Voter à gauche aux scrutins présidentiels, mais à droite aux scrutins municipaux : tel est le soi-disant paradoxe toulousain. Après avoir réélu en 2020 un maire Les Républicains, les toulousain·e·s ont massivement voté pour Mélenchon lors du premier tour de la présidentielle 2022 (28 % des inscrit·e·s, contre 20 % pour le n°2, Macron ; 36 % et 26 % en voix exprimées). Cette vague rouge repose sur une plus forte mobilisation de l'électorat des quartiers populaires mais aussi sur une union des électeur·ice·s de gauche derrière le candidat le plus à même d'accéder au second tour. L'analyse des résultats du 1er tour montre également que les candidatures Macron et Zemmour créent une scission dans l'électorat traditionnel de la droite toulousaine. La candidate Les Républicains, soutenue par le maire, fait un score ridiculement faible (2 % des inscrit·e·s) laissant l'électorat Fillon de 2017 (17 % alors) se répartir entre la droite macroniste et l'extrême-droite.

A gauche, Mélenchon mobilise plus fortement qu'en 2017 alors même que la social-écologie reste stable
Au soir du 10 avril 2022, Mélenchon sort en tête de 163 bureaux de vote toulousains (sur 265). Il emporte 36 % des suffrages exprimés ou encore, plus intéressant ici pour inclure dans l'analyse l'abstention, 28 % des voix des personnes inscrites sur les listes électorales. Par rapport à l'élection de 2017, il engrange 16 000 suffrages supplémentaires (de 21 % à 28 % des inscrit·e·s). En comparaison, Macron est en tête dans 50 bureaux de la ville (contre 52 pour l'abstention !) et conserve un score stable par rapport à 2017 avec 20 % des inscrit·e·s. Mélenchon et Macron étaient au coude-à-coude en 2017 ; en 2022 c'est donc bien une vague rouge qui parcourt la ville rose.

L'Union Populaire enregistre ses meilleurs scores dans l'électorat... populaire
Ce sont les bureaux qui comptent le plus d'ouvrier·ère·s et de chômeur·se·s qui donnent à Mélenchon ses meilleurs résultats : parfois jusqu'à plus de 40 % des inscrit·e·s, par exemple à Bellefontaine et Bagatelle. Le constat est valable également au regard du niveau de vie : Mélenchon est à 50 % (des inscrit·e·s) dans les bureaux où le niveau de vie moyen est inférieur à 15 000 euros par an. Inversement, il réalise ses plus mauvais scores (soit quand même entre 10 % et 20 %) là où les cadres représentent plus de 30 % des travailleur·se·s et où le niveau de vie annuel moyen est supérieur à 30 000 euros.
Mais le candidat obtient également de bons scores dans les bureaux de classes moyennes. Il récolte 30 % des voix des inscrit·e·s parmi les bureaux dont le niveau de vie moyen est de 20 000 à 25 000 euros. Ses résultats sont également élevés dans les bureaux où la présence des cadres est importante sans être maximale.

Dans les bureaux de vote les plus pauvres, la baisse de l'abstention profite à Mélenchon
La progression de Mélenchon réside en partie dans sa réussite à mobiliser l'électorat des quartiers populaires. A Toulouse, entre 2017 et 2022, le taux d'abstention diminue de 3 points (de 26 % à 23 %). Cette légère hausse de la participation n'est pas homogène sur le territoire : elle se fait notamment dans les quartiers de la politique de la ville (Mirail, Empalot, Izard), mais aussi dans le centre ville.

Les deux blocs qui progressent entre 2017 et 2022 sont la gauche (Mélenchon, Roussel, Jadot, Hidalgo en 2022, Mélenchon et Hamon en 2017) et l'extrême droite (Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan en 2022, Le Pen et Dupont-Aignan en 2017). Dans les bureaux de vote où la population est plus pauvre (niveau de vie moyen inférieur à 17 000 €), l'abstention diminue systématiquement et c'est la gauche qui progresse le plus en nombre de voix (et plus précisément Mélenchon). Dans les bureaux de vote à niveau de vie moyen, l'abstention diminue dans la plupart des cas et c'est souvent la gauche qui progresse le plus fortement. A l'inverse, dans les bureaux de vote aisés (niveau de vie moyen supérieur à 27 000 €) ce sont les candidats d'extrême droite qui enregistrent la plus forte progression (autour du candidat Zemmour absent en 2017).

La social-écologie reste stable
En 2022, et contrairement à 2017, PS et EELV font cavaliers seuls. Leurs scores 2022 additionnés restent équivalents au score Hamon de 2017 (7 % des inscrit·e·s) malgré une probable évolution de l'électorat en 5 ans. Les résultats de Jadot sont plus corrélés aux résultats de Macron en 2017 que ne l'étaient ceux de Hamon : le candidat EELV fait de meilleurs scores que l'ancien candidat PS là où Macron réussissait très bien en 2017. Parallèlement, les scores de Macron diminuent dans les bureaux où ils étaient déjà faibles en 2017, mais s'améliorent dans ceux où il était déjà bon : Macron perd à gauche ce qu'il gagne à droite. Jadot et sans doute Hidalgo auraient ainsi récolté certains votes de déçu·e·s du centre-gauche macroniste.

L'électorat de Jadot est différent de celui de Mélenchon. Le candidat EELV enregistre ses meilleurs scores dans les bureaux à niveaux de vie moyens à aisés (de 20 000 euros à 30 000 euros), qui comptent très peu de chômeur·se·s ou d'ouvrier·ère·s. En revanche, les parts de cadres mais aussi de professions intermédiaires sont élevées (sans être maximales) dans les bureaux où il récolte plus de 5 % des inscrit·e·s.

A droite et à l'extrême droite, Macron et Zemmour fissurent l'électorat des Républicains
Sa politique menée depuis 5 ans, ses soutiens dans l'exercice du pouvoir et son programme annoncé permettent au président-candidat de rafler une partie des voix de la droite historique. Dans le même temps, l'émergence d'un second pôle à l'extrême droite affichant sans ambiguïté son néo-libéralisme économique parvient à récupérer l'électorat le plus conservateur et nationaliste de cette même droite historique. L'électorat classique de la droite toulousaine se retrouve ainsi scindé entre les candidats Macron et Zemmour.
Macron avance sur sa jambe droite
En 2017, Macron avait tiré à lui une partie de l'électorat du Parti Socialiste. En 2022, il prospère dans les bureaux de vote traditionnellement inféodés aux Républicains. A Côte Pavée, Limayrac, Lardenne et Pouvourville, il récolte ainsi plus de 30 % des suffrages des personnes inscrites.

Son score augmente très linéairement avec le niveau de vie moyen de la population des bureaux de vote : moins de 10 % des inscrit·e·s lorsque le niveau de vie est inférieur à 15 000 euros, plus de 30 % lorsque celui-ci est supérieur à 30 000 euros. Il enregistre ainsi ses meilleurs scores dans les quartiers qui comptent le plus de cadres mais aussi d'artisan·e·s, commerçant·e·s et chef·fe·s d'entreprise. En revanche, c'est dans les quartiers où vivent le plus d'ouvrier·ère·s et de chômeur·se·s qu'il est au plus bas (moins de 15 % des inscrit·e·s).

Zemmour attire une partie de l'électorat traditionnel de la droite
La carte des scores de Zemmour n'a pas beaucoup de points communs avec celle de Le Pen. Celle-ci enregistre ses meilleurs scores aux confins de la ville : la carte montre clairement un gradient qui progresse au fur et à mesure que les bureaux s'éloignent de l'hypercentre. La géographie du vote Zemmour colle au contraire très bien au vote Fillon de 2017 : c'est à Côte Pavée, Limayrac, Carmes, Saint-Etienne et Pouvourville qu'il réalise plus de 5 % voire plus de 10 %.


Sociologiquement, les bureaux où Zemmour réussit le mieux sont d'ailleurs plus proches de ceux de Fillon 2017 : part élevée de cadres, d'artisan·e·s, commerçant·e·s et chef·fe·s d'entreprise et des ménages les plus riches. Les bureaux les plus favorables à Le Pen (plus de 10 %) sont au contraire composés de parts élevées d'ouvrier·ère·s, d'employé·e·s et de professions intermédiaires. En revanche, dans les quartiers qui comptent le plus d'ouvrier·ère·s et de chômeur·se·s, et donc souvent une part importante de Français·e·s né·e·s à l'étranger, la candidate qui souhaite instaurer une "préférence nationale" réalise certains de ses moins bons scores.


L'étude de la corrélation entre les votes Macron, Le Pen, Zemmour en 2022 et le vote Fillon en 2017 confirme ces analyses. C'est principalement dans les bureaux où Fillon enregistrait en 2017 ses meilleurs scores que le score Macron progresse : si Macron a perdu une partie de l'électorat de centre gauche il a en revanche conquis une partie de l'électorat des Républicains. Du côté de l'extrême droite, les votes Le Pen 2017 et 2022 sont corrélés négativement au vote Fillon, à l'inverse du vote Zemmour. La candidate du Rassemblement National a un électorat de classes moyennes et populaires très différent de l'électorat de la droite classique. En revanche, le vote Zemmour suit une répartition très proche du vote Pécresse, les scores de ces deux candidat·e·s étant d'ailleurs pareillement et très fortement corrélés au vote Fillon (environ 0,90).

Retrouvez cette analyse, les données et les programmes sur lesquels elle repose ici.