Les jours se suivent et se ressemblent dans la formidable aventure de l'inventaire à la Macron des blocages du pouvoir d'achat : casse médiatique, cris d'orfraie de députés pudibonds, affirmations péremptoires, ..., bref rien ne manque au classique inventaire du piteux spectacle politico-politicien. Passé du rire au sourire, je tente désormais de retenir mes larmes, qu'elles soient de rage ou de désespoir - la vieillesse attendra -, et plus encore depuis que j'ai entre les mains le pitoyable kit parlementaire supposé contrer l'intense et ignoble lobby du notariat...
Au préalable, je rappellerai que je n'ai strictement rien contre une réforme du notariat, et que bien au contraire je l'appelle de mes vœux. Oui, il nous faut accueillir plus et mieux. Oui, il nous faut renforcer encore les contrôles et les sanctions pour protéger le citoyen contre des individus peu scrupuleux qui n'ont rien à faire ni dans nos rangs ni dans notre société. Oui, il nous appartient de travailler le tarif pour le rendre plus égalitaire, plus équitable, plus redistributif.
Les pistes pour y parvenir sont simples et connues : suppression des clercs habilités avec passerelles pour leur permettre, le cas échéant, de devenir notaires salariés ; création d'un véritable statut du notaire salarié ; règle du un notaire salarié pour un notaire associé ; renforcement des contrôles et des sanctions en tant que de besoin ; mise en place d'une réelle réflexion sur le tarif, sur sa redistribution - au besoin nationale -, sa corrélation à la difficulté et à la responsabilité attachée à chacun des actes ; ...
Bref, il serait de bonne politique de proposer une loi spécifique au notariat, au lieu d'en inclure quelques mesures assassines entre le permis de construire, le travail du dimanche ou la libéralisation du transport en cars.
Au lieu de cela, il nous faudrait demain avaler les remèdes du docteur Macron et de ses aides-soignants dévoués, de Monsieur Ferrand à France Stratégie en passant par l'Autorité de la Concurrence, après que l'Inspection Générale des Finances se soit chargée de désigner le notariat comme leur malade imaginaire. Ce que l'on vient aujourd'hui nous présenter comme l'universelle panacée, à grand renforts de kits de communication et de bienveillants médias, n'est en réalité que fade potion que d'aucuns jugent amère et nous demandent d'avaler, alors que nous la savons tous mortelle.
Si la libre installation contrôlée est une bonne mesure, il conviendra cependant de m'expliquer comment les nouveaux installés pourront et gagner leur vie et indemniser des notaires déjà en place qui verront leur chiffre baisser ? Surtout que le chiffre peut baisser parce que l'on est moins bon, parce que l'on travaille moins, parce que la conjoncture est différente. Comment sera réalisé le tri entre ces options ? Le projet Macron n'y répond nullement. Sans doute une réflexion approfondie permettrait-elle de résoudre ce dilemme....
L'entrée de capitaux extérieurs revient purement et simplement à financiariser le service public de la Justice. Les notaires sont partie prenante de ce service public, ce qui justifie notamment l'absence totale de concurrence sur le tarif, l'obligation d'instrumenter, la déontologie et le doublement des sanctions auxquels ils sont soumis. Sans doute Monsieur Macron viendra-t-il demain proposer la privatisation des tribunaux, pour libérer je ne sais quel pouvoir d'achat ?
La réforme du tarif, confiée à l'Autorité de la Concurrence qui a d'ailleurs donné toutes les pistes de travail dans son avis, est sans nul doute la partie la plus scandaleuse du projet de loi concernant les professions réglementées. Scandaleuse car elle vise purement et simplement à rompre l'égalité d'accès des citoyens au service public de l'authenticité. Scandaleuse car elle permettra aux seuls offices les plus fortunés de survivre : qui, avec 10, 15, 20 ou même 25 % de rentabilité peut survivre à une diminution de 10% de son chiffre d'affaire ? Surtout si son endettement professionnel obère déjà la moitié de son bénéfice... Scandaleuse enfin car, n'en déplaise à Monsieur Macron et à ses certitudes, elle ne peut que conduire au chômage un grand nombre de salariés du notariat. Qui s'intéresse un tant soit peu à la question ne peut ignorer que les économies les plus rapides et importantes à réaliser se font sur la masse salariale, plus encore en France où les charges sont ce que l'on sait. Venir affirmer sans rougir, sans trembler ou sans voir son nez s'allonger que ces affirmations sont fausses est tout simplement indigne. Au royaume de l'hypocrisie, je ne doutais pas un instant que les hommes politiques soient rois...
Car enfin, plutôt que d'aller pleurer misère dans tel ou tel média, bien accueillant pour la peine, et de se rendre ainsi ridicule aux yeux de tous, ne pourraient-ils pas enfin daigner se poser les vraies et bonnes questions ? La même interrogation me vient face à l'assourdissant silence médiatique sur un problème qui pourtant intéressera demain les citoyens au plus près, obligés de payer plus cher un même service, ou de faire l'impasse sur la qualité, ou enfin de devoir enchainer les kilomètres là où le service est aujourd'hui de proximité : bien sûr, ils pourront prendre le bus, ou leur véhicule individuel après avoir reçu le permis de conduire des mains de leur facteur...
Il semble en fait plus facile d'avaler la bonne parole gouvernementale, cette bonne soupe servie chaude à souhait qui ne nécessite aucun effort de recherche ou d'ouverture d'esprit. Il est si simple de nous resservir à loisir la belle et surannée image d'Epinal du notaire confit dans sa graisse, qui reçoit sur un coin de bureau aussi encombré de dossiers que poussiéreux, à la lueur blafarde d'un luminion, entre quatre murs au papier peint défraichi qui se décolle lentement, afin d'entendre un sermon mélangeant locutions latines et langage juridique, pour finalement ne rien avoir compris et repartir délesté d'un montant astronomique de "frais de notaire".
Il semble surtout plus facile de comparer l'incomparable, tant les systèmes de droit latin et de common law sont différents sur la garantie qu'ils apportent, les services qu'ils rendent, les contentieux sur lesquels ils débouchent, que de venir voir de plus près ce que fait le notariat français, ce que sont les enjeux, et ce que la loi ferait économiser...
Et il semble enfin très aisé de s'en venir jouer les apprentis sorciers, en jurant ses grands dieux que la loi ne créera pas de chômage, pas de vide juridique, pas de conflits d'intérêts. Le tout bien sûr sans étayer le moins du monde ces affirmations, mais non pourquoi, nous sommes élus ou désignés par des élus, donc nous savons. Bien sûr des rapports ont été rendus, sous les ors de l'Assemblée Nationale, bien loin de la réalité du terrain. En écoutant tel ou tel représentant. Sans entendre la base... Cela dit, puisque je rencontre mon boulanger tous les jours, je suis sans nul doute parfaitement habilité à légiférer sur la question, et que surtout surtout les boulangers ne viennent pas m'en raconter : je sais ce qui est bon pour eux et puis c'est tout !
Voici des mois que je tente d'interpeler les élus, les gouvernants. En plus de six-cent mails, dix réponses. Et toutes ou presque sur le même topo du "kit du parfait parlementaire", vous savez celui qui vous répond tellement à côté qu'après avoir fini de le lire vous ne vous rappelez plus la question que vous avez posée. Alors cette démocratie en laquelle j'ai cru, en laquelle je veux continuer à croire, est-elle toujours celle du peuple souverain ou est-elle devenue ce qu'en pensait Camus : "La démocratie ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité" ?
Les écouter se lamenter d'un lobby soi-disant agressif, lire leur petit kit de "réponse au lobbying des notaires" , lire que Monsieur Macron taxe l'étude d'impact de "plaisanterie, même une escroquerie intellectuelle", me donne la nausée. Qui sont ces gens pour ne prêter aucune attention à ce qu'on leur présente comme un danger futur ? Qui sont ces gens pour s'assoir à ce point sur le bon sens ? Quels intérêts supérieurs servent-ils pour agir de la sorte ? Ce matin encore, un parti d'extrême droite caracole en tête d'une élection législative, avec un tiers des suffrages exprimés, en dépit d'une abstention de 71 % des électeurs... Et ça n'interroge personne là-haut, dans les allées du pouvoir ? Sans doute un nouveau petit soubresaut d'électeurs versatiles, rien à voir du tout avec l'expression du mécontentement d'une population désabusée par la médiocrité de nos hommes politiques, remplie d'un désarroi certain et grandissant. Et pourtant, ces derniers mots sont le reflet de ma réalité quotidienne...
Oui, j'ai oublié de le préciser, mais je n'ai rien à voir avec le notariat d'Epinal - que les confrères spinaliens ne m'en veuillent pas, c'est une image - : je reçois mes clients à l'heure, je leur donne une prétaxe pour qu'ils sachent avec précision ce qui revient au notaire, ce qui revient à l'Etat, je leur parle avec le sourire, je plaisante, nous rions parfois, puis je lis mon acte avec eux, sur un écran, avant de le leur faire signer électroniquement. Je leur explique l'avenir, nous parlons humanité, vie simple et quotidienne, peurs et espoirs. Et nous tombons d'accord sur les mêmes constats : le fossé grandissant entre les gouvernants et le peuple, le décalage complet entre un pouvoir centralisé sur Paris et la réalité de la province (qui regroupe tout de même les 5/6èmes de la population du pays), l'absence d'intelligence pratique, l'éducation qui part à vau-l'eau, le règne de l'enfant-roi, l'absence de sanction, l'interdiction d'interdire, la diarrhée législative d'un pays qui veut tout régenter dans les moindres détails et qui passe finalement son temps à faire et défaire... Enfin, sans doute des brèves de comptoir pour des gens aussi sérieux et occupés que nos gouvernants. En plus, le peuple, qui s'en soucie ? Peut-être un peu sur les marchés, de-ci de-là, les années d'élections. Mais après ?
Moi je ne suis qu'un con. Doublé d'un notaire. Ce qui devrait faire de moi une proie facile pour la vindicte populaire, je n'ai pas d'illusions sur ce point. Chose d'autant plus aisée que tout le monde fantasme mon revenu mais en ignore la réalité, fantasme de supposés pouvoirs là où il n'y en a aucun, fantasme une rente fort simple à gagner là où il n'y a que labeur quotidien. Mais demain, qui recevra sous son coût de production 66 % de son travail ? Qui instruira obligatoirement tous les dossiers qui lui sont présentés ? Qui conseillera de manière désintéressée ? Qui servira la République en en apposant le sceau sur les accords des parties, s'engageant avec elles sur le contenu de l'acte ? Qui prendra le temps d'écouter, de conseiller, de consoler parfois, de rassurer souvent, et de préparer toujours, avec le sourire et sans rémunération ? Qui ?
Moi je ne suis qu'un con. Doublé d'un amateur de petites phrases. De celles qui veut que l'on ne fasse pas à autrui ce que l'on aimerait pas qu'il nous fasse, par exemple. M'invitant à bien peser chacune de mes actions. A prendre le temps de la réflexion. A rester en accord avec moi-même, avec mon esprit, avec mon cœur. De celles qui invite à s'occuper d'abord de la poutre que j'ai dans l'œil avec de m'occuper de la paille qui se trouve dans l'œil de mon voisin. Pour simplement être capable de dire que je peux me tromper, que je peux ne pas savoir, et que surtout, surtout, la seule chose que je sais c'est que je ne sais rien.
Moi je ne suis qu'un con. Doublé d'un sentimental. A ce titre, je ne peux tolérer que l'on me prenne pour ce que je ne suis pas. Je ne peux tolérer que l'on m'insulte au travers de ma profession, qui rend, ne vous en déplaise, de nombreux services et conseils au quotidien. Je n'ai pas la naïveté de croire qu'il en va partout ainsi, la profession est à l'image de la société, et je n'ai plus trop d'illusion sur la société. Mais je crois néanmoins à l'exemplarité, la seule chose qui permette de demander à son prochain de s'améliorer lui aussi : c'est en avançant soi-même que l'on fera avancer les autres. Dans l'écoute, dans le respect, dans la construction commune. Conception démocratique ?
Moi je ne suis qu'un con. Doublé d'un idéaliste. Etre en paix avec son prochain pour être en paix avec soi-même. Construire un monde plus beau et plus juste pour mes enfants, leurs enfants, les enfants de leurs enfants. Voter et donner son avis aux élus pour qu'ils prennent les bonnes décisions, pour qu'ils fassent les bons choix. Donner autant que faire se peut le meilleur de moi-même à celui qui en a besoin, pour grandir avec lui. Apprendre à mes enfants que "seul le travail paie", comme mes parents l'ont fait avec moi, pour qu'ils fassent de leur mieux et puissent faire le métier qui leur plaît, comme je le fais moi-même. Leur apprendre enfin à se garder du jugement et de la jalousie, et surtout à respecter leur prochain : saines bases à mon sens de toute vie en société.
Mais moi je ne suis qu'un con. Et, finalement, je pleure. Vous avez dit démocratie ?