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Billet de blog 7 juillet 2015

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Je ne suis plus rien

Mon nom n'importe pas, il ne vous dirait rien. Chez moi, il était important, comme un "laisser-passer" qui me permettait d'être reconnu, de travailler chaque jour que Dieu fait. Dans ma grande famille, il me donnait une place, ma place. Nous nous retrouvions souvent ensemble, le jour du culte : les oncles et les tantes, les pères et les mères, et tous les enfants. Nous étions heureux ou fous : nous ne savions pas. Pas encore.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mon nom n'importe pas, il ne vous dirait rien. Chez moi, il était important, comme un "laisser-passer" qui me permettait d'être reconnu, de travailler chaque jour que Dieu fait. Dans ma grande famille, il me donnait une place, ma place. Nous nous retrouvions souvent ensemble, le jour du culte : les oncles et les tantes, les pères et les mères, et tous les enfants. Nous étions heureux ou fous : nous ne savions pas. Pas encore.

Nous aurions peut-être dû prévoir. Voir venir le danger. C'est cette unité, cette communion familiale qui a fait de nous des cibles. Nous étions devenus un "groupe". Une communauté religieuse qui n'a rien à voir avec celle qui dirige notre pays aujourd'hui. J'ai vu enlever les miens. Un peu partout, dans les villages, des corps ont été retrouvés. Nous avons offert une sépulture même à ceux que personne ne parvenait à identifier. Je voulais combattre, mais je n'ai pas été élevé dans l'art de la mort : je ne suis pas un soldat, même pas un combattant. Les seules armes de ma vie sont mes outils et avec eux, qui m'ont été transmis par mon père, je ne saurai donner la mort, même à ces gens là !

Ceux qui ont lutté ont parfois eu la chance de mourir vite, sans voir leur famille amputée, violée, torturée. Ils savent s'y prendre. Je n'ai pu emmener avec moi que ma femme, mes deux filles et ma mère. Je n'avais pas assez pour sauver mon frère. La nuit où nous l'avons quitté, il a pleuré devant moi : "Je ne peux pas partir, mais si tu sauves les tiens, tu me sauveras aussi !" Je n'ai pas pu me retourner.

J'emmenai les miens en enfer.

Quand je suis parti, je ne savais rien. Je ne savais pas que j'aurai dû boire mon urine, sur le bateau. Je ne savais pas que j'aurai dû jeter ma mère à l'eau, sans sépulture. Je ne savais pas que je verrai mourir ma petite.

Quand nous sommes parvenus à terre, nous croyions voir la fin du cauchemar, nous croyions arriver comme sur la terre promise, et pouvoir enfin nous relever. J'étais dur à la tâche, je ne savais que travailler : c'était toute ma vie, tout ce qui me permettait de regarder fièrement ma femme et mes enfants. Je ne peux plus regarder les miens dans les yeux. Je ne peux plus.

Aujourd'hui, je suis un "sans papier". Un "demandeur d'asile". Il y en a beaucoup comme moi. Il en arrive d'autres chaque jour. Je ne sais pas votre langue, je ne connais pas vos traditions, je n'ai pas votre couleur. Je ne suis plus vraiment un homme je crois : le repas quotidien, les couvertures et les soins, je ne peux pas les payer. Je suis devenu un poids pour vous, un poids pour le monde entier. Je dois demander pardon, mais je ne sais plus si Dieu existe. Peut-être, nous nous sommes trompés de dieu. Je ne sais pas, je ne sais plus.

Tout cela est faux :

Je vis en France, j'habite une maison dans un quartier tranquille. Je suis marié à une femme épatante et mes enfants sont en pleine forme. Parfois même, j'aimerai qu'ils soient un peu moins en forme ! Nous respectons les cultes de ceux qui, autour de nous, "pratiquent". Nous pouvons critiquer le gouvernement, l'ancien et le nouveau. J'ai tellement de chance que, parfois, j'évite de regarder les infos, sur le web ou à la télé : c'est souvent trop déprimant.

Même si je ne pratique plus la religion que mes parents m'ont donnée, j'ai toujours un coeur. Je ne suis pas journaliste, je ne travaille pas dans l'humanitaire, tout juste dans "le social". Peu importe en réalité : parfois, je pense à ces hommes, ces femmes, ces enfants perdus sur un sol qui n'est pas le leur. Je n'ai pas besoin de les voir aux infos : il me suffit de fermer les yeux pour savoir que le "sans-nom" qui parlait par ma bouche n'est pas né de mon imagination. Il existe. Ils existent. Ils sont des centaines, sans doute des milliers, peut-être plus encore. Ils ont vécu des cauchemars hors de notre imagination, loin de notre regard.

Mon plus grand mérite, quand j'y pense, c'est d'être né de ce côté-ci de la Méditerranée. De ce côté-ci de la Terre. C'est tout.

Droit du sol ou Droit du sang ? Peu importe, nous pouvons nous féliciter d"avoir le Droit pour nous" !

Et Dieu, s'il existe, nous pardonnera peut-être.

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