d’une
responsabilisation des usagers en souffrance psychique, au lieu de proposer des choix politiques forts pour inverser la
tendance. Alors même que la baisse des financements et des moyens humains alloués au secteur public s’accélère, des fonds d’urgence sont débloqués pour le « sauvetage » de cliniques privées. Le gouvernement opte pour une externalisation croissante des soins, au détriment des usagers les plus précaires, incapables de faire appel aux institutions.
Le secteur psychiatrique, tristement reconnu comme le parent pauvre de la médecine, a ouvert la voie à ce déshabillage du secteur public qui se généralise. Sous couvert de « désaliénation » des centres hospitaliers spécialisés, les gouvernements successifs ont contribué au démantèlement des capacités d’accueil inconditionnel, territorialisé et d’accompagnement spécifique de l’ensemble des usagers. Année après année, le nombre de lits d’hospitalisation a diminué, sans que le nombre d'offres de soin en ville augmente, et donc sans que l’on donne les moyens à l’ambition affichée du virage des soins vers la prise en charge ambulatoire. Ces pénuries, créées de toutes pièces ont mené à des résultats catastrophiques sur l’ensemble du territoire français.
- Les usagers et les soignants subissent les logiques de gestion continuelle de la pénurie et de l’urgence : les
établissements multiplient les plans blancs, les prises en charges « en mode dégradé », avec des temps d’attente
interminables aux urgences (psychiatriques ou générales, pour les enfants comme pour les adultes). Il faut
plusieurs mois de délai avant de pouvoir obtenir un premier rendez-vous en CMP, par exemple. - Nous constatons un taux croissant de suicides de soignants sur leur lieu de travail. Ils appellent à l’aide face à la
charge de travail, aux manques de moyens et aux injonctions institutionnelles inhumaines car avant tout
financières. - Des suicides de patients et des viols aux urgences psychiatriques surviennent du fait d’un manque criant de place et
de personnels. - Des usagers sont mis en danger, car en incapacité de recourir à des soins psychiques de base par manque de
structures d’accueil dans les zones rurales.. - Les patients, et le personnel malgré lui, subissent le recours croissant aux contentions, alors que les professionnels
se sont battus pour ne plus en user, les conséquences psychotraumatiques de la contention étant désastreuses. - Le matériel et les équipements de soin se font rares, la coupe des investissements en termes de maintenance des
locaux aboutit à des conditions d’accueil parfois indignes dans certains établissements.
À cette liste des catastrophes, ajoutons que les services d’urgence psychiatrique du service public doivent recevoir et
absorber les choix sélectifs opérés par certaines cliniques privées, qui trient les patients selon la nature de leur souffrance psychique, la complexité de leur pathologie, et la présence éventuelles de problématiques psychosociales, excluant ainsi un bon nombre de cas, et notamment les bénéficiaires de la CMU, par exemple. Cette logique de type « casting thérapeutique » a conduit à la mise en place de « bed managers » dans certains hôpitaux.
Le dispositif « Mon Soutien Psy » exhibé par le gouvernement est un véritable écran de fumée couvrant ces constats
dramatiques. Dispositif dont les mérites sont vantés dans des spots télévisés, première mention médiatique faite des
psychologues par les pouvoirs publics, merci ! Tout citoyen pourra bénéficier de 12 séances remboursées par la Sécurité
Sociale, sans même “d'adressage” médical. Miroir aux alouettes ! Le contrôle médical est dans l’essence même du dispositif et apparaît clairement, ne serait-ce que dans le renouvellement des séances l’année suivante.
Et les petites lignes du contrat sont omises dans les spots publicitaires, celles qui précisent les critères d’accès à ce dit
protocole de soin, critères réducteurs ne permettant pas en fait à l’ensemble des usagers de consulter un psychologue. Seules les personnes présentant une “petite anxiété” méritent en effet une consultation psychologique. Les usagers sont d’ailleurs réduits à une étiquette, et le ministère de la Santé comme son délégué à la santé mentale et à la psychiatrie défendent des protocoles « prêt à soigner » et low cost.
Le déploiement du dispositif prévoit une deuxième ligne pour certains troubles « graves », réservée à des psychologues qui auront dû se soumettre à des modalités de formation choisies par le ministère de la Santé, et qui devront exercer selon des protocoles définis par les autorités de santé par type de trouble. Comme si les psychologues n’étaient pas déjà expérimentés, comme s’ils ne s’occupaient pas déjà de toutes les formes de souffrance psychique, quelles que soient leurs modalités d’expression. Et comme si les psychologues relevaient du ministère de la Santé !
La psychologie est une science humaine et doit le rester. Elle n’a pas vocation à être inféodée à la médecine. Les psychologues ne seront jamais des auxiliaires médicaux. Ils ont une formation de haut niveau, avec un titre protégé, une liberté de pratique, une maîtrise de leurs méthodes, de leurs outils et du choix de ces outils. Ils ont un regard éthique sur les accompagnements et les soins qu’ils réalisent. Le projet annoncé par le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie est méprisant pour les usagers comme pour les psychologues. Il bafoue leur expertise et promeut une idéologie du « bien-être à tout prix ».
Pendant ce temps, les services publics continuent d’étouffer sous les coupes budgétaires. Des usagers continuent de mourir par manque de soins, par manque de possibilités de contact avec le système hospitalier. De plus en plus de soignants quittent la profession avant le burn out, voire le suicide. Ces 170 millions d’euros de deniers publics annuels consacrés, à l'origine, à « Mon soutien psy » auraient dû en priorité perfuser le système exsangue via le financement de postes de psychologues pour participer à la diminution des files d’attente honteuses en psychiatrie, pour donner aux universités, aux établissements scolaires, à l’ASE et autres, la possibilité de répondre aux besoins de soins psychologiques.
Sous couvert d’une « grande cause nationale », le gouvernement organise la mise au pas de dizaines de milliers de
psychologues en France. En externalisant les soins, il supprime le travail d’équipe et la prise en charge pluridisciplinaire nécessaire pour évaluer et accompagner les situations.
Au nom d’une grande cause nationale, le gouvernement ferme les yeux sur la souffrance de millions de Français.
Au nom d’une grande cause nationale, le gouvernement ment éhontément sur ses motivations, vendant à qui voudrait bien l’entendre sa bonne volonté d’aider les citoyens en souffrance psychique.
Au nom d’une grande cause nationale, il réduit la complexité de l’accompagnement psychologique à une mise en œuvre de protocoles.
Aujourd’hui, au nom de cette grande cause nationale qui n’en porte que le nom, les choix du gouvernement ont pour effet de continuer à organiser la mort de la psychiatrie française de secteur que de nombreux pays nous ont pourtant enviée : son expertise, son savoir-faire, son sens de la singularité. Ces choix ont par ailleurs pour effet d’instrumentaliser la profession de psychologue dans une vision utilitariste, en paramédicalisant les psychologues et en appauvrissant leur formation, comme leur pratique. Et en faisant cela, au nez et à la barbe de la majorité de la profession, ne sollicitant que ses fidèles dévoués.
Nous, psychologues, étudiant.e.s en psychologie, enseignant.e.s-chercheur.e.s en psychologie, psychiatres, professionnel.le.s dans le champ du soin psychique et dans le champ du travail social, usager.ère.s des services de soin et d’accompagnement, citoyen.ne.s attachés à un service public de qualité, n’acceptons pas les projets du délégué ministériel à la santé et à la psychiatrie, du ministère de la Santé et du gouvernement, et demandons que ce mouvement de protestation qui unit les organisations professionnelles et universitaires soit enfin entendu dans ses analyses et dans ses propositions.
Le réseau des enseignants-chercheurs de la spécialité psychologie clinique et psychopathologie