Cette semaine encore, je voulais présenter mes vœux. De respect, de tolérance, d'écoute. Cette semaine encore, l'actualité en a décidé autrement. Fort heureusement, une actualité bien moins cruelle que celle de ces derniers jours, mais très révélatrice néanmoins des nauséabondes et mortifères accointances du pouvoir et de la finance, pour le plus grand profit d'une infime minorité, et la plus grande perte de nos sociétés.
L'Autorité de la Concurrence a daigné rendre son avis sur les professions réglementées et là j'ai dû me pincer pour être certain de ne pas rêver. Nous sommes dans un copier-coller du rapport de l'Inspection Générale des Finances, dont les statistiques erronées sont peu ou prou reprises en intégralité, dont les analyses mensongères sont étayées par des affirmations péremptoires qu'il nous faudrait prendre pour argent comptant. Une fois de plus, on fait du notaire un commerçant, de la Justice une marchandise, des offices un investissement pour fonds de pension. Ah non pardon, je me dois d'être honnête, pour experts-comptables : Fiducial et consorts apprécieront. Mais puisqu'aujourd'hui le capital des cabinets d'expertise peut être détenu en totalité par des non experts-comptables, on finit quand même par vendre notre système de droit à l'encan. Le plus offrant étant aujourd'hui soit anglo-saxon, soit chinois, soit qatari, je n'aurais que l'embarras du choix...
Mais puis-je seulement continuer à utiliser le conditionnel ? Ne devrais-je pas plutôt employer le futur, un futur qui se rapproche chaque jour dangereusement. Dangereusement pour moi, très certainement. Pour mes collaborateurs tout autant. Mais surtout pour mes enfants, avec sa philosophie ultralibérale, sans règles et sans contrôle, dans lequel tout, des matières premières au droit, en passant par l'eau et les fonds marins, est marché. Marché incontrôlé s'entend, sinon ce n'est pas drôle. Oh bien sûr, il est nécessaire de conserver un semblant de démocratie. De temps à autre, le peuple est invité à se prononcer entre peste et choléra, dans l'hypocrisie la plus totale des élites de la Nation se partageant qui le pouvoir qui les grandes entreprises : "et on ne peut même pas concilier les deux en remplaçant les uns par les autres, c'est les mêmes !", emprunté à Coluche, encore et toujours...
Et dommage qu'il ne soit plus là, tant la médiocrité - enfin non, à ce stade, cela confine plutôt à du grand art... - de nos gouvernants, ou leur partialité, sans aucun doute, est patente : il se régalerait. Quant à leur incompétence, elle n'est plus à démontrer. Et de revenir, encore et encore, à des questions d'éducation. La mienne est celle d'un basique terrien, vosgien des forêts profondes, bref, de celle qui veut que je dise "je ne sais pas" lorsque, justement et que le monde est bien fait, je ne sais pas. Dans les hautes sphères, quand on ne sait pas, on parle quand même. On parle surtout, et sur tout ! Ce qui permet à l'humble vermisseau que je suis d'apprendre à la lecture du rapport que je vais mourir prochainement, et mes collaborateurs avec. Voire même avant. Amis de gauche, merci beaucoup. Ceci dit, Monsieur Macron nous a prévenu depuis quelques semaines, en avançant que "ce serait une grossière erreur de protéger les entreprises et les jobs existants" (La Tribune - 11 décembre 2014). Je suis rassuré, l'Autorité de la Concurrence confirme tout cela en écrivant entre autres "une baisse uniforme des tarifs conduirait les offices moins rentables à réaliser des pertes et, à plus ou moins brève échéance, à la faillite. (...) il n'est pas certain que la disparition éventuelle de ces offices lèse réellement les consommateurs" (pages 121 et 122). Pour faire court : amis employés des campagnes, amis notaires ruraux, vous pouvez disparaitre en paix, le monde politique s'en fout royalement. Finalement, vous ne servez à personne et tous ces clients que vous accueillez gentiment et renseignez gratuitement, souvent et surtout sans qu'ils aient de rendez-vous, pourront prendre un autocar et rejoindre la grande ville voisine, qu'est-ce que c'est que 50 kilomètres et une journée de perdue, hein, finalement. Ils n'ont que ça à faire, les petites gens, pas comme ces gens sérieux de la Haute Autorité de la Concurrence, du Ministère de l'Economie ou du gouvernement ! Mais de qui se moque-t-on ???
Car finalement, en y regardant bien, qu'est-ce qui peut déranger autant nos gouvernants dans la profession de notaire ?
Des revenus importants ? Oui, il y en a bien sûr. Et certains sont également susceptibles de me révolter. Même si l'extrême majorité sont sans commune mesure avec ce qui peut se pratiquer dans la haute fonction publique. Mais la solution est très simple : un notaire salarié par notaire associé, plus de clercs habilités, des associations obligatoires au-delà de certains seuils. Trop simple et trop logique sans doute. Ca ne fait pas assez de dégâts chez les supposés nantis. Ceci dit, il faudra aussi que vous vous occupiez des gérant d'hypermarchés, entre autres : finalement, est-il normal qu'un épicier, si important soit-il, gagne sa vie sur le dos des autres, à coup de "cartes qui vous emmènent tout droit à la Banque de France sans passer par la case départ" ?
Un tarif moyen à 0,825 % des montants déclarés, avec obligation d'instrumenter pour tous les clients qui le souhaitent ? Mais ce tarif fait rire tous les professionnels du contrat de France et de Navarre ! Et vous entendez nous faire croire, en 2015, qu'une quelconque autre profession viendrait travailler aussi bien pour moins cher ? En recevant tous les clients qui passent ? Vaste fumisterie... Pourtant, c'est écrit. Sans justifier de rien, mais finalement à quoi cela peut servir de justifier quoi que ce soit : les promesses n'engagent que ceux qui y croient...
Tout ceci est normal sans doute. Oui pardon j'oubliais : la loi du plus fort, celle de cette société dont tout le monde, dans les hautes sphères, rêve.
Tout le monde ? Sans doute pas, ce serait faire injure à ceux qui ont encore des idéaux, et je veux croire qu'il en reste. Mais alors un cercle. Plus ou moins important. Celui de la commission Attali, entre autres. Vous savez, ce Monsieur qui sait tout, qui a raison sur tout, que sinon vous n'êtes qu'un Nord-Coréen... Si facile de parler sans savoir, d'imposer sans justifier, plus encore avec un col Mao et surtout lorsque l'on sait que l'on aura de comptes à rendre à personne. Cette fameuse commission, qui prédisait une croissance sans précédent pour les années à venir - mais ça c'était avant -, nous a offert sur un plateau plein de solutions miracles. Et essaimé dans toutes les sphères du pouvoir de charmants messieurs (la parité, c'est pas son truc) qui sont aujourd'hui entre autres Ministre de l'Economie ou président de la Haute Autorité de la Concurrence. Et comme un fait exprès dites-moi, en toute impartialité, ils vous expliquent que tout est bon dans le projet Macron. Mieux encore, le rapport du 09 janvier 2015 invite à réformer les professions réglementées très rapidement, sans vous dire comment, pourquoi ou au profit de qui : trop bêtes pour comprendre on vous dit, croyez-nous sur parole, comme pour les 35 heures...
Comment ? En cassant ce qui fonctionne. Oui, ce qui crée de la Justice sociale, de l'Egalité, de la Fraternité et de la Liberté. Egalité d'accès au service notarial par application d'un tarif unique et uniforme sur tout le territoire, que l'on veut vendre au couloir de la mort tarifaire. Qu'il est surprenant qu'une autorité se voulant spécialisée dans la concurrence ne sache pas que la négociation d'un tarif ne profite qu'aux plus riches, dure loi du marché... Fraternité induite par le tarif et qui permet de recevoir les actes des moins aisés sous leur coût de production, offrant ainsi un accès au droit à tous. Et Liberté de choix du professionnel, puisqu'il s'opère de manière totalement indépendante de sa rémunération.
Pourquoi ? Parce que des professionnels impartiaux, sur tous les points du territoire, qui vous conseillent gratuitement, qui reçoivent sous leur coût de revient la majorité de leurs actes, qui sont libres car indépendants financièrement, qui servent le public en vivant de ce service et non pas de la dîme de l'Etat, ça peut faire envie. Pas l'envie de le dupliquer, vraisemblablement, alors que cela permettrait d'offrir un service de qualité dans d'autres branches d'activités, en responsabilisant les acteurs du service sur leurs propres deniers. Non, la simple envie de profiter, vraisemblablement. D'où l'impérieuse nécessité de faire croire au peuple que c'est pour son bien, comme si c'était la première fois : mais finalement, il se tait à chaque fois, alors pourquoi s'en priver ?
Au profit de qui ? Déjà dit et répété : financiers, gouvernants d'aujourd'hui qui sont les banquiers d'affaires d'hier et de demain, amis grands patrons en mal de débouchés pour leur pécule, et surtout grands capitalistes modernes qui ne veulent plus que quelqu'un disant le droit puisse interférer dans leurs juteuses affaires, sans aucun doute...
Dans un superbe effort, mais sans justification une fois encore - on s'en lasse -, l'Autorité de la Concurrence assène désormais le coup de grâce. En nous ressassant jusqu'au dégoût cette libre installation contrôlée sur laquelle personne ne fournit d'explications : les différents candidats à l'installation dans une même commune devront-ils se départager dans un tournoi de poker, à la pétanque ou au fleuret ? Nous vantant jusqu'à la nausée les bienfaits du capitalisme financier pour cette profession poussiéreuse qui s'éclaire encore à la bougie et rédige ses actes à la plume d'oie: vaste plaisanterie c'est certain, mais nous n'avons là encore aucune justification de l'utilité de cette ouverture du capital. Nous gavant jusqu'au vomissement de la négociabilité du tarif et de sa réduction dans des proportions synonymes de faillite pour l'immense majorité des études de France avec une fois de plus absence totale d'analyse comparative des coûts demandés par les autres professionnels susceptibles de rédiger des actes : vu que les autres sont bien souvent plus chers que les notaires, il s'agirait de ne pas se tirer une balle dans le pied...
Tout ceci ne serait que ridiculement risible si ce n'était pas si grave.
Grave pour le peuple, auquel on ment une fois de plus et qui se tait, faute de véritables relais médiatiques sur les conséquences réelles et mathématiques de la réforme pour l'accès au droit.
Grave pour l'emploi, que l'on massacre sans scrupule, en l'énonçant sans vergogne au travers d'interviews ou de rapports : il suffit de les reprendre, je n'ai rien inventé.
Grave pour nos enfants, qui grandissent chaque jour dans un monde de plus en plus clivé, où les gouvernants stigmatisent, détruisent et reconstruisent au gré de leurs intérêts.
Grave pour la démocratie, confisquée au profit d'une caste omnipotente, se croyant omnisciente, qui juge sans connaître, qui condamne sans savoir, pour son plus grand et unique profit.
Bref, je n'ai sans doute pas assez pleuré ces derniers jours. Je vais aller entretenir mon âme d'enfant en relisant "Le Petit Prince". Non, ce n'est pas du Machiavel. C'est de l'Amour. Mais ça, beaucoup ne peuvent pas le comprendre...