Un passage en force ! La grève du 19 mai dernier, à l’appel de 7 syndicats de l’enseignement qui représentent 80% de la corporation, a été suivie par la moitié des professeurs de collège. Les promesses de dialogue de Najat Vallaud Belkacem ont été démenties par la publication du texte de réforme au Journal officiel (1) le lendemain. Les mots ont-ils un sens, ceux en l’occurrence de la ministre de l’Education nationale, institution engagée depuis janvier dernier dans « une grande mobilisation pour les valeurs de la République » ? (2)
Ce passage en force s’inscrit dans un contexte bien connu de crise morale : montée de l’extrémisme droitier, lutte contre le djihadisme qui a parfois conduit à un durcissement du climat socio-politique (bavures policières ou dans l’Education nationale notamment)…. Comme « l’esprit du 11 janvier », l’esprit de la Refondation semble laisser la place aux vieux réflexes autoritaires et exclusifs.
Les arbitrages n’ont pas été suffisamment menés pour établir une synthèse répondant aux attentes des parties en présence, disciplinaire et pédagogique notamment. Y aurait-il des gagnants et des perdants à l’issue de cet épisode ?
Une impression de gâchis
L’avenir des publics scolaires est indissociable de la préservation du patrimoine culturel qui est celui de leur pays ainsi que des conditions institutionnelles et budgétaires de leur enseignement. En tout état de cause, le malaise sur cette réforme vient de son management: « on soupçonne l’Etat de déguiser des mesures comptables en réformes pédagogiques. La pédagogie devient l’alibi.L‘objectif est de rapporter des économies de budget. La réalité est que l’Etat ne veut plus payer ou ne peut plus payer le prix d’une véritable politique de l’éducation. »[3]
L’exemple le plus patent de cette confusion technocratico-pédagogique est celui de la suppression des options linguistiques, des classes bi-langues et européennes au lieu de leur généralisation (la suppression de ce qui marche, en l’occurrence). Voilà une drôle de manière de démocratiser le système éducatif et de préparer les jeunes générations aux défis de la société de l’information et de la connaissance.
La machine s’étant emballée, ce sont des aberrations qu’il faudrait gérer à la rentrée 2016 : rupture de contrat inter-scolaire (inter-linguistique) avec l’Allemagne, rupture de transmission entre école primaire et collège pour les langues régionales, dégradation des conditions d’enseignement pour un grand nombre de professeurs de langues (anciennes, européennes, arabe…), imposition au personnel des décisions d’un Conseil pédagogique qui n’est pas élu à la différence du Conseil d’administration, bricolage sur le terrain des Enseignements pratiques interdisciplinaires/EPI en l’absence d’une programmation conséquente de formation initiale et continue….
De la renégociation du texte de réforme
Pour sortir des controverses internes qui ne servent que le camp conservateur, il serait bienvenu que le dialogue soit renoué entre les composantes du milieu enseignant et avec le ministère[4]. Ce serait un gage d’autonomie du mouvement pédagogique et d’une manière générale de reconnaissance des prérogatives des parties en présence. Une dynamique de cet ordre (sous la forme de rencontres publiques, de publications communes, d'enquêtes d'opinion en direction des personnels....) pourrait faire avancer le débat, dans le sens d‘une renégociation de la réforme.
Un renforcement des collaborations avec le monde universitaire et de la formation (ESPE) contribuerait aussi à desserrer l’étau de l’enfermement corporatif dans des logiques unilatérales, en lieu et place d'une vision systémique. L’avenir des autres secteurs et cycles d’enseignement est engagé par cette réforme. Entre autres problématiques, celle de l'enseignement des langues et des cultures dont elles sont porteuses serait un angle intéressant à travailler[5].
Par Martine Boudet
(2) Cette stratégie peut conduire à s’aliéner durablement l’électorat naturel de la gauche qu'est le monde enseignant. Le gouvernement aurait été plus avisé de se rappeler le précédent de la gestion de C Allègre, qui n’a pas été sans incidence sur la chute de L Jospin à l’élection présidentielle de 2002.
(3) Philippe Cadiou, Parfums d‘éducation à la française
http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-cadiou/200515/parfums-d-education-la-francaise
(4) Réforme du collège, le SNES interpelle la Ministre (mardi 19 mai 2015)
http://www.snes.edu/Reforme-du-college-28554.html
« La dynamique du débat de l’été 2012 pour la refondation de l’École a été brutalement interrompue par votre projet qui a cédé à des sirènes qui, depuis 3 ans, refusent la recherche de toute forme de consensus pour imposer leur vision largement minoritaire dans nos professions. Ainsi l’interdisciplinarité proposée n’est pas celle qui était attendue et l’autonomie que vous envisagez n’est pas celle des équipes pédagogiques et éducatives. La réforme annoncée ne sera pas pédagogique, quoique ses promoteurs en disent, mais bureaucratique.
Il est encore temps, et nous vous l’avons redit au Conseil Supérieur de l’Éducation du 10 avril, de reprendre le fil des discussions et de stopper ce qui s’annonce comme un véritable gâchis pour les jeunes, pour nos professions. Prenons le temps du débat sur l’articulation des enseignements disciplinaires avec les formes de l’interdisciplinarité, sur ce que doit recouvrir l’expression « marges de manœuvre des établissements », sur les conditions d’étude des élèves et la notion « d’accompagnement », sur les conditions de travail et de formation des personnels, sur les moyens pour développer le travail collectif… »
(5) Martine Boudet, La place des langues-cultures au collège et dans le système éducatif
http://blogs.mediapart.fr/blog/refondation-ecole/180515/la-place-des-langues-cultures-au-college-et-dans-le-systeme-educatif