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Billet de blog 10 juin 2024

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Les partis et les électeurs de gauche ont la clef du scrutin

La décision de dissoudre et de redonner la parole aux citoyens a une légitimité démocratique incontestable. Le blocage à l’assemblée depuis 2022, lié à l’absence de majorité, et le désaveu électoral cuisant des élections européennes, justifient un retour aux urnes. Mais ce choix procède surtout d’arrière-pensées stratégiques et procède d’un certain machiavélisme. C’est une confirmation : le macronisme est un cynisme.

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La décision de dissoudre et de redonner la parole aux citoyens a une légitimité démocratique incontestable. Le blocage à l’assemblée depuis 2022, lié à l’absence de majorité, et le désaveu électoral cuisant des élections européennes justifient un retour aux urnes. Mais ce choix procède surtout d’arrière-pensées stratégiques et procède d’un certain machiavélisme. C’est une confirmation : le macronisme est un cynisme. Organiser des élections dans un délai si court vise à démobiliser les électeurs (les plus âgées votent et plutôt à droite), à empêcher le déploiement d’une vraie campagne et surtout à désorganiser la gauche qui est la principale cible de cette accélération du temps politique. Le président a pointé explicitement LFI dans son propos hier et « sa violence ».

La gauche est face à un défi redoutable : elle doit en quelques jours reprendre langue après s’être insultée depuis des mois, se mettre d’accord sur un programme même minimal, définir une stratégie, éventuellement un leader pour la campagne et Matignon, et surtout répartir les circonscriptions (le point le plus difficile). Tout cela en quelques jours avant le dépôt des candidatures. Il faut le rappeler : grâce à la NUPES, la gauche a obtenu 150 députés en 2022… Sans elle, elle aurait eu peu de sièges et quasi aucun groupe. Si la gauche ne se met pas d’accord deux ans plus tard, non seulement elle sera écrasée mais la porte est ouverte à la victoire de l’extrême droite. Au deuxième tour, les duels RN-majorité présidentielle se multiplieront et ce sont les électeurs de gauche qui devront les arbitrer avec le dilemme cornélien de contribuer à une prise de pouvoir de l’extrême-droite désormais très plausible… Si les triangulaires se multiplient, le RN arrivera le plus souvent en tête et elles seront le plus souvent gagnées par l’extrême-droite.

La gauche est donc condamnée à l’union. Elle avait quelques mois pour engager la dynamique de rassemblement en vue de 2027, elle a désormais quelques jours. Mais on connaît la formule de Hegel : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Quelle méthode dès lors pour rassembler la gauche en un temps record ? En 2022, le leadership était à LFI suite aux 22 % de Jean Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Le rapport de forces a changé. La situation n’est plus la même aujourd’hui et pas seulement parce que la liste Glucksman est arrivée en tête hier (finalement de peu). Jean-Luc Mélenchon est désormais répulsif dans une partie de l’opinion de gauche. Qui peut mener les négociations ? C’est la première difficulté. La deuxième est que deux partis d’une coalition potentielle sont divisés. Le PS est déchiré entre pro et anti Nupes depuis des mois et le dernier congrès serré a laissé des traces. LFI est divisée aussi et c’est une donnée nouvelle et structurante : il y a les Insoumis « insoumis » (Ruffin, Autain, Corbière… ) attachés à l’union mais aussi les députés LFI dits du « marais », qui ne sont pas dans le premier cercle mélenchoniste et qui ont été élus grâce à l’alliance et sont attachés à elle.

La négociation sur les candidats pourrait partir du principe que les sortants sont reconduits (150 députés). La question principale et sensible est de savoir si LFI est prêt à lâcher du lest sur la répartition des autres circonscriptions (avec comme enjeu aussi le financement public des partis). JLM pourrait être tenté cyniquement de ne pas favoriser un accord en prétextant des désaccords sur le programme, d’enjamber la législative pour mieux préparer la prochaine présidentielle (en misant sur un échec du RN au pouvoir… comme Macron). Mais sur quelles bases revenir sur la répartition des circonscriptions de 2022 ? Les scores des Européennes… ? C’est compliqué (les enjeux étaient spécifiques, la participation faible).

Ce qui semble se tramer, c’est d’abord un accord entre PS, écologistes et PC sous l’égide de François Ruffin pour construire un rapport de forces nouveau avec LFI et pousser au rassemblement. Le député de Picardie est très volontaire depuis dimanche et cherche à affirmer son leadership à la faveur du nouveau contexte politique en jouant la carte de l’opinion de gauche contre les partis. Ce serait alors comme un retour à la Gauche plurielle de 1997, avec l’appui des insoumis récalcitrants. Si LFI refuse l’union et ce nouveau rapport de forces (c’est fort probable), une configuration serait une double offre à gauche : d’un côté la Gauche plurielle new-look de l’autre LFI avec le risque pour cette dernière d’être siphonné électoralement pour son intransigeance par un électorat de gauche très unitaire. L’avantage de la coalition « gauche plurielle » est qu’elle permet de détacher des macronistes de gauche là où l’alliance avec LFI interdit cette perspective. Mais le rapport de forces pourrait aussi conduire LFI à faire des concessions…

Tout l’enjeu va être aussi : qui porte la responsabilité de la division ? Le talisman de l’unité ? L’électorat de gauche est très favorable au rassemblement et le spectre d’une victoire du RN va renforcer cette aspiration (d’où le rôle de la société civile de gauche que cherche à mobiliser, stratégiquement, Olivier Faure depuis hier soir). Dans tous les cas, il y aura des dizaines de dissidences de gauche au premier tour, car les partis sont faibles et tiennent de moins en moins leurs bases locales.

Pour finir, la question du programme n’est pas la plus difficile. La gauche peut se mettre d’accord sur dix mesures pour être lisible, arguant qu’il y a que deux ans à tenir avant la présidentielle, et éviter ainsi de trancher des divergences insurmontables dans un temps court. La question du leader ne sera pas probablement pas tranchée : il découlera des législatives et du groupe parlementaire arrivé en tête.

Une victoire de la gauche n’est pas impossible (quoiqu’improbable…) mais l’organisation des candidatures à gauche et le choix de ses électeurs vont être décisifs.

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